• Tous les folkloristes, Mistral le premier, connaissaient la "cabro d'or; trésor ou talisman que le peuple croit avoir été enfoui par les SArrasins sous l'un des antiques monuments  de la Provence.(...) A Laudun (Gartd), on disait que le 24 juin, sur la montagne de Saint -Jean s'ouvrait à minuit un antre profond d'ou s'elancait la Chèvre d'or. (Trésor du Felibrige) Cette légende de la Cabre d'or attribua  son nom au village d'Orsan (Gare) aux traces que la chèvre aurait laissé lors de la traversée du passage du loup; des lambeaux de toison d'or et de sang furent, dit on, retrouvés sur les rochers.
     A Barre des Cevennes, une "chevre en or", serait cachée dans un souterrain reliant le Castelas de Barre au Chateau de Terre-Roude situé sue le Can de l'Hospitalet, à proximité de la grande route Nimes-Saint-Flour. L'entrée de ce souterrain se trouverait dans une grotte.

    « Selon la tradition un roi Maure venu d'Espagne avait tenté en vain de s'emparer des Baux. Abd al-Rhaman emportait dans sa fuite un butin qu'il voulut mettre à l'abri provisoirement. Il pénétra dans le Val d'Enfer et aperçut l'entrée d'une grotte, le « Trou des fées ». Riant des mises en garde de son serviteur, il choisit dans un troupeau qui paissait une petite chèvre blanche pour lui montrer le chemin. Il fut assailli par une multitude de chauves-souris très agressives, qui l'obligèrent à pénétrer dans un antre éclairé de torches où vivait la sorcière Taven, « la masco ». Celle-ci l'oblige à poursuivre son chemin en pénétrant dans le voile brumeux qui l'enveloppait. Le Maure y aperçut un trou devant lequel sept chats montaient la garde. Il y entra et découvrit une nouvelle galerie souterraine où la masco préparait ses filtres et potions.

    La sorcière lui tendait trois fioles contenant chacune un liquide. L'une était en forme de fleur, l'autre en forme de boule blanche, la troisième en forme de croc, et lui conseilla de se fier à l'instinct de sa chèvre. La petite chèvre s'engagea dans le passage de gauche et Abd al-Rhaman dut lui emboiter le pas sans que la masco ait eu le temps de l'avertir des risques qu'il y encourait. Il marcha dans un long corridor puis pénétra dans une chambre où poussait une gigantesque mandragore à la silhouette et au visage humains. Elle emprisonna l'intrus et tenta de l'étouffer entre ses dix bras mouvants. Le Maure jeta quelques gouttes de la fiole en forme de fleur sur son adversaire qui, aussitôt, relâcha son étreinte et périclita.

    Après avoir descendu les marches d'un escalier vertigineux tous deux arrivèrent dans une salle peuplée de fantômes. Abd al-Rhaman choisit alors de déboucher la fiole en forme de boule blanche et en aspergea les revenants qui disparurent immédiatement. Les deux protagonistes continuèrent d'avancer à tatons et finirent par apercevoir une lueur rougeâtre. « Le soleil » s'écria le Maure, qui se précipita en avant mais la chèvre refusa de l'accompagner. Il la força à le suivre et ayant remarqué une excavation à l'arrière d'un rocher, il estima avoir trouvé la cachette qu'il cherchait. Il y entassa les pièces d'or, les bijoux d'argent, les pierreries et les autres richesses.

    Quant il eut fini, il se retourna et se trouva nez à nez avec une imposante bête noire aux canines luisantes comme des lames d'acier, aux yeux incandescents comme un brasier. Comprenant qu'il s'était trompé et qu'il avait pris ce regard pour la lumière du soleil couchant, le roi Maure chercha la fiole en forme de croc. Mais il l'avait fait tomber en ouvrant son manteau pour en sortir les sacs dans lesquels il transportait son trésor. N'écoutant que son courage il engagea avec le monstre un combat mortel.

    Quand la lune brilla de tout son éclat, le compagnon d'Abd al-Rhaman vit surgir de la grotte la petite chèvre couverte de poudre d'or, le trésor ayant été réduit en cet état par la violence de l'affrontement. Après une longue et vaine attente, il s'enfuit au galop et raconta son histoire à un vieux berger. Puis il rejoignit la côte où il s'embarqua pour l'Espagne. Selon la tradition des Baux, la Chèvre d'or continua à errer autour du Trou des fées et dans le Val d'Enfer. Des pâtres l'aperçurent parfois, mais ceux qui la suivirent ne revinrent jamais de leur voyage dans les profondeurs de la grotte. »

    La légende dit qu'on trouve de fins fils d'or dans la colline accrochés aux herbes et certains soirs, la Cabro d'or sauter de rochers en rochers. Et surtout, il ne faut pas la suivre...


    Dans les Bouches-du-Rhône, la Chèvre d'or aurait fréquenté le lieu-dit « La Bastide Forte », situé sur la commune d'Eguilles.

    Arles, on croyait que la Chèvre d'or passait tous les matins sur la colline de Montmajour.

    Non loin d'Arles, à Cordes, la Cabre d'or règne autour du mystérieux souterrain taillé dans le roc, en forme d'épée, ainsi que près de Vallauris, du Val d'Or, sur ce plateau semé d'étranges ruines, qu'on appelle également Cordes ou Cordoue.

    À Biot, le « Jardin de la Chèvre d'or » doit son nom à une ruine romaine et à la légende selon laquelle une chèvre d'or y garderait à jamais un trésor caché en ces murs.

    Dans le Var, la Chèvre d'or aurait été présente en haut du Céran, un lieu situé dans les environs de Draguignan. Elle est connue aussi à Trigance, un village du Haut-Var, limitrophe des Alpes de Provence où les Templiers qui possédaient une commanderie auraient, selon la légende, caché un trésor.

    « Et toujours, la Chèvre d'or est associée au souvenir des Sarrasins... »

    On retrouve la Chèvre d'or en Espagne, par exemple sur la Costa Brava, dans les fondations du château de Quermanço. Salvador Dali avait de l'admiration pour cet édifice chargé d'histoire et entouré de légendes populaires, mais il ne parvint pas à l'acheter. La légende raconte qu'une reine enchantée garde une chèvre d'or enterrée quelque part dans les souterrains du château. Selon certaines versions les juifs de Villa Judaica la vénéraient et l'avaient dissimulée en ce lieu au moment de leur expulsion de la Catalogne. Le récit le plus populaire rapporte cependant que vivait au château un roi maure qui possédait un énorme trésor acquis à l'occasion de ses victoires sur les autres seigneurs, trésor avec lequel il fit fondre une chèvre en or massif. Mais le jour arriva où, vaincu par un roi chrétien, il dut quitter le château. Aidé par ses serviteurs il tenta d'emporter la statue sur son dos et à pied, en empruntant des passages secrets qui débouchaient sur la mer à Port de la Selva. Mais la légende dit aussi que le roi et sa Chèvre d'or n'atteignirent jamais le rivage et restèrent prisonniers de ces souterrains.

    La légende de la Chèvre d'or s'est aussi répandue plus au Nord. Il existe à Grandrif, au dessus d'Ambert, dans le Puy-de-Dôme, un antre obscur appelé Grotte de la Chèvre où la tradition prétend qu'est enfouie une chèvre d'or. Naguère encore, dans la région, les chèvres qui mouraient de vieillesse étaient enterrées avec quelque cérémonie.

    Dans les Ardennes belges la Chèvre d'or a rencontré la fée de la Lienne. Au Moyen-Âge de modestes seigneurs vivaient dans la vallée de la Lienne. Un matin, le baron Rambert, parti à la chasse, épargna une biche qui le fixait d'un regard innocent et plutôt que d'abattre du gibier, préféra s'endormir au pied d'un arbre. À son réveil une jeune fille aux cheveux blonds, vêtue de voiles légers, le regardait, accompagnée d'une petite chèvre aux poils dorés. « Quel est ton nom, belle enfant ? ». « Appelle-moi Lienne ». Subjugué par sa beauté, le baron lui demanda de l'épouser.

    La jeune fille lui répondit : « 
    Je n'aurais pas dû t'apparaître. Je te crois différent des autres hommes et n'ai pas pu résister à prendre forme humaine. Je suis la fée de cette rivière et je ne peux vivre avec toi que pendant cinq ans ». Le baron, persuadé d'avoir trouvé la femme de sa vie, accepta le marché. Les jeunes gens se marièrent, firent bâtir le château de Grimbièmont et vécurent heureux pendant cinq ans, sans aucun souci d'argent puisqu'il suffisait de tondre la chèvre, ses poils d'or permettant de payer toutes les dépenses et sa toison miraculeuse repoussant aussitôt.

    À l'expiration du délai prévu Lienne perdit sa forme humaine et se transforma en une brume légère, laissant toutefois à son époux la Chèvre d'or en souvenir. Désespéré le baron Rambert partit en croisade et s'y couvrit de gloire. À son retour il quitta Grimbièmont et fit construire le château de Grimbièville où, après s'être remarié avec la fille d'un seigneur voisin, il vécut dans l'aisance jusqu'à sa mort, toujours grâce à la Chèvre d'or.

    Le temps passa, puis sous Louis XIV la peste ravagea la contrée et le dernier descendant du baron Rambert ainsi que ses trois fils en moururent. Une nuit, un terrible orage détruisit le château et l'on vit la chèvre d'or s'élever dans le ciel puis disparaître. Les habitants de ce lieu disent que si vous vous promenez au bord de la Lienne par un beau matin d'été, dans la brume gorgée de soleil vous aurez peut être la chance d'aperçevoir la fée qui, pendant quelques années, fit le bonheur du baron Rambert.

    La Cabre d'or semble représentative des dons divins qui sont parfois à notre portée, et du danger de les rechercher sans avoir été initié au préalable à leur véritable nature, au risque de se perdre à jamais. Le véritable trésor n'est pas matériel...


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  • Le roi Gradlon de Cornouaille possédait de nombreux navires qu'il utilisait pour faire la guerre aux lointains pays du Nord. Stratège hors pair, il gagnait la plupart des batailles et pillait les vaincus, cumulant ainsi de nombreuses richesses.

    Mais un jour, ses marins fatigués de tous ces combats refusèrent d'assiéger un château. Le roi les laissa repartir en Cornouaille et il resta seul dans le Nord. Quand il fut seul il vit une femme rousse : Malgven, la reine du Nord, se tenait devant lui. Elle lui dit : « Je te connais, tu es courageux et adroit au combat. Mon mari est vieux, son épée est rouillée. Toi et moi allons le tuer. Ensuite, tu m'emmèneras dans ton pays de Cornouaille. » Ils tuèrent le roi du Nord et enfourchèrent Morvarc'h (« cheval de mer » en breton), le cheval magique de Malgven. Il était noir, crachait du feu par ses naseaux et était capable de galoper sur la mer. Ils rattrapèrent les navires de Gradlon.

    Gradlon et Malgven restèrent longtemps en mer, si bien que Malgven donna naissance à une fille, Dahut, mais la reine en mourut. Selon une variante, elle ne mourut pas mais dut quitter les autres occupants du bateau quelque temps après la naissance de Dahut parce que l'heure était venue pour elle de retourner dans son monde.

    Dahut était passionnée par la mer et demanda à son père de lui bâtir une cité marine. Ainsi fut fait et la ville d'Ys fut construite sur le fond de la baie de Douarnenez . Une très haute digue empêchait l'eau d'y pénétrer et seule une porte de bronze, dont la clef était en permanence avec Gradlon, permettait d'entrer ou de sortir de la ville. Ys était la plus belle et la plus impressionnante ville du monde, mais devint rapidement, malgré les sermons de Saint Guénolé, la ville du péché sous l'influence de Dahut (aussi appelée Ahès). Celle-ci organisait des orgies et avait l'habitude de faire tuer ses amants une fois le matin venu, si bien que Dieu décida de la punir.

    Un jour, un chevalier vêtu de rouge vint à Ys. Dahut lui demanda de venir auprès d'elle et un soir, il accepta. Une tempête éclata en pleine nuit, on entendait les vagues frapper avec violence la porte de bronze et les murailles. Dahut dit au chevalier : « Que la tempête rugisse, les portes de la ville sont solides et c'est le Roi Gradlon, mon père, qui en possède l'unique clef, attachée à son cou », à quoi il répondit : « Ton père le roi dort, tu peux maintenant t'emparer facilement de cette clef. » Dahut vola la clef à son père et la donna au chevalier, qui n'était autre que Satan. Le diable ouvrit la porte de la ville. — Une autre version prétend que ce fut Dahut elle-même qui les ouvrit. — Une vague aussi haute qu'une montagne s'abattit sur Ys. Le roi Gradlon et sa fille montèrent sur Morvarc'h, le cheval magique. Saint Guénolé vint près d'eux et dit à Gradlon : « Repousse le démon assis derrière toi ! » Gradlon refusa d'abord, mais il finit par accepter et poussa sa fille dans la mer. L'eau recouvrit Dahut qui devint une sirène. (la légende précise que cette sirène avait une apparence parfaitement humaine et, donc, n'avait pas l'apparence chimérique que l'on attribue aujourd'hui aux sirènes)

    Gradlon se réfugia à Quimper, qui fut sa nouvelle capitale. Une statue équestre de Gradlon fut faite et elle est toujours aujourd'hui entre les flèches de la cathédrale Saint Corentin à Quimper. On dit que les cloches des églises d'Ys peuvent encore être entendues en mer par temps calme. Une légende dit que quand Paris sera engloutie, resurgira la ville d'Ys : Pa vo beuzet Paris, Ec'h adsavo Ker Is (Par Is signifiant en breton « pareille à Ys »).

     

    Interprétation

    On retrouve des récits semblables dans trois grands rameaux de la civilisation celte (les bretons, les gallois et les irlandais). Les légendes se fondant généralement sur une histoire vraie (comme la guerre de Troie par exemple), il est probable qu'une telle catastrophe ait eu lieu lorsque les Bretons, Gallois et Irlandais ne formaient qu'un seul et même peuple.

    Une information intéressante est que, d'après Grégoire de Tours, le roi Childebert Ier portait lui aussi une clef d'or autour du cou.

     

    La place d'Ys dans la tradition

    Depuis son engloutissement par la mer, la ville d'Ys occupe un rôle central dans les légendes bretonnes. On dit qu'Ys renaîtra le jour où une messe y sera célébrée. D'autres légendes mettent en scène la ville engloutie, telle celle où Sainte-Marie du Ménez-Bré ouvre tous les cent ans les flots pour contempler la ville. On notera également que, dans son livre la légende de la mort (receuil de récits et croyances sur la mort), Anatole Le Braz consacre un chapitre à la ville d'Ys.

     

    Ys et Paris

    Une légende dit aussi que les francs, cherchant un nouveau nom pour leur capitale, l'appelèrent Par-Is (Pareille à Ys) parce que ces deux villes, à l'époque, se disputaient le titre de ville d'isis mais que jamais elle n'égala la ville d'Is au temps de sa splendeur.

    Mais l'Histoire nous apprend que cette "légende" est probablement fausse car Paris doit son nom surtout à la tribu gauloise des Parisii, ces derniers ayant pour capitale Lutetia Parisorum, qu'on nomme actuellement "Lutèce", l'ancêtre de Paris. Cela dit, on notera également que, selon Voltaire, cette ville se serait appelée "Parisis" avant de devenir Paris en raison de la venue du culte d'Isis dans cette ville : ce qui va dans le sens de la légende.


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  • Cette légende naît en 1284, en Allemagne, alors que la petite ville de Hamelin est infestée de rats, au grand désespoir de ses habitants et de son maire. Un jour, un joueur de flûte se présente comme étant un exterminateur de rats. Habillé d'un long manteau multicolore, il propose de débarrasser la ville des rats, moyennant finances. Le maire et les habitants de la ville acceptèrent sa proposition avec joie.

    L'homme sort sa flûte et à peine se met-il à jouer que les rats sortent des maisons, enchantés par cette musique. Il les entraîne ainsi en dehors de la ville, jusqu'au Weser, dans lequel ils plongent en masse et se noient. Sa tâche accomplie, l'homme retourne à la ville toucher son salaire mais les bourgeois refusent de le payer. Le flûtiste quitta la ville, le cœur plein d'amertume.

