• La conscience se définit comme la faculté humaine de se connaître, c’est-à-dire d’être en mesure de réaliser intellectuellement ce que l’on est et ce que l’on fait. En ce sens, la conscience est un pouvoir de réflexion sur soi qui permet à l’homme de prendre la mesure des causes qui le poussent à agir et des conséquences de son action dans le temps. Il semblerait découler de cette définition de la conscience que l’homme possède en substance une faculté précieuse pour penser ses actes et agir de façon responsable. Toutefois, cette interprétation de la valeur de la conscience n’est possible qu’à la condition que la prise de conscience permette à l’homme d’avoir un plus grand pouvoir sur ce qu’il lui est donné de faire. La prise de conscience ne serait ainsi libératrice que dans la mesure où celui qui est conscient découvre, en même temps que les conditions réelles de son existence, la possibilité de faire des choix et d’orienter l’avenir en fonction de ses souhaits et de ses possibilités. Cette interprétation de la conscience est toutefois problématique, puisque rien ne semble garantir que le pouvoir de réfléchir à sa condition propre implique le pouvoir d’agir sur cette condition et de réaliser ses volontés.

    L’ambiguïté de la définition de la conscience porte donc à repérer le paradoxe suivant. D’une part, la conscience est un pouvoir de constat qui a pour particularité de doter l’homme d’une analyse lucide de ce qu’il est. À cet égard, la prise de conscience semble aider à prendre des décisions, c’est-à-dire que le fait d’être conscient semble donner plus de pouvoir d’agir, puisque l’action se trouve dès lors étayée par une connaissance exacte des conditions de réalisation de toute action. D’autre part toutefois, le fait même d’être conscient de soi conduit l’homme à constater qu’il est sans cesse déterminé dans son action par des causes qu’il ne maîtrise pas, au point de transformer le sentiment de liberté en une illusion qui sera détruite rétrospectivement dès que la conscience analyse la situation et met au jour les causes réelles de l’action d’une personne.

    1. La conscience est le moyen par lequel l’homme pense ce qu’il fait et réalise la façon dont il se comporte. En ce sens, la conscience permet à l’homme de sortir d’une vie animale purement immédiate pour posséder une intelligence du présent. En outre, la conscience permet à l’homme de sortir du présent immédiat pour faire le lien entre ce qu’il a été et ce qu’il est. À partir du passé, la conscience détermine l’intelligence du présent, et donne à l’homme le recul nécessairement pour comprendre le sens de son existence présente. Enfin, la conscience est également un moyen de mieux appréhender le futur, et de se libérer de la fatalité, dans la mesure où la connaissance du cours logique des choses permet de penser, prévoir et comprendre ce qui advient.

    2. Néanmoins, si la conscience donne à l’homme l’intelligence de sa situation, rien ne garantit que cette intelligence ne soit pas désespérante moralement, et donc aliénante. En effet, il est évident que le regard vers le passé apprend à l’homme à quel point il a pu être conditionné par des évènements qui ont pesé sur ce qu’il a été, et ont déterminé ses choix. Par ailleurs, il apparaît également que la conscience présente de soi est toujours limitée et faillible. L’homme fait donc bien plus l’expérience de ses limites que de sa force, ce qui le conduit à se penser comme aliéné à un présent qu’il ne contrôle pas ni ne comprend. Enfin, l’ignorance du futur est une limite qui fragilise sans cesse l’homme. Il a en effet conscience que le cours des évènements ne se déroule pas au hasard, mais il peine à en découvrir le sens et a alors le sentiment indéracinable de se trouver sans cesse manipulé.

    3. La conscience semble ainsi être une capacité ambiguë qui libère l’esprit de l’homme (en lui donnant une connaissance précise de la façon dont il se situe dans le temps) tout autant qu’elle l’aliène (en lui montrant qu’il ne parviendra jamais à se rendre maître et possesseur de son existence). Ce constat n’est toutefois vrai que si l’homme conçoit la conscience comme le moyen de se libérer du cours nécessaire de l’histoire. Cette interprétation radicale du pouvoir de la conscience peut néanmoins être mise en doute, dans la mesure où la conscience ne détermine peut-être pas tant un pouvoir de faire qu’un pouvoir de penser moralement, c’est-à-dire de réaliser quelle est la condition de l’existence humaine et quelle en est la vocation. En ce sens, prendre conscience de soi permet à l’homme de se libérer de l’illusion d’une maîtrise parfaite de soi, pour apprendre la modestie et la sagesse, c’est-à-dire pour apprendre à accepter les évènements tels qu’ils arrivent plutôt que de souhaiter changer ce qui est ors de notre pouvoir.


