• La spectaculaire augmentation de la taille du cerveau humain a commencé il y a 2.5 millions d'années et a atteint le volume présent, de 1350 cc, il y a 100 000 ans quand l'Homo Sapiens-Sapiens était encore assez primitif comparé à l'homme moderne. Parmi tous les avantages d'avoir un plus grand cerveau, qui ont pu entraîner l'évolution de l'homme, la faculté d'apprendre en imitant les actes réussis des autres humains, semble avoir été la plus décisive car elle a permis l'accumulation de découvertes et d'inventions. Des connaissances précieuses telles que comment fabriquer des outils en pierre, comment chasser divers animaux et comment utiliser le feu, ont été transmises par imitation bien avant que l'homme n'ait développé le langage. Le partage de la collection accumulée de telles "unités de connaissance" entre tous les membres d'une communauté (par leurs réplication d'un cerveau à un autre), a déterminé le mode de vie (ou culture), de chaque groupe.

    Le développement graduel de la capacité de l'homme de se créer des représentations mentales de son environnement et de les échanger avec ses pairs a été essentiel à sa capacité de fonctionner efficacement en groupe. Un homme qui n'avait jamais vu un éléphant pouvait néanmoins participer à la préparation de la chasse à l'éléphant si un autre homme utilisait le langage pour lui décrire un tel animal. Une fois défini, le nom verbal de l'éléphant introduisait l'image d'un éléphant dans la simulation du monde stockée dans son cerveau. De la même manière, l'univers de cet homme contiendrait des licornes si quelqu'un lui avait dit à quoi ressemblaient les licornes, bien que de tels animaux n'aient jamais existé dans la réalité. La capacité accrue de l'homme à conceptualiser, a entraîné sa capacité à construire dans son cerveau, des mondes virtuels sans aucun rapport de correspondance avec le monde réel qui l'entoure.

    Le gros cerveau de l'homme, et plus particulièrement ses grands lobes frontaux, lui ont donné la capacité d'associer des concepts ensemble et d'approfondir sa conscience de lui-même bien au-delà du moment présent afin de se projeter en avant dans le temps. Sa capacité à créer une "réalité virtuelle" dans son esprit n'était pas aussi élaborée que les simulateurs de vols d'aujourd'hui, mais le résultat était le même: un environnement en trompe oeil où il pouvait tester sans risque les actions à exécuter plus tard dans le monde réel extérieur. Cette capacité à projeter des scénarios d'action imaginaires dans le futur et de les communiquer aux autres membres de son groupe pour coordonner leurs actions plaçait l'homme bien en avant de tous les autres animaux qui n'avaient que leur instinct ou que des réactions accidentellement conditionnées pour les guider. C'était probablement cet avantage décisif qui a permis aux humanoïdes Sapiens-Sapiens d'étendre leur zone géographique en facilitant leur adaptation à des environnements très variés. Cette considérable supériorité explique peut être aussi pourquoi les Sapiens-Sapiens ont pu remplacer complètement ou absorber les Néandertaliens moins doués qui ont disparu il y a environ 50 000 ans.

    Le Cannibalisme est très commun à tous les animaux carnivores et il a survécu parmi les humains jusqu'à une époque relativement récente. Nous avons donc toutes les raisons de penser que nos ancêtres éloignés ne laissaient pas la bonne viande se gaspiller inutilement. Nous avons trouvé cependant que l'Homo Sapiens-Sapiens a commencé à enterrer ses morts il y a environ 50 000 ans, au lieu de les manger ou de les laisser aux autres carnivores. Nous pouvons spéculer que l'enterrement des morts est peut être un signe que l'homme pensait que la mort n'avait pas le même sens pour lui que pour les autres animaux.

    Nous pouvons aussi imaginer que sa conscience accrue de lui-même et sa supériorité sur les autres animaux, ont fait qu 'il était intolérable pour lui de se rendre compte que sa propre mort était aussi irrévocable que celle de tous les autres êtres vivants autour lui. Il n'est pas déraisonnable de penser que l'homme a réagi à ce trauma en utilisant sa capacité conceptuelle extraordinaire pour refuser cette réalité douloureuse en imaginant une autre vie "dans un terrain de chasses heureuses". L'enterrement des cadavres aurait pu n'être qu'un signe du respect des survivants pour le défunt, mais l'inclusion d'outils rares et d'objets utiles dans les tombes implique l'espoir qu'ils soient d'une façon ou d'une autre utilisés par leur ancien propriétaire, en dépit de toutes les attentes raisonnables basées sur l'évidence physique de la chair en putréfaction. Les mèmes de ces croyances irrationnelles d'un monde "surnaturel" idéalisé se sont vite répliqués car ils donnaient l'espérance d'une vie éternelle contre très peu ou pas d'effort.

    La capacité de l'homme à se projeter dans l'avenir a naturellement ouvert le voie aux interrogations sur son passé. Il a dû se demander d'où il était venu, avec tout ce qui était autour de lui, aussitôt que la "réalité virtuelle" dans son esprit a étendu son horizon au-delà du moment immédiat. Il a probablement imaginé toutes sortes de réponses, mais les premières que nous connaissons, ont été enregistrées il y a seulement environ 5000 ans quand il a inventé l'écriture. C'est une très courte période dans l'échelle du temps depuis que nos premiers ancêtres se distingués des primates en marchant debout il y a 5 million d'années. Comparé à l'échelle de la vie d'un homme, cela représente moins d'un mois! Ces chiffres nous rappellent que nos premières hypothèses sur l'origine de l'univers sont encore très récentes. Nous sommes encore très nouveaux au jeu de chercher à comprendre l'univers.

    La conscience de soi de l'homme et son aptitude à manier des "réalités virtuelles" couvrant de longues périodes de temps lui ont donné un énorme avantage sur ses cousins primates dont les cerveaux moins sophistiqués pouvaient modéliser à peine plus que le moment présent. Cet éveil l'a aussi probablement laissé terrifié par l'immensité de l'univers qu'il pouvait maintenant découvrir. Comprendre le comportement des animaux avait été assez simple car il pouvait les comparer à lui-même mais il n'avait pas de telle référence quand il s'agissait de comprendre les forces de la nature qui l'impressionnaient le plus, le soleil, le vent, la pluie et le tonnerre, la fertilité qui crée la vie et la mort qui lui met fin.

    Il était donc naturel pour l'homme d'inventer des références anthropomorphiques pour représenter les forces le plus importantes de la nature dans son modèle subjectif de l'univers. Ainsi il a inventé l'esprit du tonnerre qui était à l'image d'un homme très puissant mais invisible, et il l'a appelé Dieu du tonnerre, Thor ou Zeus, ou Jupiter etc. De même, les forces abstraites comme la fertilité, la mort, l'amour, l'ordre, etc., ont donné naissance à des déesses et des dieux équivalents. Il importait peu qu'il n'y ait pas de tels êtres dans le monde réel pourvu que leurs images dans l'univers subjectif de chaque homme remplisse un vide et rende cet univers opérationnel.

    Dans chaque communauté primitive, les individus les plus doués pour inventer des dieux et déesses appropriés comme références des forces de la nature, et les histoires les plus crédibles sur leur interactions entre eux et avec l'humanité, pouvaient se bâtir une influence considérable parce que les explications réconfortantes qu'ils donnaient réduisaient le niveau d'anxiété et de stress de toute la tribu. Des ensembles de mèmes se soutenant mutuellement (mèmeplexes), qui décrivaient les êtres surnaturels et leur comportement avec une foule de détails pouvaient être facilement propagés et entretenus par des individus astucieux prétendant avoir un accès privilégié au monde spirituel. De telles aptitudes spéciales étaient souvent transmises de père en fils, créant des lignées de "détenteurs-du-savoir" que nous appellerions aujourd'hui chamans, guérisseurs ou prêtres. L'échange de telles "connaissances spéciales" entre les chamans de différentes tribus a naturellement conduit à l'élaboration d'ensembles plus ou moins uniformes de croyances communes aux groupes de tribus partageant la même langue et la même culture. L'essentielle valeur de ces croyances était leur effet sur ceux qui les adoptaient. Les religions étaient nées.

    Les religions semblent avoir été basées à l'origine surtout sur le besoin humain d'un refuge contre les dures réalités de la vie mortelle, et peut-être dans une moindre mesure, sur son besoin de connaissance. Elles ont cependant vite donné naissance à des systèmes sociaux et des structures de pouvoir basés sur les "Vérités Divines" que les rares initiés prétendaient détenir sur la nature de l'univers, et plus important encore, sur un au-delà où la bonne conduite est récompensée et où la désobéissance est punie.


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  • Ce que nous connaissons de notre environnement a fait un bon bout de chemin depuis que l'homme s'est aperçu, il y a des milliers d'années, que la terre était ronde et non pas plate! Une autre avancée majeure est survenue il y a seulement 500 ans avec l'acceptation du fait que la terre n'était pas le centre de l'univers mais seulement une des nombreuses planètes en orbite autour du soleil. Un autre pas nous libérant d'une pensée qui prend des souhaits anthropocentriques pour la réalité, fut de reconnaître que le soleil n'était qu'une des innombrables étoiles qui semblent occuper des positions fixes en arrière plan des mouvements de la terre. Puis nous avons finalement découvert que la plupart des taches scintillantes dans le ciel n'étaient pas des étoiles mais des galaxies: des amas éloignés contenant des millions de "soleils" s'éloignant dans toutes les directions, à des vitesses qui augmentent avec leur distance dans un univers en expansion. La plus grande partie de ce que nous savons, a été découvert au cours du dernier siècle, comme conséquence du développement des théories de la relativité restreinte et générale et de la mécanique quantique.

    En retraçant le processus d'expansion de l'univers à l'envers, nous arrivons à la source d'origine ponctuelle d'où l'espace, le temps, l'énergie et la matière sont apparus à partir de rien avec le "Big Bang", il y a quelques 15 milliards d'années. Ceci n'est qu'une théorie mais elle est bien acceptée par la communauté scientifique parce qu'elle explique tous les faits observables mieux que toute autre théorie. Le point initial, source d'un intense rayonnement énergétique s'est refroidi pendant son expansion, engendrant une variété de particules fondamentales qui se sont à leur tour fondues en hydrogène et en hélium après qu'une inflation soudaine ait encore réduit la température du plasma. Ces gaz ont formé des nébuleuses sous l'influence de leur attraction mutuelle et se sont effondrés en des étoiles où ils ont été transformés en carbone, oxygène et autres éléments lourds par fusion nucléaire. Les étoiles ont alors évolué différemment selon leurs masses. Certaines se sont éteintes quand elles eurent épuisé leur combustible nucléaire et les autres ont explosé, en engendrant des éléments encore plus lourds expulsés en nuages de poussière qui à leur tour s'effondreront sous l'influence de la gravité pour donner naissance à de la matière interstellaire et de nouvelles étoiles.

    C'est de cette façon que notre système solaire s'est formé. Les divers atomes de la terre et de nos corps ont été produits par la fusion de l'hydrogène dans le centre d'étoiles qui sont nées, ont vécu et se sont éteintes il y a des milliards d'années. Les cratères de la surface de la lune nous donnent une idée de la façon que les planètes ont été formées par l'agglomération par collision de matières interstellaires gravitant autour du soleil. La lune a perdu tous les gaz qu'elle avait pu avoir à cause de sa faible masse mais la terre, beaucoup plus massive, a retenu son atmosphère qui contenait initialement surtout du méthane (CH4), de l'ammoniaque (NH3), de l'acide carbonique (CO2), et de la vapeur d'eau. Quand l'intense activité météorique s'est apaisée, il y a environ quatre milliards et demi d'années, le cycle de l'eau des nuages aux océans a effacé les traces impressionnantes qu'on voit toujours sur la lune. Les éléments chimiques lessivés des terres se sont accumulés dans les océans.

    Nous pouvons présumer sans risque d'erreur que tous les composées chimiques qui auraient pu possiblement exister de façon stable dans les conditions de l'époque, ont fini par être formés au cours des cinq cents millions d'années qui ont suivi. L'occurrence naturelle des acides nucléiques n'était donc pas seulement probable; elle était inévitable. Les acides nucléiques tendent naturellement à se joindre entre eux pour former des chaînes, ou polymères, qui croissent à leurs deux extrémités. Éventuellement, de telles chaînes deviennent trop longues et se rompent en des morceaux qui reprennent leur croissance en récupérant de leur environnement les acides nucléiques requis. De cette façon, ces molécules reproduisaient la structure qui les caractérisait. Les premiers réplicateurs étaient nés, il y a probablement quatre milliards d'années. Toutes les molécules réplicatives possibles avaient eu amplement de temps pour faire leur apparition mais celles qui se répliquaient le plus efficacement sont devenues plus nombreuses et avaient plus de chance d'accrocher les acides nucléiques disponibles que les autres molécules concurrentes moins prolifiques. Les copies reproduites n'étaient pas toujours exactes. Les mutations qui étaient moins efficientes tendaient à disparaître mais celles qui présentaient une meilleure adaptation à la "soupe chimique" environnante prospéraient et leurs descendantes se multipliaient pour finir par dominer chacun de leurs environnements respectifs.