    Il y revint cependant le 26 juin, sous les traits d'un chasseur à l'allure effrayante, portant un chapeau rouge et étrange; pendant que tout le monde était à l'église, il sortit sa flûte de nouveau et commença à jouer dans les ruelles da la ville. Mais cette fois, ce sont les enfants qui arrivent en courant, ensorcelés par sa musique. Il les conduisit par la porte de l'est en continuant de jouer, et ils allèrent jusqu'à la montagne Koppelberg, où il disparut avec eux à jamais.

    Seuls deux enfants revinrent, car ils s'étaient attardés en chemin. L'un d'eux étant aveugle ne pu montrer l'endroit où les enfants étaient, l'autre étant muet ne put dire un seul mot. Un petit garçon étant revenu chercher sa redingote échappa lui aussi au malheur. Certains dirent que les enfants avaient été conduits à une grotte d'où ils ressortirent dans la région de Siebenbuergen. Selon la légende, ce jour-là, 130 enfants disparurent ainsi à jamais.

    Réalité ou fantaisie ?

    La légende du joueur de flûte de Hamelin, histoire enfantine bien connue, a été immortalisée par le poète anglais Robert Browling. Il faut pardonner aux touristes qui visitent Hameln (son véritable nom en allemand) de croire que ce récit est une réalité historique. En effet, deux maisons du XVIe siècle portent des inscriptions rappelant l'enlèvement des enfants du 26 juin 1284, et la légende est régulièrement présentée dans la ville. Dans une certaine rue, même, la Bungenstrasse (qui serait le chemin emprunté par les petits ensorcelés), aucune musique n'est autorisée de peur de courroucer à nouveau le joueur de flûte. Et, jusqu'au XIXe siècle, deux croix se dressaient sur la montagne pour marqué l'endroit où les enfants disparurent.

    Cependant, selon les témoignages écrits, il y aurait là une certaine confusion. Le plus ancien témoignage, qui remonte à 1450, ne relate que la disparition de 130 enfants. Ce n'est qu'au XVIe siècle que la chronique mentionne le joueur de flûte comme charmeur de rats.Selon des récits plus tardifs du XVIIe la date fatidique serait le 22 juillet 1376.

    Bien que la différence jette le doute sur l'authenticité de l'histoire, le fait même qu'elle soit rapportée avec une telle précision porte à croire que la légende a un fond de vérité.

    Ce n'est certes, ni la première ni la seule de son genre. Des récits remarquablement similaires se retrouvent dans le folklore de toute l'Europe et du Moyen-Orient. Mais contrairement aux autres contes similaires, celui de Hamelin donne des dates précises, quoique contradictoires.

    Les échos d'une tragédie

    De nos jours, nombreux sont ceux pour qui la date de 1284 évoque la « croisade des enfants ». En 1212, lors d'une malheureuse tentative pour libéré la terre sainte de l'emprise musulmane, cette « croisade » passe par Hamelin et fait très probablement des recrues. D'innombrables enfants mourront au cour du long et difficile voyage, et aucun d'en reviendra.

    Une autre théorie rattache cette même date à la mort d'un grand nombre de jeune Hamelinois à la bataille de Sedemunde, à la suite d'une querelle locale en 1260. L'un ou l'autre de ces évènements est peut-être à l'origine de la première version du récit.

    Au XIVe siècle, un désastre bien pire va s'abattre sur Hamelin. La Mort Noire – la peste bubonique – fait rage en Europe dès 1345 et jusqu'à la fin des années 1360. Elle est apportée par des rats infestés de puce qui meurent par la maladie. Les puces passent alors aux humains, qui meurent à leur tour. C'est un enchaînement semblable à celui de la légende. Ces souvenirs confus de la Mort Noire expliquerait la date la plus tardive de certains témoignages écrits.

    Des souvenirs d'une autre maladie sont peut-être enfouis dans ce récit. L'on rapporte que les enfants s'en allaient vers la mort en dansant. Il s'agit là, peut-être d'une description symbolique des pitoyables bandes de victimes de la danse de saint Guy, qui parcouraient les campagnes au Moyen Âge. La musique des flûtes devait, croyait-on, calmer les spasmes musculaires incontrôlables donc les victimes étaient affligées.

    Vérité et folklore

    En fait, la légende du joueur de flûte est probablement un amalgame étrange de réalité et de mythe. Le récit original dut prendre de l'importance pour les gens de la ville à mesure que leurs enfants disparaissaient pour une raison où pour une autre.

    Au XIVe siècle, la peste était souvent considérée comme une punition divine infligée à une humanité pécheresse, ainsi qu'en témoigne la dure justice poétique de la légende. Cette croyance, ainsi que le schéma des symptômes de la Mort Noire, l'histoire locale du siècle précédant et d'autres contes étranges à propos de mystérieux enchanteurs d'animaux, se sont peut-être mêlés dans l'imagination des générations successives pour créer le conte actuel.

     


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  • L’introduction dans les traditions et les légendes armoricaines du cycle arthurien, dont le sujet principal est la "Queste du Saint Graal", découle de l’évangile apocryphe de Nicodème composé au commencement du Vem siècle, probablement d’après les "actes de Pilate", par un Juif nommé Emée. Ce dernier prétend ne faire que transcrire un manuscrit laissé par Nicodème, sénateur hébreu et disciple du Christ, mort peu de temps après la Passion. Il est difficile de distinguer dans ce récit le réel et les faits légendaires dont beaucoup furent recueillis et consacrés par la tradition.
    Au fabuleux du paganisme, au merveilleux de la féerie et aux doctrines de l’Evangile s’associa, plus tard, le romanesque de la chevalerie. Le siècle de Charlemagne jeta quelques lueurs dans ces ténèbres, mit de l’ordre dans ce chaos et, grâce à cette lueur, les bardes bretons, mieux connus, acquirent une renommée universelle. D’après leurs chants, qui presque tous reposaient sur des faits ayant eu lieu en Armorique, furent conçus les Romans de la Table Ronde.
    Instruits par les bardes d’Armorique, les poètes francs et anflo-normands traduisirent dans leur langue les anciens chants bretons auxquels ils adaptèrent les moeurs chevaleresques. Cette littérature resta longtemps florissante, jusqu’à ce que les peuples européens, abandonnant leur poésie nationale, devinrent, par l’extension des études latines, les imitateurs des Grecs et des Romains. La plupart des faits merveilleux racontés par les bardes se passent dans la forêt de Brocéliande et remontent à la Passion du Christ. Le Saint Graal, mot hébreu signifiant vase ou calice, qui servit à la première Cène et dans lequel Joseph d’Arimathie recueillit, au Calvaire, quelques gouttes de sang du Sauveur, forme le centre du cycle des romans de la Table Ronde dans lequel on distingue deux parties : Joseph d’Arrimathie et le Saint Graal, d’une part, Merlin et Arthur d’autre part.

    Joseph d’Arimathie et le Saint Graal

    Dans la première partie, Joseph d’Arimathie, accusé par les Juifs d’avoir dérobé le corps du Christ, est muré dans un cachot où Jésus le soutient de nombreuses années en lui apportant le Saint Graal.
    Délivré par miracle, il se fait baptiser et part avec sa femme, son fils, son beau-frère et cent quarante-six disciples, évangéliser les Sarrasins. Puis, traversant la mer, il arrive en Grande Bretagne, convertit le roi Avirague et fonde un monastère, origine de l’abbaye de Glasgow. Après quoi, il quitte ce pays et passe avec quelques disciples en Armorique d’où, après un court séjour, il retourne en Grande Bretagne et y meurt le 17 mars de l’an 82. Ses restes furent dépoés au monastère de Glasgow d’où Fortunat, patriarche de Grado, les fit transporter en Lorraine au monastère de Moyen-Moustier. Des moines anglais les y découvrirent au XII em siècle, les enlevèrent et les rapportèrent au monastère de Glasgow où on les vénère encore aujourd’hui.
    Joseph d’Arimathie, détenteur du Graal, établit, en mémoire de la première Cène du Jeudi Saint, une table carrée qui servait à exposer le vase sacré et autour de laquelle se réunissaient douze des principaux nouveaux chrétiens ; on y laissait vide une place, celle du traître Judas. Cette institution se perpétua jusqu’à la fin du VIe siècle, quand Merlin conseilla au roi Arthur, roi de la Grande et de la Petite Bretagne, de transformer cette table carrée en table ronde.
    A la mort de Joseph d’Arimathie, son fils aîné Josèphe, évêque en Ecosse, hérita du Saint Graal et le légua, en mourant, en 95, à son neveu Alain, l’un des fils de Broon, beau-frère d’Arimathie. D’Alain, qui devint évêque avec le surnom de "Riche pêcheur", le précieux vase passa à son frère Josué de qui descend, par une suite de générations, le roi Pellès dont la fille épousa Lancelot du Lac, l’un des plus fameux chevaliers de la Table Ronde, dont naquit Galaad, roi du pays de Galles et et dernier héros du cycle de la Table Ronde, surnommé le Meilleur Chevalier du Monde ; par lui sera retrouvé le Saint Graal.
    Après Josué on ne parle plus du Saint Graal en tant que vase sacré, mais d’un livre auquel on donne le nom de Graal, écrit par Josèphe sous la dictée de son père Joseph d’Arimathie, et dans lequel il raconte la Passion du Christ et la vie du détenteur du Vase de la Cène, premier apôtre de l’Assyrie, de la Lorraine et de la Bretagne.
    En l’an 150 ce livre ayant été perdu, le fils puîné de Joseph d’Arimathie, Galaad, se mit à sa recherche et c’est cette recherche, avec ses péripéties, que Galaad est censé raconter dans "La Quête du Graal". Trois siècles plus tard on entre dans le cycle merveilleux de la Table Ronde.

    Merlin dans la légende du Saint Graal

    La seconde partie du cycle, Merlin et Arthur, se compose de romans traduits au XIIe siècle par Robert de Boron, chevalier et poète lorrain. Comme dans la Queste du Graal, la fiction se mêle à la réalité. Uter, Arthur, Merlin, Hoël ont vécu ; le Val sans Retour, le Val des Féées, Barenton, le Pont du Secret, Comper, Folle-Pensée, existent encore, de même les ruines du château de Ponthus. Sur ce canevas et dans ce cadre combien de légendes et de faits merveilleux ont été brodés ! Les aventures extraordinaires des chevaliers de la Table Ronde se passent sous le règne d’Arthur, roi des deux Bretagnes, fils adultérin d’Uter, roi de Logres, et d’Ygerne, épouse du duc de Tintagell. A Arthur, Merlin révéla l’existence du Graal. Qui était donc Merlin ?
    Dans la chronique latine attribuée à Nennius, Merlin est le fils d’un consul romain ; jouissant du don de prophétie, il renverse le tyran Vorthingern et aide le roi Ambroise, qui lui succède, à régner avec gloire et sagesse. Geoffroy de Monmouth rédigea vers 1135 des "Prophéties de Merlin" et les fit suivre de la "Vie", écrite vers 1148, dans laquelle il représente Merlin comme un roi puissant et un devin clairvoyant dont la douleur, causée par la mort de ses frères, égare la raison. Il se retire dans une forêt où le rejoint le barde Taliésin. La "Vie" se termine par des prophéties dans lesquelles Merlin annonce les malheurs qui menacent la Grande Bretagne.
    Au XIIe siècle, Robert de Boron voulut rattacher les légendes de Merlin à celles du Saint Graal et imagina le récit suivant. Satan, irrité de voir sa puissance vaincue par la Croix, réunit son conseil et décide de susciter un être doué de la science et de la puissance diabolique, bien que vivant au milieu des hommes. Un démon se charge d’accomplir cette tâche. Il abuse par surprise d’une jeune vierge chrétienne de la Grande Bretagne et engendre, vers 460, celui qui doit être Merlin. Mais l’évêque de Troyes, saint Loup, évangélisateur de la Grande Bretagne mort en 475, déjoue les projets infernaux en baptisant le nouveau-né qu’il nomme Ambroise. Grâce à son baptème l’enfant échappe en partie au pouvoir de Satan en gardant le savoir et la puissance conférés par l’Ange déchu.
    Instruit par l’évêque et le barde Taliésin, cet enfant se fait remarquer par sa science et les prodiges qu’il accomplit ; aussi on le surnomme Marzin ou Merlin, c’est-à-dire l’Enchanteur. Le roi Uter l’attache à sa cour comme barde et il devient, à la mort de ce prince, l’ami et le conseiller de son fils, le fameux roi Arthur. En accord avec lui Merlin décide de rétablir l’institution de la Table Ronde commémoratrice de la Cène et, aux fêtes de la Pentecôte, il fait dresser dans le palais de Caërléon, au pays de Galles, une table, ronde cette fois, à laquelle le roi convie cinquante des plus valeureux chevaliers des deux Bretagne.
    Arthur, conseillé par Merlin et aidé de ses féaux compagnons, chasse les ennemis de la Grande Bretagne, puis de l’Armorique dont le roi Hoël est son neveu et son fidèle allié. Il tombe mortellement blessé, vers l’an 550, victime de la trahison du félon Mordret, "celui qui n’aurait jamais dû naître", quatrième fils de la reine d’Orcanie demi-soeur du roi Arthur, et engendré par celui-ci dans les amours coupables, alors que tous deux ignoraient leur parenté. Cependant des fées secourables relèvent le corps d’Arthur et l’emportent dans leur île d’Avalon, ou d’Aval, à côté de l’Ile-Grande sur la côte de la Petite Bretagne. Là, elles le guérissent de ses blessures et l’y gardent encore dans un sommeil mystérieux. Arthur se réveillera un jour ; il réapparaîtra pour la délivrance de la Bretagne et l’extermination de l’étranger.
    Cette croyance mythique, renforcée par les prophéries de Merlin, fut cause que trois ducs de Bretagne portèrent le nom d’Arthur.

    Les enfances de Merlin

    Merlin naquit d’une pucelle orpheline circonvenue par le Malin qui donna à l’enfant divers pouvoirs merveilleux qu’il manifesta dès sa naissance en parlant, au grand émerveillement de sa mère. Elle le nomma Merlin, du nom de son aïeul maternel.
    En ce temps-là il y avait en Bretagne un roi du nom de Constant, père de deux jeunes enfants : Moine et Uter Pendragon. Lorsqu’il mourut, son séchénal, du nom de Vortigern, occit par trahison le petit Moine et se fit couronner roi à sa place. Il gouvernait si méchamment que son peuple le haïssait et il vivait dans la crainte de voir revenir le petit Uter Pendragon élevé dans une ville étrangère, nommée Bourges, en Berry. Pour se défendre, ce cas échéant, il résolut de construire une tour haute et forte ; mais, à peine commençait-elle à s’élever qu’elle s’écroula. Ainsi, deux fois, trois fois, quatre fois. Alors Vortigern appela les astronomes et les plus savants clercs du royaume pour savoir la cause de ces etranges méchefs. Ils lui dirent que la tour ne tiendrait jamais qu’on ne mélangeât au mortier le sang d’un enfant de sept ans né sans père. Vortigern dépêcha incontinent douze messagers lui quérir cet enfant. Deux d’entre eux rencontrèrent Merlin qui, connaissant par don leur recherche, s’approcha et leur dit :
    - Je suis celui que vous quérez et dont vous devez apporter le sang au roi Vortigern.
    A l’ébahissement des deux hommes, il leur conta l’histoire et le but de leur mission.
    Arrivé devant Vortigern Merlin lui révèle pourquoi la tour ne peut tenir :
    - Il y a, lui dit-il, dessous la terre deux dragons aveugles, l’un roux, l’auitre blanc ; quand ils sentent le poids de la tour il se remuent et elle croule.
    Aussitôt le roi fait creuser la terre, les deux dragons apparaissent et s’entredévorent. Vortigern veut connaître ce que signifie la bataille de ces deux dragons.
    - Le dragon rouge, répond Merlin, c’est toi, et le blanc le fils du roi Constant, Uter, qui débarquera dans trois jours à Winchester.
    Le roi, pris de peur, envoie une armée à Winchester ; mais, lorsque les soldats aperçoivent les gonfanons d’Uter Pendragon ils le reconnaissent pour leur seigneur et Vortigern s’enfuit dans un de ses châteaux auquel Uter met le feu et l’usurpateur félon périt dans les flammes.
    Merlin s’était retiré entre temps dans la forêt de Northumberland. Le roi Uter Pendragon, à qui l’on conta des merveilles qu’il avait faites, eut grand désir de le voir, aussi le dit-il quérir. Quand il fut en sa présence il voulut le garder à sa cour ; Merlin refusa. Pourtant, il assura le roi de l’aider de tout son pouvoir, et on le vit bien lors du combat qu’Uter Pendragon soutint peu après contre les Saines, à Stonehenge, près de Salisbury. Par son art Merlin fit venir d’Irlande certaines pierres hautes et grosses qu’il dressa à cet endroit et qu’on verra tant que le monde durera.

