• Les hommes ont fait trois grandes tentatives religieuses pour se libérer de la persécution des morts, de la malfaisance de l'au-delà et des angoisses de la magie. Séparées par l'intervalle approximatif d'un demi-millénaire, ils ont conçu successivement le bouddhisme, le christianisme et l'Islam; et il est frappant que chaque étape, loin de marquer un progrès sur la précédente, témoigne plutôt d'un recul.

    Il n'y a pas d'au-delà pour le bouddhisme; tout s'y réduit à une critique radicale, comme l'humanité ne devait plus jamais s'en montrer capable, au terme de laquelle le sage débouche sur un refus du sens des choses et des êtres : discipline abolissant l'univers et qui s'abolit elle-même comme religion.

    Cédant de nouveau à la peur, le christianisme rétablit l'autre monde, ses espoirs, ses menaces et son dernier jugement.

    Il ne reste plus à l'Islam qu'à lui enchaîner celui-ci : le monde temporel et le monde spirituels se trouvent rassemblés. L'ordre social se pare des prestiges de l'ordre surnaturel, la politique devient théologie.

    En fin de compte, on a remplacé des esprits et des fantômes auxquels la superstition n'arrivait tout de même pas à donner la vie, par des maîtres déjà trop réels, auxquels on permet en surplus de monopoliser un au-delà qui ajoute son poids au poids déjà écrasant de l'ici-bas.

    Claude Lévi-Strauss, de l'Académie Française (1908- ) Tristes tropiques. A travers cet ouvrage, Claude Lévi-Strauss souhaite renouer avec la tradition du voyage philosophique, loin d'une austérité scientifique mal comprise et d'un goût impudique du sensationnel, pour nous rappeler qu'on court le monde, d'abord, à la recherche de soi.


    votre commentaire
  • Selon le système de l'exaspération, rien n'est meilleur que de se gratter. C'est choisir son mal; c'est se venger de soi sur soi. L'enfant essaie cette méthode d'abord. Il crie de crier; il s'irrite d'être en colère et se console en jurant de ne pas se consoler, ce qui est bouder.

    Faire peine à ceux qu'on aime et redoubler pour se punir. Les punir pour se punir. Par honte d'être ignorant, faire serment de ne plus rien lire. S'obstiner à être obstiné. Tousser avec indignation. Chercher l'injure dans le souvenir; aiguiser soi-même la pointe; se redire à soi-même avec l'art du tragédien, ce qui blesse et ce qui humilie.

    Interpréter d'après la règle que le pire est le vrai. Supposer des méchants afin de les condamner à être méchants. Essayer sans foi et dire après l'échec : "Je l'aurais parié, c'est bien ma chance." Montrer partout le visage de l'ennui et s'ennuyer des autres. S'appliquer à déplaire et s'étonner de ne pas plaire...

    Douter de toute joie; faire à tout triste figure et objection à tout. De l'humeur faire humeur. En cet état se juger soi-même. Se dire: "je suis timide; je suis maladroit; je perds la mémoire; je vieillis." Se faire bien laid et se regarder dans la glace. Tels sont les pièges de l'humeur...

    Et comme disait Spinoza, maître de joie: "ce n'est pas parceque je me réchauffe que je suis content, c'est parceque je suis content que je me réchauffe"... Et si vous allez quêter la joie, faites d'abord provision de joie. Remerciez avant d'avoir reçu. Car l'espérance fait naître les raisons d'espérance.

    Alain (1868-1951) Propos sur le bonheur. Alain a écrit quelque cinq mille "propos, André Maurois considère l'ensemble comme un des plus beaux livres du monde... Le bonheur dépend des petites choses... Recueil d'une réflexion profonde, les "Propos sur le bonheur" ont sauvé beaucoup de lecteurs du désespoir.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique