• L'expression - perdre sa liberté - a-telle un sens ?

    Dans Matrix 1, Néo, le héros, est séquestré pas la police politique de l’univers virtuel, « la Matrice ». Il demande à pouvoir téléphoner, conformément à ses droits, mais constate juste après l’avoir dit qu’il ne peut plus ouvrir la bouche : son visage a été modifié par l’agent qui lui répond qu’il ne sert à rien de téléphoner lorsque l’on n’est pas en mesure de parler. La scène pourrait être triviale, mais elle interroge la notion même de liberté en ce qu’elle a de plus fondamental : classiquement définie comme pouvoir de faire ce que l’on souhaite, à quoi rime une liberté qui se trouve sans cesse bornée par notre pouvoir fini, par les limites de notre corps et les faiblesses de notre esprit ?

    À cet égard, l’expression « perdre sa liberté » révèle toute son ambiguïté. En effet, cette expression ne semble avoir un sens que si elle correspond à une réalité. Pas de liberté sans pouvoir pourrions-nous dire. Toutefois, nous constatons également que toute nos actions peuvent se penser sur le mode du déterminisme, dans la mesure où nous pouvons les expliquer à partir de causes qui pèsent sur notre volonté, et non simplement à partir de nos raisons libres d’agir. En ce sens, nous avons bien un sentiment de liberté, mais ce sentiment ne correspond à aucun pouvoir réel. Perdre sa liberté reviendrait alors à perdre non un pouvoir mais une idée. L’expression aurait-elle alors encore un sens, ou ne serait-elle qu’une façon de parler dépourvue de signification profonde ?

    1. Comme semble le dire Hobbes, la liberté semble dépendre de la capacité à modifier l’ordre des choses selon ses désirs,  ce qui semble induire le fait que perdre sa liberté, c’est perdre sa capacité à exprimer des désirs et à pouvoir les réaliser, c’est-à-dire se voir entravé dans le mouvement de son corps et dans sa capacité de pensée.

    2. Néanmoins, une telle liberté comme indépendance de soi (corps et esprit) vis-à-vis de l’ordre causal du monde relève peut-être d’une illusion, puisque nous pouvons constater que la liberté que nous croyons posséder ainsi n’est que le fruit de notre ignorance des causes qui nous poussent à agir, comme le montre Leibniz dans la perspective de la Monadologie. Dès lors, peut-être faut-il redéfinir la liberté comme la capacité à comprendre ce qui nous détermine, c’est-à-dire qu’être libre signifierait pouvoir comprendre ce qui nous pousse à agir pour ne plus le subir passivement. Nous devons alors reconnaître que perdre sa liberté, c’est perdre son discernement, c’est-à-dire ne pas pouvoir être autonome au sens de Rousseau.

    3. Toutefois, une telle compréhension de la liberté semble faire de nous non les maîtres de nos actes, mais les spectateurs de ce qui nous arrive,ce qui semble contredire les sentiment que nous avons de notre liberté profonde comme capacité à être cause de nous-mêmes, c’est-à-dire à changer l’ordre des choses et à agir volontairement sans être déterminés, ce que montre bien Sartre dans la capacité que nous avons de refuser l’imposition d’une cause extérieure à nous-mêmes. Dès lors, avec Sartre, nous devons plutôt penser que la perte de la liberté correspond à une perte de l’humanité, dans la mesure où l’homme perd ainsi ce qui le distingue d’une chose inanimée : il perd la capacité à penser les fins de son action.


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