    Naissance d’Arthur

    Après sa victoire Uter Pendragon fit crier par tout le royaume qu’il tiendrait sa cour à Carduel tous les ans à Noël, à la Pentecôte et à la Toussaint. A l’une de ces réunions il remarque Ygerne, la femme du duc de Tintagell, son homme lige, et, tout aussitôt, son coeur brûle d’amour pour la jeune femme dont la sagesse passe pour égaler la beauté.
    Durant trois années le rio soupira en vain pour celle qu’il aimait et qui repoussait ses avances les plus discrètes. Enfin, il lui offre une coupe d’or et la sage Ygerne, en pleurs, avoue à son époux l’amour que le roi lui porte.
    Tintagell, indigné, quitte Carduel brusquement avec sa suite. En apprenant le départ du duc et d’Ygerne, Uter Pendragon s’enflamme de colère sous l’affront à lui fait par son vassal et décide de l’attaquer dans le fort château où il s’est retiré. Le siège se prolonge. L’un des chevaliers, Ulfin, dit au roi :
    - Que ne mandez-vous Merlin ?
    - Hélas ! Merlin désapprouve ma conduite, c’est pourquoi il ne vient pas.
    A ces mots Merlin lui-même apparaît :
    - Sire, j’ai juré de vous aider. Je le ferai cette fois encore si vous me promettez de m’octroyer le don que je vous demanderai.
    Le roi en fait serment. En grand secret Merlin l’entraîne avec Ulfin et tous trois marchent jusqu’à un petit bois près du château de Tintagell. Merlin y cueille des plantes dont il sait les vertus, en frotte le visage et les mains de ses compagnons. Ulfin, tout soudain, prend la semblance de Jourdain, l’un des serviteurs fidèles du duc ; le roi devient semblable au duc lui-même, tandis que Merlin apparaît sous les traits de Brétel, l’un des écuyers d’Uter Pendragon. Il s’avance vers le guetteur, lui commande d’abaisser le pont-levis ; l’homme s’exécute, croyant reconnaître les trois arrivants. Le faux duc se rend dans la chambre d’Ygerne. La duchesse lui fait gracieux accueil, le prenant pour son mari, et ainsi fut engendré Arthur ou Artus, l’un des plus fameux chevaliers de son siècle.
    Au petit jour le roi et ses compagnons repartent comme ils étaient venus. Merlin les fait se laver, il se lave lui-même dans une rivière et tous trois reprennent leurs apparences naturelles. Lors, Merlin rappelle au roi son serment, ajoutant :
    - Vous avez engendré un fils, je veux que vous me le donniez.
    Quand l’enfant fut né, le roi le donna à Merlin qui le remit secrètement à l’un des plus honnête chevaliers du royaume, Antor, dont la femme avait accouché six mois auparavent d’un garçon nommé Keu. Elle confia son propre fils à une nourrice et allaita le nouveau-né.

    L’épée merveilleuse

    Seize ans plus tard, deux ans après Ygerne, mourut Uter Pendragon, ne laissant point d’enfant connu ; les barons prièrent Merlin de désigner celui qui devra succéder à leur seigneur. Merlin leur répondit d’attendre le jour de la naissance de Notre Seigneur.
    La veille de Noël les barons s’assemblèrent à Carduel ; parmi eux ANteur avec Keu et Arthur. Après trois messes de cette nuit bénie, comme la foule sortait de l’église, des cris d’étonnement retentirent : sur la place s’élevait une grande pierre portant une enclume de fer dans laquelle une épée se trouvait fichée jusqu’à la garde. Sur la pierre une inscription, gravée en lettres d’or, disait :
    - Celui qui retirera cette épée sera le roi élu par Jésus Christ.
    Les plus hauts barons, les chevaliers les plus valeureux essayèrent vainement de retirer l’épée. Alors, Arthur, comme par jeu, toucha l’épée merveilleuse. Miracle ! d’elle-même elle jaillit du bloc d’acier.
    Le peuple crie sa joie et rentre dans l’église chanter un Te Deum. Quand on sort du sanctuaire la place est vide, l’enclume a disparu... Sachez que la belle épée avait nom Escalibor, ce qui veut dire en hébreu "tranche fer et acier".

    Fiançailles d’Arthur

    Après avoir reçu la couronne royale, Arthur tint sa cour à Carduel.
    - Beau doux sire, lui dit Merlin, fortifiez vos châteaux et vos places, puis quittez votre royaume pour vous engager au service du roi Léodagan de Carmélide comme simple chevalier. Allez sans crainte car cette aventure doit vous apporter de grandes joies.
    Arrivé à Carohaise, en Carmélide, Arthur trouve le roi Léodagan prêt à combattre les ennemis qui menacent son royaume. La bataille se livre à quelques jours de là et Arthur y fait merveille. A son retour avec les autres chevaliers à Carohaise il est reçu par le roi en grande joie et la fille de Léodagan, Guenièvre, lui lave elle-même le visage et les mains en songeant :
    - Ah ! la femme qu’un si preux chevalier aimera d’amour sera comblée !
    De son côté, Arthur tremble en se laissant ainsi traiter car nulle pucelle ne lui a encore semblé si désirable et plus digne d’être aimée.
    Un certain jour plus tard, se promenant dans le verger du château en compagnie d’Arthur et d’autres seigneurs, le roi Léodagan les prie de leur révéler leurs noms car jusqu’alors tous l’avaient caché. Merlin, qui les a rejoints, dit en désignant Arthur :
    - Sire, voici votre vrai seigneur. Tout roi couronné que vous êtes il vous vaut bien et la femme qu’il prendra pour épouse n’aura à rougir de son rang ni de sa lignée.
    Lors, Léodagan propose sa fille ; Arthur accepte avec empressement. Le roi, ayant appelé Guenièvre, met la main de la jeune fille dans celle d’Arthur et l’évêque de Carohaise bénit leurs fiançailles.
    - Sire, reprend Merlin, sachez que vous avez accordé votre fille au roi Arthur des deux Bretagnes, fils d’Uter Pendragon, et votre suzerain.

    Merlin et Viviane

    Cependant, les Saines menaçaient de nouveau le royaume de Logres et Arthur devait retourner en son propre pays. Tandis qu’il quitte Carohaise, Merlin se rend en Bretagne armoricaine adjurer rois et ducs de ce pays de rejoindre leur seigneur dans la plaine de Salisbury. Cela fait, il se dirige vers le rivage de la mer, chevauchant à petites étapes, quand le hasard le mène à l’orée de la forêt de Brocéliande où il sait qu’il y rencontrera Viviane, Viviane qui le perdra ; mais la prescience de l’avenir ne retient point le désir qui gouverne à ce moment son esprit.
    Brocéliande, ou Brécilien, dont l’étymologie serait Barc’h Hélan, empire des Druides, s’appelle aujourd’hui Paimpont, déformation de Pen-Ponthi, commencement de Ponthus, ou de Pen-Pont, le bout du pont, sans qu’on puisse dire de quel pont il s’agit. Quoi qu’il en soit, Merlin fut dans cette forêt le héros d’aventures merveilleuses.
    Il y rencontre, à la fontaine de Barenton, la fée Viviane. Là se réunissent les fées de Koncorret (le Val des Fées), curieuses de se mirer dans ces eaux "claires comme fin argent" ; là, les chevaliers accomplissent leurs prouesses ; là aussi erre Morgane la Magicienne, la demi-soeur du roi Arthur et dernière fille d’Ygerne.
    Viviane apparaît à Merlin sous les traits d’une jeune fille de merveilleuse beauté, fille d’un noble seigneur nommée Dyonas, auquel appartient la moitié de la forêt, et qui habite le château de Kon-Per, situé à l’extrémité du bois, près d’un vaste étang. Merlin salue la jouvencelle, s’assied auprès d’elle sur la margelle de la fontaine, dite depuis le Perron de Merlin, et, charmé de son esprit et de sa beauté, il reste avec elle jusqu’au soir. Il ne la quitte qu’après qu’elle lui eut promis son amour en échange de sa science. Dès lors, chaque année, le jour de la Saint-Jean, le 24 juin, Merlin rejoint sa mie dans le "Jardin de Joye", ou le "Jardin d’Amour".