    Ces structures chimiques reproductives sont devenues de plus en plus complexes pendant les prochains 500 millions d'années et ont fini par former des membranes pour s'enfermer dans un environnement favorable en contrôlant le passage des éléments chimiques à travers les parois de leur cellule. Ces entités cellulaires, dans lesquelles un grand nombre de diverses molécules complexes interagissaient de façon coopérative, peuvent être appelées les premiers organismes vivants. Elles acquirent une certaine autonomie en isolant l'environnement intérieur de la cellule du monde extérieur. Ainsi protégées à l'intérieur de la cellule, les molécules réplicatives pouvaient continuer à développer des structures complexes qui n'aurait pas pu exister en équilibre avec l'environnement extérieur. Les mutations pendant des milliards d'années ont conduit à la diversité requise pour occuper toutes les niches écologiques disponibles. Les réplicateurs qui produisaient le plus grands nombre de copies des instructions permettant de les fabriquer dominèrent leurs niches respectives et les autres disparurent. Des restes fossiles de grandes colonies de tels êtres unicellulaires ont été datés d'au moins 3.5 milliards d'années.

    Ces êtres unicellulaires furent la seule forme de vie pendant encore 1000 millions d'années au cours desquelles la molécule d'acide désoxyribonucléique (ADN), en double hélice, est devenue le réplicateur de structures héritées prédominant. Ils ont donné naissance à la plupart des bactéries d'aujourd'hui. Il y a environ 2.5 milliards d'années, une branche s'est détachée en intégrant un partenaire symbiotique pour développer de nouvelles façons de traiter l'énergie. Ces nouveaux types d'êtres unicellulaires, appelés eucaryotes, contenaient des structures appelés mitochondries, spécialisées dans la conversion de l'énergie, qui avaient leur propre ADN. Pendant les 1.5 milliards d'années qui ont suivi, les eucaryotes eurent tout le temps requis pour évoluer en une variété innombrable de formes contenant au moins deux jeux de structures héritées. Dans le cas des algues bleu-vert, le chloroplaste coopératif (molécule captant la lumière comme la chlorophylle), utilise l'énergie du soleil pour alimenter les processus cellulaires en énergie, y compris la reproduction du réplicateur hôte.

    Il y a peut-être un milliard d'années, les mutations des instructions génétiques portées par l'ADN ont conduit à la production d'entités pluricellulaires composées de cellules spécialisées travaillant ensemble pour assurer la réplication de leurs gènes communs. Après une longue période de maturation, ce nouveau modèle pluricellulaire de vie a éclaté en une variété infinie de formes, il y a environ 600 millions d'années, occupant toutes les niches écologiques possibles avec une multitude de plantes, d'insectes et de vie animale.

    Selon ce scénario, la forme spécifique de vie qui prévalait dans chaque niche était l'agent le plus efficace pour la reproduction de gènes dans cette niche, à ce moment précis. Les gènes dominants dans chaque niche étaient ceux dont la réplication introduisait des mutations génétiques, entraînant la sélection naturelle des mutants les plus prolifiques dont les gènes étaient alors transmis aux générations futures. L'action de ces trois facteurs sur plusieurs millions de générations a entraîné l'émergence de nouvelles variétés et finalement de nouvelles espèces. Après l'apparition de la vie pluricellulaire, ce processus d'évolution a eu encore 600 millions d'années pour mettre en place les conditions d'émergence des premiers ancêtres de l'homme.