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  • La conscience du temps semble inhérente à toute pensée humaine. L’homme se situe en effet nécessairement dans le temps et dans l’espace, et il paraît impossible que l’intelligence humaine s’affranchisse de ces conditions de possibilité, c’est-à-dire qu’un homme puisse se concevoir autrement que dans un monde qui suit le cours du temps. Dès lors, ce que l’on appelle le moi est le produit présent d’un passé destiné à un futur. C’est le principe de causalité qui régit la suite des évènements dans le temps et qui oblige ainsi l’homme à se penser comme un être qui interagit avec les causes qui le déterminent. Le paradoxe implicite du sujet tient à cette conscience de la détermination de soi dans le temps. Il est évident que je ne peux pas m’extraire du temps et que le temps détermine le devenir du moi, ses états successifs. Toutefois, la conscience me donne à penser une certaine liberté, au sens où la causalité historique des évènements qui conditionne mon action paraît me laisser un espace de choix. La liberté procède donc de ma capacité à orienter le cours des choses et à résister ainsi à la façon dont ces choses arrivent sans que je les veuille. Néanmoins, il est évident que je ne peux parvenir toujours à réaliser ce que je souhaite. La causalité des évènements me résiste. Le sentiment de frustration ou de déception qui en découle nécessairement expliquerait en ce sens le souhait d’échapper à la suite des évènements, serait à l’origine d’une volonté de sortir du temps, d’échapper à son cours implacable. Ne faut-il voir cette réaction que comme du dépit absurde, au regard de ma condition d’être historique ? La conscience que j’ai de ma détermination n’est-elle pas déjà une manière d’y échapper en la relativisant ? L’enjeu d’une réflexion sur le rapport de l’homme au temps est donc moral : comment l’homme peut-il gérer son rapport au temps, pour ne pas avoir le sentiment d’être emprisonné dans une histoire qui déçoit sans cesse ses attentes et fait de lui le jouet impuissant d’un destin ?

    1. Le temps se donne à penser sous la forme d’une nécessité causale d’enchaînements des évènements. À cet égard, l’homme a conscience qu’il est déterminé comme toute chose par le temps. L’homme peut d’ailleurs d’autant moins échapper au temps que le temps est une unité de mesure certes créé par lui, mais de façon non-arbitraire. Le temps est donc une unité de mesure objective qui traduit la façon dont la raison appréhende la suite des évènements.Dès lors, il semblerait absurde de refuser le temps, puisque ce rejet ne serait qu’un caprice de l’homme qui refuse de voir les choses en face et d’adopter une compréhension intelligente du cours des choses, sans que ce refus n’implique une modification quelconque de ce que sont les choses.

    2. Toutefois, au plan moral, le refus du temps a un sens, puisque l’homme exprime ainsi sa frustration devant un cours des évènements qu’il ne maîtrise pas et qui s’impose à lui en mettant directement en cause sa liberté. En ce sens, le refus du temps exprimerait l’angoisse de l’homme devant le sentiment paradoxal d’être à la fois libre et déterminé. Libre dans la conscience qu’il a de son existence, mais déterminé parce qu’impuissant à changer le cours des choses. Le refus du temps n’a donc peut-être aucune effectivité, mais est une réaction morale normale pour un homme qui se vit toujours sur le mode de la liberté et de la responsabilité. Loin de fuir ses responsabilités et de se réfugier dans l’ignorance, la réaction de celui qui rejette le temps serait ainsi une réaction hautement morale de révolte, pour celui qui cherche un monde meilleur.