    Mariage d’Arthur

    Merlin retourna auprès du roi Arthur à Logres. Avant la fin du mois tous les vasseaux seront au rendez-vous dans la plaine de Salisbury, proche de Clarence assiégée par les Saines. En effet, la grande armée chrétienne assemblée livra bataille pour défendre Sainte Eglise, l’affermissant dans son pouvoir à l’égard de ses barons et confirmant sa souveraineté sur les deux Bretagnes.
    Il ne s’attarda pas à Clarence car grande était sa hâte de reprendre le chemin de la Carmélide pour retrouver Guenièvre, sa douce fiancée. Durant huit jours le toi Arthur mena bonne vie avec sa jeune épousée, tous deux songeant le jour à l’instant où ils se retrouverait seuls. Hélas ! le temps fuyait, il fallait regagner Logres.

    Merlin ayant pris congé du roi, dès le mariage célébré, s’en fut voir Viviane, sa mie, en la forêt de Brocéliande. Elle lui fit si bel accueil que l’amour crût en lui et toute cette première journée les deux amants restèrent silencieux, ne parlant que pour se dire qu’ils s’aimaient. Cependant, vers le soir, Viviane dit :
    - Bel ami, ma mère m’a parlé d’un talisman capable de protéger les jeunes filles de tout danger. Vivant presque seule au milieu des bois je suis en hasard d’y faire de mauvaises rencontres, aussi enseignez-moi le moyen de m’en préserver.
    Merlin soupira :
    - Je vous ferai connaître le moyen de vous garder de tout mal lorsque je vous quitterai.
    - Ah ! pourquoi reculer ? Si vous m’aimiez d’un amour égal au mien vous comprendriez ma terreur à la pensée qu’un autre puisse me prendre.
    - Soit, répliqua Merlin. Il cueillit un brin de saule, le tordit en forme d’anneau qu’il suspendit au cou de Viviane en lui disant :
    - Tant que vous porterez cet anneau nul homme ne pourra rien sur vous sans votre volonté. Mais son charme cessera dès que vous n’estimerez plus à son haut prix cette vertu qui vous est si chère aujourd’hui.
    Ainsi, chaque jour Viviane apprenait-elle un nouveau sortilège de son trop confiant ami, si bien, pensait-elle, qu’à la fin il lui livrerait ses derniers secrets et qu’elle saurait le garder à jamais auprès d’elle.
    Un soir que tous deux cheminaient, leurs pas les ramenèrent à la fontaine de Barenton et Viviane, malicieuse, demanda à Merlin s’il savait pourquoi l’eau de la fontaine bouillonnait dès qu’un être vivant s’approchait. Merlin feignit l’ignorance.
    - J’ai ouï dire par mon père, raconta-t-elle, qu’un chevalier aux armes noires défendait l’approche de cette fontaine dont l’eau possède le pouvoir de déchaîner des tempêtes. En ce temps là, un bassin d’argent était attaché par une chaîne à la dalle que vous voyez à vos pieds. Un jour, un jeune chevalier, nommée Owein, trompa la surveillance du chevalier noir et s’aventura à étancher la soif qui le tourmentait en prenant de l’eau à la fontaine dans le bassin d’argent. Sa soif calmée, il jeta sur la pierre les quelques gouttes restées dans le vase. Au même instant, le tonnerre gronda, la pluie tomba en rafales, les arbres se trouvèrent dépouillés de leurs feuilles. Le chevalier noir accourait déjà comme le calme revenait tout soudain et fondit sur Owein qui n’eut que le temps de se mettre en selle. Le jeune chevalier vainquit le gardien de Barenton et depuis les enchantements de la fontaine cessèrent.
    - Cette eau a pourtant gardé son pouvoir, répondit Merlin. Il suffit de prononcer les mots qui conviennent pour le reveiller.
    Viviane aurait voulu voir s’opérer le prodige, mais Merlin refusa de satisfaire sa curiosité.

    Le château du lac

    Un autre soir, comme ils passaient devant le lac de Diane, Merlin en conta l’histoire à sa bien-aimée.
    "Diane chassa par toutes les forêts de Gaule et de Bretagne, mais elle n’en trouva aucune qui lui plût autant que celle de Brocéliande, aussi y fit-elle bâtir, au bord de ce lac, un manoir où elle venait coucher la nuit après avoir forcé cerfs et daims tout le jour. Devenue la maîtresse de Faunus, le fils du roi qui gouvernait ce pays, elle le trahit pour un certain Félix. Faunus ayant été blessé par un sanglier, Diane parvint à le convaincre de descendre dans une fontaine qui passait pour guérir toutes les plaies, mais dont elle avait fait ôter l’eau secrètement :
    - Descendez au fond, couchez-vous et je vous couvrirai d’herbes de grande vertu qui cicatriseront vos plaies. "Faunus descendit ; Diane bascula sur lui les pierres descellées de la margelle et, par un raffinement de cruauté, versa par l’interstice des pierres, du plombs fondu qui consuma le corps de son amant. Félix, à qui elle rapporta comment elle s’était délivrée de celui qu’elle craignait, horrifié de ce crime, lui trancha la tête et jeta son corps dans le lac qui, depuis ce temps, porte son nom".
    De ce drame très ancien ne demeurait que des eaux tranquilles dans un site enchanteur.
    Viviane, rêvant, soupira :
    - J’aimerai y vivre !
    Son voeu à peine exprimé, le lac avait disparu et à sa place s’étendait un parc entourant un manoir tellement magnifique qu’il n’en était point de pareil en toute la Petite Bretagne.
    - Damoiselle, dit Merlin, voici votre demeure. Jamais personne ne la verra qui ne soit de votre maison, car elle est invisible pour tout autre, et aux yeux de tous il n’y a là qu’un lac.
    Ce château au fond des eaux transporta Viviane de raviseement et elle ne le quitta plus par la suite, s’appelant elle-même la Dame du Lac, nom qui lui resta.
    Tout le temps que Merlin demeura à Brocéliande, Viviane obtint de son ami la révélation de merveilleux secrets. Un jour vint où les deux amants durent se séparer de nouveau car il restait à Merlin une mission à remplir auprès du toi Arthur.