    On pense que le premier proto-hominidé, qui est apparu il y a environ 8 millions d'années, a marché à quatre pattes pendant 3 millions d'années jusqu'à ce que l'Australopithecus Afarensis, dont le cerveau avait un volume de 300 centimètres cubes, a commencé à marcher debout il y a environ 5 millions d'années. Encore deux millions d'années d'évolution graduelle se sont écoulés avant que l'hominidé Australopithecus Africanensis ne laisse des crânes fossilisés montrant un cerveau agrandi de 400 centimètres cubes. Un million d'années plus tard, l'Homo Habilis est venu sur scène avec un cerveau encore plus grand de 600 à 750 centimètres cubes. Nous l'appelons "Habilis" parce qu'il avait appris à utiliser des outils primitifs il y a environ deux millions d'années. Il a été vite suivi par l'Homo Erectus dont le grand cerveau (800 à 900 cc), a commencé à développer des lobes frontaux il y a environ 1.7 million d'années. L'Homo Erectus a graduellement évolué en Homo Sapiens, avec un énorme cerveau de 1200 cc, il y a environ 400 000 ans. Il y a environ 200 000 ans, la branche Neanderthalis de l'Homo Sapiens a commencé à se répandre hors d'Afrique. Il a été suivi, il y a environ 130 000 ans, par l'Homo Sapiens-Sapiens, notre ancêtre. Les mutations du cerveau qui ont apporté les avantages évolutionnaires, favorisant la survive et la reproduction de nos ancêtres éloignés, ont augmenté la taille de leur cerveau jusqu'à plus de trois fois celle des autres grands primates.


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  • Depuis l’aube de la civilisation, l’humanité contemple le ciel avec un enchantement mêlé d’effroi. La nature crée puis elle détruit. Cette duplicité a polarisé notre vision du cosmos. Confrontés à l’imprévisibilité des phénomènes naturels et à leurs manifestations contradictoires, nous en avons attribué la responsabilité aux dieux. Bref, nous avons déifié la nature.

    Toutes les cultures ont tenté d’expliquer le mystère de l’existence du monde. Notre tradition scientifique ne fait pas exception. Les hypothèses de la recherche présentent d’ailleurs de surprenantes similitudes avec les suggestions avancées par les mythes. A cette différence près: la recherche scientifique évince les explications qui ne cadrent pas avec l’observation, tandis que la foi suffit à cautionner le mythe.

    Les mythes de la Création se rangent en deux catégories: ceux pour lesquels le cosmos est apparu à un moment précis marquant le début de l’histoire, et ceux pour lesquels le cosmos a toujours été là. Les premiers partagent une conception linéaire du temps: le récit a un début, un milieu et, dans l’enseignement chrétien, une fin. Pour les seconds, le temps ne compte pas ou bien il est cyclique. A l’intérieur de ces deux catégories, règne une diversité foisonnante. Les mythes «sans Création» offrent deux variantes: soit le cosmos est éternel et incréé, comme dans le jaïnisme indien, soit il est cyclique, continuellement créé et détruit, ce qui, dans la tradition hindoue, est joliment symbolisé par la danse de Shiva.

    Les mythes «avec Création» sont de loin les plus courants. Tantôt, ils mettent en jeu une ou plusieurs divinités qui créent le monde, comme dans la Genèse judéo-chrétienne. Tantôt, le monde se façonne à partir du néant, sans intervention divine. C’est ce qu’expriment les Maoris de Nouvelle-Zélande en chantant: «A partir du rien l’engendrement, à partir du rien l’accroissement…» Enfin, dernier cas de figure: le monde sort spontanément d’un chaos primordial dans lequel coexistaient l’ordre et le désordre, l’être et le non-être.

    L’idée d’une Création-événement, d’essence religieuse, imprègne la pensée scientifique depuis sa naissance dans la Grèce antique du vie siècle avant notre ère. S’interrogeant sur les mécanismes physiques qui ont produit le monde et contrôlent ses évolutions, de nombreux philosophes grecs ont postulé l’existence d’un principe d’organisation fondé sur un dessein rationnel. Platon parle d’un «démiurge», Aristote d’un «premier moteur non mû». Platon, héritier fidèle de la tradition pythagoricienne, conçoit l’univers comme une manifestation du Nombre, agencé et combiné pour créer les harmonies perçues par les sens. La Création-événement compte moins, au fond, que la capacité de la raison à appréhender le fonctionnement de la nature. Dans sa quête d’un sens rationnel, le philosophe accède, en fait, à un plan plus élevé: celui de l’esprit du démiurge. Comprendre la nature, c’est comprendre Dieu, ou la raison divine.

    Avec la Renaissance et l’avènement de la science moderne, cette tradition a resurgi en Occident. Tous les grands savants de la «révolution copernicienne» étaient, à des degrés divers, imprégnés de religion. Ils ne dissociaient pas leur œuvre scientifique de leur foi. Copernic, lui-même, chanoine de la cathédrale de Frauenberg, en Pologne, cherchait simplement à concilier l’agencement des sphères célestes et cet idéal platonicien du mouvement circulaire parfait, à vitesse constante. Sa conception du système solaire réalisait un élégant compromis entre l’ancien et le nouveau – un œil sur Platon, un autre sur les principes esthétiques de son temps. Il avait d’ailleurs dédié son grand ouvrage, De revolutionibus orbium cœlestium, au pape Paul III, dans l’espoir que l’Eglise admettrait la nécessité de réinterpréter les Ecritures à la lumière de la nouvelle astronomie.

    La révolution copernicienne triomphe grâce aux œuvres de Giordano Bruno et surtout à celles de Galilée et de Kepler. Ce dernier était profondément influencé par la tradition pythagoricienne et sa mystique du nombre, qui voit, dans la géométrie, la clé de l’harmonie cosmique. Ses trois lois du mouvement des planètes montrent comment un grand esprit parvient à des résultats en se fondant sur un système de croyance tempéré par l’analyse des faits.

    Les célèbres démêlés de Galilée avec l’Eglise catholique étaient, eux aussi, le résultat de sa foi. Pieux et (trop) sûr de lui, Galilée se donnait pour mission de réorienter la théologie chrétienne en prêchant aux dignitaires de l’Eglise l’importance de la cosmologie nouvelle. Le choc était inévitable. En 1633, Galilée dut abjurer le système copernicien. Mais dès 1687, Isaac Newton formulait ses trois lois du mouvement et sa théorie de la gravitation universelle, ce qui facilitera l’acceptation rapide de l’héliocentrisme. Pour Newton, l’extension infinie et la conception sublime du cosmos manifestent la gloire de Dieu.

    Au xxe siècle, l’univers courbe s’impose. Cette nouvelle conception est issue de la théorie d’Einstein. Celle-ci montre que la matière et l’énergie peuvent incurver l’espace et modifier l’écoulement du temps, dotant l’un et l’autre d’une plasticité sans précédent. Ce que corrobore Edwin Hubble de façon spectaculaire, quand il établit, en 1929, l’expansion de l’univers. La question des origines revient hanter la science. Si l’univers est en expansion, il a donc existé un moment où la totalité de la matière était comprimée en un tout petit volume. L’univers a bien eu un commencement.

    Pourtant, une ultime dissension vient troubler cet unanimisme: l’université de Cambridge propose une «théorie de l’état stationnaire», selon laquelle l’univers n’a jamais eu de début dans le temps. Mais quand on découvre, dans les années soixante, que l’ensemble du cosmos baigne dans un rayonnement de micro-ondes, la cosmologie doit se résoudre à abandonner ce modèle. Celui du big-bang, plus compatible avec l’ensemble des données scientifiques, s’impose alors.

    La science peut-elle résoudre l’énigme immémoriale de la Création? Elle n’hésite plus, depuis les années 70, à proposer des modèles physiques pour décrire l’origine du cosmos. Mais chacun d’entre eux se heurte au même obstacle technique: on ne dispose d’aucune théorie capable d’intégrer les fantastiques quantités d’énergie qui prévalent aux premiers instants de l’histoire cosmique. En attendant mieux, tous nos modèles restent de simples «récits scientifiques de création», qui laissent filtrer, recyclés dans le jargon scientifique, des thèmes ancestraux. Selon certaines versions, l’univers naît du «rien», c’est-à-dire d’un vide quantique peuplé de toutes sortes de fluctuations éphémères d’énergie. Selon d’autres, le chaos préside aux origines, avant que n’émerge un cosmos ordonné en trois dimensions.

    Certains de ces modèles formulent des hypothèses sur les propriétés mesurables de l’univers, lesquelles, en retour, permettent d’affiner la représentation. Mais ces mêmes mesures peuvent aussi bien justifier des modèles concurrents. A ce stade, un «bon» modèle serait, à la fois, compatible avec les observations et ouvert aux changements. La recherche scientifique est un processus continu – elle ne délivre pas de vérités définitives, seulement une approche de la vérité.

    Dans son état actuel, la science n’est même pas en mesure de répondre aux questions concernant ses propres fondements: pourquoi l’univers se conforme-t-il aux lois que nous avons découvertes et pas à d’autres? Nous ne le savons pas. Et cette incomplétude suggère une nouvelle forme de complémentarité entre la science et la religion. La religion n’est pas là pour combler les lacunes de notre savoir. C’est l’une des forces motrices de l’inspiration scientifique. Dans notre effort pour connaître, nous révélons notre vraie nature, aiguillonnée par cette même expérience du mystère qui frappait nos ancêtres d’une terreur sacrée.


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