    3.  Comment alors résorber l’écart entre un temps qui apparaît toujours incontrôlable à l’homme et sa volonté d’agir de façon autonome et responsable ? Refuser d’accepter la fatalité du temps peut semble en effet absurde pour qui est sans cesse confronté à la réalité des faits. Pourtant, à l’inverse, celui qui se plie au cours du temps, semble se déresponsabiliser au point de mettre en question toute forme de liberté. Accepter sans révolte le cours du temps revient à adopter une position fataliste moralement et politiquement dangereuse. Dès lors, il convient de ne pas considérer le temps sous l’angle d’une nécessité inacceptable. Le temps est au contraire une condition de compréhension du cours des évènements qui est donnée à l’homme afin de l’aider à rationaliser son action. Le temps est donc le support d’une liberté, dans la mesure où l’homme n’est jamais pleinement déterminé par le cours des choses, mais peut trouver dans la juste compréhension des choses le moyen de distinguer ce qui dépend de lui de ce qui lui reste inaccessible.


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  • Don Juan professe la liberté de mœurs et de pensée. Libertin dans l’âme, il n’admet de règles que celles de sa raison, et il considère au plus haut point que sa liberté dépend du libre usage de ses facultés spirituelles, c’est-à-dire que sa pensée est l’outil qui donne à sa volonté les moyens de sa réalisation. Pourtant, son destin est tragique, puisqu’il paie finalement de sa vie le prix de son audace de pensée. Faute de s’être plié aux règles morales, et parce qu’il a défié l’ordre des choses et s’est finalement égaré par la pensée, il subit le sort funeste dont le menaçait la statue du commandeur.

    Être libre de penser, est-ce alors penser ce que l’on veut ? L’exemple de Don Juan montre l’ambiguïté d’une telle phrase. Sa liberté s’affirme dans le fait qu’il pense ce qu’il veut, mais son sort funeste paraît témoigner de l’illusion que constituait ce type de liberté. Se pose ici le problème de savoir si, par nature, la pensée répond à des règles, ou si au contraire elle est une forme purement indéterminée, qui pourrait alors être l’instrument totalement plastique de la volonté.

    1. À la différence des animaux, le propre de l’homme est de développer une conscience intelligente de son monde, c’est-à-dire de posséder le pouvoir de traduire et d’interpréter intellectuellement les données factuelles qui se présentent à lui dans son expérience sensible. La pensée est donc une capacité d’analyse qui préside aux comportements humains.

    Cette capacité rationnelle fournit ainsi à l’homme le pouvoir de s’orienter, c’est-à-dire le moyen de réaliser ses volontés. Être libre de penser, c’est donc être libre de penser ce que l’on veut, c’est-à-dire être en mesure de prendre conscience de la façon dont notre volonté se rapporte à un monde réel.

    Cette façon de soumettre l’ordre des choses réelles à l’ordre des raisons spirituelles n’est d’ailleurs pas simplement une manière d’interpréter le monde : c’est également une manière d’affirmer des valeurs et du sens, c’est-à-dire que la liberté de penser est une liberté de ne pas se soumettre à des règles morales préétablies.

    2.  Néanmoins, l’homme reste un être limité, qui n’a pas nécessairement une pleine intelligence et une parfaite conscience de tout. Il se trouve donc souvent contraint de reconnaître son ignorance de certaines choses, ce qui oblige plus largement à accepter que sa liberté de pensée n’est pas une liberté totale, puisqu’il ne parvient pas toujours à penser ce qu’il voudrait.

     En outre, il semble même qu’il ne peut pas toujours penser ce qu’il veut comme il le voudrait. Autrement dit, la forme de sa pensée lui impose une interprétation rationnelle des choses, qui ne convient pas nécessairement à ses souhaits. Les modalités de sa pensée le ramènent donc sans cesse de sa volonté idéale à la réalité.

     Enfin, l’homme est un être raisonnable, c’est-à-dire un être éduqué et discipliné (moralement et politiquement). Il ne parvient donc pas toujours à affirmer ce qu’il veut, parce qu’il est retenu par les valeurs de son éducation. Il n’est ainsi, semble-t-il, libre de penser qu’en fonction de règles morales et politiques préexistantes, et non en fonction de l’usage parfaitement libre de sa volonté.

    3. Ces contraintes (le nombre limité des choses qu’il peut penser, la forme rationnelle de sa pensée, et les valeurs de son éducation) ne sont cependant pas nécessairement des handicaps qui réduisent sa liberté. On peut en effet considérer qu’elles sont des manières de donner un sens à une volonté, qui ne pourrait pas être libre sans elles. Le vouloir, qui n’a par lui-même pas de limites, trouve ainsi les moyens de devenir réel, et de ne pas vivre dans l’illusion.