    Le Saint Graal

    Arrivé à Logres avec la reine Guenièvre, Arthur fit crier qu’il tiendrait sa cour à Carduel au temps de Noël. C’est là que Merlin se rendit sous les apparences d’un vieillard aveugle, d’une barde portant sa harpe ; il demande à chanter devant la noble assemblée et le roi y consentit de bon coeur. Il chanta d’abord les amours d’Arthur et Guenièvre avant d’annoncer le retour à un merveilleux âge d’or. Quant il eut fini le roi lui demanda ce qu’il voulait pour sa récompense ; il sollicita la faveur de porter l’enseigne royale lors de la prochaine bataille où il serait.
    - Beau doux ami, reprit Arthur embarassé, Notre Sire vous a rendu aveugle, comment pourriez-vous nous menez à la bataille ?
    - Ha ! sire, le chevalier Jésus, qui est le vrai guide, saura bien me conduire.
    En l’entendant ainsi répliquer le roi pensa que c’était Merlin et allait lui répondre lorsque le vieillard se métamorphosa en un tout jeune enfant. Alors, tous reconnurent Merlin à cet enchantemant et s’esbaudirent fort d’avoir été ainsi abusés. Mais l’Enchanteur reprit la parole d’un ton grave qui ramena le sérieux dans l’assistance.
    - Je vous en avertis, si vous ne vous proposez pas, désormais, un but surnaturel vous perdrez votre esprit de chevalerie. Vous avez entendu parler du Saint Graal, le vase précieux dont Jésus-Christ se servit le jour de la Cène et où Joseph d’Arimathie recueillit le sang qui coulait des plaies de Notre Seigneur crucifié. Égaré depuis des siècles, ce calice du Saint Graal doit être recherché et retrouvé avant que ne passe cette génération. Telle est la volonté de Notre Sire. Grâce aux lumières que Dieu m’a données je connais Celui qui découvrira le Graal, cependant je ne dois le désigner aujourd’hui qu’en l’appelant "le meilleur chevalier du monde" afin de laisser à chacun l’espoir du triomphe, si indigne soit-il en apparence.
    - Il est dit qu’au nom de la Très Sainte Trinité le roi Arthur doit établir la table qui sera celle du Graal et qu’il en adviendra de grandes merveilles au royaume. Cette table sera ronde pour signifier que ceux qui s’y assoieront n’y auront nulle préséance et, à la droit du roi, demeurera un siège vide en mémoire de Notre Seigneur ; personne ne pourra y prendre place sans risquer d’être englouti en terre, hormis "le meilleur chevalier du monde" qui conquerra le Saint Graal et en connaîtra le sens et la vérité.
    A ces mots parut tout soudain au milieu de la salle une table ronde autour de laquelle régnaient cent cinquante sièges portant en lettre flamboyantes les noms de ceux qui devaient les occuper, sauf celui placé à la droite du roi qui ne portait nulle inscription.
    Sa mission accomplie, Merlin songea de nouveau à la Petite Bretagne ; il prit congé du roi Arthur et de sa cour.

    La prison invisible

    Vers Brocéliande se dirige maintenant l’Enchanteur, le coeur plein de désir et d’angoisse mêlés. Au Val sans Retour l’attendait Viviane.
    - Beau doux ami, vous voici enfin !
    Et recommencèrent leurs devis, et recommencèrent leurs amours...
    Jalouse de s’attacher à jamais à son amant, toujours jeune, beau et amoureux, Viviane n’a pas renoncé à son dessein perfide de surprendre ses ultimes secrets de magicien. Or, un jour, le moment favorable se présente et elle dit, avec une feinte innocence :
    - Cher seigneur, souvent mon père m’épie et, pour vous rejoindre, je dois tromper sa surveillance. Comment l’enclore par enchantement en une prison sans tour ni murs dont il ne puisse s’échapper ? A l’aube, s’empresse-t-elle d’ajouter, je le délivrerai.
    Merlin, aveuglé par sa passion, lui livre son secret et lui enseigne les rites pour lier et délier celui dont elle voudrait, à son gré, disposer de la liberté.
    A peu de temps de là, comme il s’était endormi sur l’herbe dans les bras de son amie, Viviane de lève doucement et trace autour de lui un cercle magique qui l’emprisonne dans un palais enchanté, vraie citadelle invisible...
    - Ne oncques depuis, ajoute Robert de Boron, Merlin ne issit de ceste prison en Brocéliande où sa mie Viviane, l’avait enfermé.
    L’absence de Merlin n’inquiète pas d’abord le roi Arthur habitué aux disparitions de l’enchanteur ; toutefois, l’attente de son retour se prolongeant, une année s’est écoulée, le roi ne laisse pas de s’alarmer. Les compagnons de Merlin, qui ont fait le serment de s’entraider, songent à partir à sa recherche et Gauvain, le premier, sollicite du roi la permission de tenter la chance. Il quitte la cour du roi Arthur et s’embarque pour la petite Bretagne où Merlin a été vu pour la dernière fois.
    Jeté par la tempête à la pointe extrême du pays de Léon, Gauvain en profite pour s’enquérir de Merlin auprès des barons du roi Arthur. Il parcourt toute la côte de la Bretagne, de la presqu’île de Crozon à celle de Rhuys "que Merlin affectionnait particulièrement car l’opulente forêt de chênes verts qui la couvrait en ce temps-là lui rappelait d’autres grands bois chers à son coeur..." Ne l’y découvrant point après huit mois de vaines recherches, Messire Gauvain se dirige vers Brocéliande. Il va depuis un moment au pas de son cheval sous le couvert de l’épaisse forêt quand, soudain, une vapeur fantasmagorique lui barre la route, effarouchant sa monture qui s’arrête, recule, renâcle.
    - Gauvain ! dis alors une voix sans timbre, je suis la voix de ton ami, celui que l’on appelait, il n’y a pas si longtemps, le sage Merlin. Retourne vers Arthur et dis-lui qu’il ne me verra plus jamais en ce monde car je ne puis sortir de la prison aérienne dans laquelle me tiens enfermé celle à qui j’ai tout appris de ce que je savais moi-même... et qui m’a trahi... Tu reviendras parfois dans cette forêt, entraîné par ta passion pour la chasse. Un jour je te parlerai de nouveau à travers cette muraille aérienne qui me sépare du monde visible, mais ne cherche pas cette occasion ; elle se présentera d’elle-même, lorsque tu y penseras le moins..."
    L’émotion fait trembler Gauvain et trouble son esprit. Il appelle son ami : "Merlin ! Merlin !" Mais la voix ne répond pas, elle s’est tue et la nuée se dissipe d’un coup. Le bon chevalier s’éloigne, le coeur dolent, et reprend le chemin de la cour d’Arthur.

    Viviane et Lancelot du Lac

    Un jour, Viviane, qu’on appelle la Dame du Lac, trouva sur le bord de l’étang de Diane le bambin Lancelot, fils du roi Ban et de la reine Hélène. Elle l’entraîna au fond des eaux pour l’élever comme si elle eut été sa propre mère.
    Depuis que Viviane avait décidé d’y demeurer, le château du Lac s’était agrandi...
    Toutefois, selon la volonté de Merlin, parc et château demeuraient invisibles ; du moins pour quiconque n’en était pas l’hôte car, peu à peu, une petite cour composée de beaux damoiseaux et de gentilles pucelles s’étaient formée autour de la Dame du Lac. Tel était le refuge enchanté vers lequel avait été entraîné Lancelot.
    Plus tard, Lancelot incarne le plus valeureux chevalier de la cour d’Arthur ; il délivre la reine Guenièvre, enlevée par "le roi du pays dont nul ne revient", et il devient son amant après avoir reçu d’elle l’aveu de son amour au Pont du Secret, sur la route de Plélan à Ploërmel. A cause de cette passion coupable il soutient une longue lutte avec Arthur et ne peut retrouver le Saint Graal.

    Le Val sans Retour

    Viviane n’est pas la seule fée de Brocéliande où erre Morgane qui préfère, à la fontaine de Barenton, le Val sans Retour. Magicienne comme Viviane, habile en toutes sciences, Morgane est une jolie brune, accorte et spirituelle, mais coquette et vicieuse. Trahie par son amant Guyomart, elle l’enferma par ses sortilège dans le Val sans Retour où furent ensuite retenus les Faux Amants jusqu’à ce que Lancelot du Lac les vint délivrer. Pénitencier des pécheurs en amour, c’est encore le Val Enchanté, résidence des fées ; le Val Périlleux où les chevaliers intrépides se trouvaient en présence de géants et de monstres.