    L’homme qui chercherait à penser ce qu’il veut serait donc un homme qui vivrait constamment dans l’illusion que sa pensée est nécessairement pertinente, alors qu’il est justement susceptible de se tromper. Tout au contraire, la liberté véritable de la pensée viendrait de la possibilité de ne vouloir que ce qui est possible. Le vouloir s’éduquerait parce que la pensée lui donnerait les moyens de devenir réel.

    IIIc. Cette liberté n’est toutefois pas seulement une liberté de se conformer à l’ordre du monde, dans la mesure où la pensée est le moyen du perfectionnement de soi. En apprenant à penser, l’homme apprend donc à maîtriser son monde, et se rend ainsi capable de vouloir mieux et plus de choses.


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  • Tout homme, en tant qu’homme, paraît se définir au moyen de deux caractéristiques principales : le corps et l’esprit. En effet, d’une part, un homme est, comme toute chose qui existe, un composé de matière doté d’une unité physiologique (il est un organisme vivant). Mais d’autre part, l’homme se distingue des autres choses par le fait qu’il possède une capacité de raisonnement, par le fait qu’il réfléchit et a conscience rationnellement de ce qu’il fait. À cet égard, il semble que cette conscience toute particulière qu’il a de son existence au moyen de sa raison le conduit à dépasser le caractère immédiat de cette existence. En effet, le propre de l’homme est de pouvoir se souvenir des expériences qu’il a vécu (au moyen de la mémoire) et d’être capable de se projeter dans ses expériences futures. La raison est donc un moyen pour l’homme d’avoir un rapport très particulier à son existence puisqu’il la comprend et ne la subit pas aussi directement que s’il ne possédait pas cette capacité d’analyse rationnelle.

    Or, toute la difficulté  tient à ce qu’induit cette analyse. En effet, en se comprenant dans un milieu de vie, l’homme semble posséder le moyen d’être libre et de disposer de son existence. Plus exactement, lorsque l’homme analyse les modalités de son existence, il tente de comprendre le pourquoi des évènements qui lui arrivent et il saisit comment son action résulte de causes qui le poussent et le déterminent. Il peut donc vouloir agir pour orienter ces causes déterminantes dans un sens plutôt que dans un autre. Bref, il résulte de sa capacité d’analyse une forme de sentiment de liberté selon lequel il croit pouvoir faire ce qu’il veut. Tout le problème devient donc de savoir ce qu’il peut face aux causes qui le poussent à agir. Nous ne pourrons dire que l’homme est libre que si nous évaluons sa capacité à s’affranchir des déterminations qui pèsent sur lui, c’est-à-dire si nous parvenons à savoir dans quelle mesure il peut devenir lui-même la cause de son action, indépendamment de causes qui lui échappent. La liberté résulte donc d’une forme de paradoxe rationnel selon lequel l’homme sait à la fois qu’il dépend d’un ordre des choses qu’il ne choisit pas et pense qu’il a la capacité de dominer en partie ou totalement cet ordre pour l’orienter à sa guise.

    1.Nous pouvons d’abord dire que l’homme se sent libre car il comprend ce qui lui arrive, c’est-à-dire qu’il possède une capacité de raisonnement qui lui permet de prendre la mesure des causes qui pèsent sur lui pour savoir comment agir sur elles. Cette intelligence lui permet donc de faire des choix dans son action, de déterminer son corps au moyen de son esprit pour agir librement . En ce sens, la liberté se réalise dans le fait qu’il existe conformément à ce que son esprit a prévu et à ce que son corps vit et expérimente .

    2.Toutefois, le sentiment de liberté qu’il a n’est peut-être qu’une illusion de la raison. En effet, si nous considérons le fait que l’ordre des choses s’impose au corps de l’homme, il semble que le choix qu’il fait ne se fait qu’en fonction de conditions qu’il n’est pas lui-même capable de changer . En outre, le choix qu’il fait lui-même paraît déterminé par ce qu’il a été et par ce qu’il a appris puisque la raison ne lui permet que d’assumer volontairement ce qui s’impose extérieurement. Ainsi, la liberté ne serait qu’une illusion provoquée par l’absence de connaissance précise des facteurs déterminants, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de liberté véritable mais seulement une marge d’ignorance de ce qui nous a poussé à faire des choix.

    3. Il semble néanmoins possible de comprendre la liberté autrement que comme une pure capacité de choix indépendamment de toute cause déterminante. En effet, si nous réalisons qu’aucun choix n’est absolu mais se fait toujours en fonction de causes que l’homme subit, nous en venons à redéfinir la liberté comme la compréhension des causes agissant sur l’homme. Cela veut donc dire que la liberté n’est pas une propriété corporelle mais spirituelle selon laquelle l’homme est capable de justifier ce qu’il fait, c’est-à-dire ce qu’on lui impute comme choix . Dès lors, nous pouvons dire que l’homme est libre parce qu’il est le seul être qui ne résume pas son existence à un présent immédiat mais se pense comme responsable de son action et des conséquences de cette action .


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  • Dans Matrix 1, Néo, le héros, est séquestré pas la police politique de l’univers virtuel, « la Matrice ». Il demande à pouvoir téléphoner, conformément à ses droits, mais constate juste après l’avoir dit qu’il ne peut plus ouvrir la bouche : son visage a été modifié par l’agent qui lui répond qu’il ne sert à rien de téléphoner lorsque l’on n’est pas en mesure de parler. La scène pourrait être triviale, mais elle interroge la notion même de liberté en ce qu’elle a de plus fondamental : classiquement définie comme pouvoir de faire ce que l’on souhaite, à quoi rime une liberté qui se trouve sans cesse bornée par notre pouvoir fini, par les limites de notre corps et les faiblesses de notre esprit ?

    À cet égard, l’expression « perdre sa liberté » révèle toute son ambiguïté. En effet, cette expression ne semble avoir un sens que si elle correspond à une réalité. Pas de liberté sans pouvoir pourrions-nous dire. Toutefois, nous constatons également que toute nos actions peuvent se penser sur le mode du déterminisme, dans la mesure où nous pouvons les expliquer à partir de causes qui pèsent sur notre volonté, et non simplement à partir de nos raisons libres d’agir. En ce sens, nous avons bien un sentiment de liberté, mais ce sentiment ne correspond à aucun pouvoir réel. Perdre sa liberté reviendrait alors à perdre non un pouvoir mais une idée. L’expression aurait-elle alors encore un sens, ou ne serait-elle qu’une façon de parler dépourvue de signification profonde ?

    1. Comme semble le dire Hobbes, la liberté semble dépendre de la capacité à modifier l’ordre des choses selon ses désirs,  ce qui semble induire le fait que perdre sa liberté, c’est perdre sa capacité à exprimer des désirs et à pouvoir les réaliser, c’est-à-dire se voir entravé dans le mouvement de son corps et dans sa capacité de pensée.

    2. Néanmoins, une telle liberté comme indépendance de soi (corps et esprit) vis-à-vis de l’ordre causal du monde relève peut-être d’une illusion, puisque nous pouvons constater que la liberté que nous croyons posséder ainsi n’est que le fruit de notre ignorance des causes qui nous poussent à agir, comme le montre Leibniz dans la perspective de la Monadologie. Dès lors, peut-être faut-il redéfinir la liberté comme la capacité à comprendre ce qui nous détermine, c’est-à-dire qu’être libre signifierait pouvoir comprendre ce qui nous pousse à agir pour ne plus le subir passivement. Nous devons alors reconnaître que perdre sa liberté, c’est perdre son discernement, c’est-à-dire ne pas pouvoir être autonome au sens de Rousseau.

    3. Toutefois, une telle compréhension de la liberté semble faire de nous non les maîtres de nos actes, mais les spectateurs de ce qui nous arrive,ce qui semble contredire les sentiment que nous avons de notre liberté profonde comme capacité à être cause de nous-mêmes, c’est-à-dire à changer l’ordre des choses et à agir volontairement sans être déterminés, ce que montre bien Sartre dans la capacité que nous avons de refuser l’imposition d’une cause extérieure à nous-mêmes. Dès lors, avec Sartre, nous devons plutôt penser que la perte de la liberté correspond à une perte de l’humanité, dans la mesure où l’homme perd ainsi ce qui le distingue d’une chose inanimée : il perd la capacité à penser les fins de son action.


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