    Le "Roman de Ponthus"

    Le dernier cycle de la Table Ronde, le Roman de Ponthus, oeuvre du XIVe siècle, a aussi pour théêtre Brocéliande où se passe l’un de ses principaux épisodes.
    Ponthus, fils du roi de Galice, en Espagne, fait naufrage avec quatorze de ses compagnons. sur la côte du Morbihan et est recueilli à Vannes par le roi de la Petite Bretagne. Il rencontre à sa cour plusieurs seigneurs, entre autres le sire de Gaël, seigneur de Brocéliande, avec lequel il se lie d’amitié. Le sire de Gaël a une fille, Sidonie, belle comme l’aurore, et Ponthus en devient éperdûment amoureux. La jouvencelle ne reste pas insensible aux sentiments qu’éprouve pour elle le chevalier espagnol ; elle y répond par un égal amour. Cependant, avant que la gente pucelle ne lui accorde sa main, Ponthus doit triompher d’un certain nombre d’épreuves ; adonc il s’éloigne en quête d’aventures chevaleresques qui le conduisent à Rennes, Saint-Malo, Monfort, au château de la Roche Perdue, jadis bâti sur un rocher par Merlin à la sortie du Val sans Retour. Revenant vainqueur à Vannes, il est fait connétable par le roi de la Petite Bretagne.
    Hélas ! des perfides, jaloux de sa renommée, le desservent vilainement dans l’esprit de Sidonie qui lui signifie sa disgrâce. Il se retire en Brocéliande, au château de Ballanton ou Barenton, depuis le château de Ponthus, et fait assavoir qu’il combattra, chaque mardi, dans le champ clos des Tournois, près de la fontaine de Barenton, tout chevalier qui voudra joûter contre lui. Cinquante champions se présentent successivement, il triomphe de tous et les envoie prisonniers à sa chère Sidonie auprès de laquelle il rentre en grâce et qu’il épouse. Depuis ce jour Ponthus resta seigneur d’une partie de Brocéliande.
    Beaucoup plus tard, mais c’est encore bien lointain, au temps du fabuleux et de la féerie imaginaire, le dernier seigneur et la dame de Ponthus (étaient-ils les descendants de Ponthus et Sidonie ?), se désespéraient de n’avoir point d’enfant. Un jour, la châtelaine, dans un ardent désir d’être mère et poussée par le dépit s’écria : " J’en veux un, qu’il vienne de Dieu ou du Diable !" Son souhait fut exaucé et elle mit au monde un monstre noir et velu. A quelques jours de là le château s’écroulait sur tous ses habitants.

    Avec le "Roman de Ponthus" se clôt le cycle des Romans de la Table Ronde et meurent la littérature chevaleresque, la poésie du merveilleux et les cours d’Amour. A quoi attribuer cette disparition soudaine ? Sans aucun doute aux évènements politiques : la guerre de Cent Ans s’ouvre en 1337 et celle de la Succession de Bretagne commence en 1341. Les batailles et les incendies ne sont point un cliamt propice à l’efflorescence des lettres ni des arts tous empreints de féérie et de sublime. Désormais la forêt de Brocéliande s’endort et se cachent les fées qui la hantent.
    Pourtant ses légendes survivent dans la forêt de Paimpont, dont le nom apparaît vers 1653, elles survivent et se perpétuent grâce aux lieux où se déroulèrent tant d’aventures extraordinaires, d’exploits fabuleux, et qui aident à imgainer mieux le roman en situant les épisodes auxquels les vieux conteurs donnèrent pour décor la forêt de Brocéliande en l’adornant des broderies de la légendes.

    Les Fantasmagories de la Fontaine de Barenton

    Quoique bien déchue et abandonnée, la fontaine de Barenton ne cesse de couler ses eaux calmes et semble murmurer, comme pour elle-même, les hauts faits de la Forêt enchantée. Du hameau de Folle-Pensée un itinéraire indiqué par des flèches y conduit facilement de sentier en sentier. L’eau sourd dans un bassin rectangulaire d’environ deux mètres de long sur cinquante centimètres de large, d’où elle s’échappe pour former un ru qui tombe dans la rivière de Mauron. La margelle de la fontaine, utilisée maintenant comme pierre de foyer dans une maison du village voisin, consistait en une grande dalle, dite "Perron de Merlin". Il suffisait d’y répandre quelques gouttes de l’eau de la fontaine pour opérer des prodiges. " Alors, s’écrie au XIIe siècle Guillaume l’Armoricain, soudain cette eau s’élève en nuage épais ; les airs retentissent des mugissements de la foudre et se voilent des ténèbres. Prodige étonnant, mais cependant réel et affirmé par une foule de témoignages". Ce fait extraordinaire ne se produisait donc pas seulement dans la légende de Merlin ; on en trouve d’autres échos dans les récits des romanciers, tel Robert Wace qui écrit :" La Fontaine de Barenton est à côté d’un perron. Si des chasseurs y viennent par la grande chaleur, et y puisant de l’eau dans leur cor répandent cette eau sur le perron, la pluie tombe aussitôt". De graves écrivains attestent, à leur tour, les merveilles de la fontaine : ainsi Vincent de Beauvais, précepteur des enfants du roi saint Louis, dans son "Speculum Naturae" ; Gauthier de Mets, au XIIIe siècle, dans "L’image du monde", etc.
    Voici encore plus curieux. A partir du XIIIe siècle, les seuls seigneurs de Montfort-Gaël, propriétaires de la forêt, héritiers de la puissance des druides et des chevaliers, ont le privilège de provoquer la pluie en répandant l’eau de la fontaine de Barenton sur le Perron de Merlin.
    L’usage, interrompu par la Révolution, ne se perdit point. On garde encore mémoire d’une procession faite à Barenton, en août 1835, lors d’une sécheresse exceptionnelle. Parti de Concoret avec croix et bannière, et suivi d’une foule énorme, le clergé de cette paroisse arrive au bord de la fontaine. Le recteur bénit la source, y plonge le pied de la croix et asperge le perron. Aussitôt, ce dont témoignent tous les assistants, des nuages se forment au fond de la vallée, obscurcissent le ciel, le tonnerre gronde et la pluie tombe avec une telle abondance que la procession doit se disperser.

    Les autres lieux

    Amours et prison de Merlin

    Le "Jardin de Joye" ou "Jardin d’Amour" dans lequel se recontraient Merlin et Viviane est une petite clairière, cachée dans les arbres, à courte distance de la fontaine de Barenton.
    Le château enchanté, où Viviane emprisonna son amant pour le garder toujours auprès d’elle, se peut voir, imaginer plutôt, à la Croix Lucas, non loin du village de la Tour-Guérin, où onze mégalithes figurent les murs invisibles entres lesquels Merlin repose à côté de sa bien-aimée.

    Le champ du Tournoi et le château de Ponthus

    Un peu au Nord de la fontaine de Barenton on arrive au champ du Tournoi, théâtre des exploits de Ponthus ; c’est une lande enclose de talus, légèrement circulaire et d’environ cent mètres de diamètre. Sur la droite, à l’Est par conséquant, se situe l’emplacement de l’ancien château de Ponthus, marqué par un hêtre magnifique planté au milieu des vestiges de ruines qui bossellent le sol.

    Le château de Comper

    Au détour de la route qui mène de Concoret à Saint - Mahalon se dresse la silouhette du château de Comper, à l’emplacement de celui où Viviane habitait avec son père, le seigneur Dyonas.
    Le Grand Etang, dans lequel se reflète le château, cache sous son nom banal l’étang de Diane des "Enfances de Lancelot du Lac".

    Le Val-Sans-Retour

    Pour atteindre ce val, qui s’étend dans la partie orientale de la forêt, il faut prendre à Tréhorenteuc la route de Ploërmel et s’engager, à la sortie du bourg, juste après le manoire de la Rue Neuve, dans un sentier qu’il suffit de suivre. Dans une gorge étroite et sauvage serpente un ruisseau dont les eaux rendirent à Merlin ses esprits égarés, et qui alimentait trois étangs dont un seul subsiste. Dans ce vallon, envahi de taillis et de brousailles, labyrinthe hérissé d’ajoncs, d’églantines et de ronces, dans ce vallon aux pentes abruptes surplombées, à certains endroits, de rochers qui ne semblent retenus que par les racines des chênes ou des pins, dans ce lieu où il est encore permis de se plonger dans le plus prestigieux passé de la Bretagne en admirant la nature dans sa beauté vierge, des barbares méditèrent, il y a peu, d’aménager un parc de stationnement pour les voitures, à trois cents mètres du Miroir des Fées ! Devant le tollé soulevé les vandales reculèrent et ne purent perpétrer leur profanation.

    Source : Brocéliande, la forêt enchantée, par M.De Mauny


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