• Le scepticisme moderne est un mouvement scientifique qui étudie d’un côté les phénomènes préten-dument paranormaux et de l’autre les pseudo-sciences. Même si intuitivement nous savons tous ce qu’est un phénomène réputé paranormal, il n’est pas aisé de définir ce qui caractérise et regroupe ces différents phénomènes sous cette étiquette.

    Tentons néanmoins la chose... Nous entendons par para-normal un phénomène qui (1) est inexplicable dans les termes de la science actuelle, (2) n’est explica-ble uniquement que par une révision majeure des principes de base de la science, ou (3) n’est pas compatible avec la norme des perceptions, des croyances et des attentes à propos de la réalité. Des phénomènes très variés entrent dans cette définition : la voyance, la télépathie, la télékinésie, les fan-tômes, la magie, les visions de la Vierge Marie, les formes de vie extraordinaire (Yéti, Big Foot, monstre du Loch Ness, les extraterrestres dans le cadre du phénomène ovni, etc.), etc.

    Prenons l’exemple de la voyance. La voyance n’est explicable que par une révision majeure du principe de base de la science qu’est le principe de cause à effet. La flèche du temps va dans une direction, du présent vers le futur. Dans les phénomènes de voyance, un effet (un futur donné) est supposé remonter le temps pour provoquer une cause (la vision du voyant), ce qui est plutôt problématique ! Bien enten-du, le fait qu’un phénomène soit en contradiction avec un principe de base de la science ne signifie pas que ce phénomène n’existe pas. Si un fait de voyance était avéré, il faudrait certainement envisager de changer la science pour inclure la nouvelle donnée dans les modèles.

    Le problème est que, contraire-ment à ce que certains affirment, les preuves en faveur de la voyance sont faibles, voire inexistantes. Du coup les scientifiques ne voient pas de raison de changer un principe fondamental de la science au nom d’un phénomène dont rien ne prouve qu’il existe effectivement... La croyance, quant à elle, peut se définir comme “ une attitude de l’esprit qui affirme quelque chose sans pouvoir en donner de preuve, avec un degré plus ou moins grand de probabilité ” (définition du “ Dictionnaire de Philo ” d’Armand Collin). La croyance au paranormal est donc fondamentalement une question de preuves (ou d’absence de preuves), et d’interprétations de ces preuves (ou de leurs absences).

    Le scepticisme consiste donc à appliquer la méthode scientifique sur les phénomènes paranormaux, et tout particulièrement l’esprit critique. S’il est difficile de définir le paranormal, il est carrément impos-sible de définir a priori ce qu’est une pseudo-science. En effet, les épistémologues n’arrivent pas à se mettre d’accord sur un critère qui permettrait à priori de distinguer ce qu’est la science de ce que n’est pas la science, autre qu’un critère sociologique : est une pseudo-science ce que les scientifiques ne considèrent pas comme étant du domaine de la science... Cependant, il est possible de dire “ à poste-riori ” pour chaque pseudo-science en particulier pourquoi elle est considérée comme telle.

    Nous trouvons dans les pseudo-sciences l’astrologie, la numérologie, la parapsychologie, l’ufologie, les médeci-nes alternatives, etc. Prenons l’exemple de l’astrologie : à chaque fois que des psychologues ont com-paré la description faite par un astrologue d’une personnalité (d’une personne que l’astrologue n’a jamais rencontrée et dont il connaît uniquement la date et l’heure précise de naissance) et les traits de personnalité effectifs de cette personne mesurés par des tests psychologiques, la relation entre les deux est nulle. La description de l’astrologue est faite comme s’il tapait au hasard. Je précise bien d’une personne que l’astrologue n’a jamais rencontré et dont il connaît uniquement la date et l’heure précise de naissance, car en effet sa description de la personnalité devient nettement plus en adéquation avec la réalité lorsqu’il connaît la personne après avoir eu un entretien avec elle.

    L’explication est simple : l’astrologue fait correspondre sa description avec ce qu’il a pu voir et entendre de la personne et moins avec ce que lui apprennent prétendument la position des astres à la naissance. Si l’astrologie se donne l’apparence de la science en reprenant du vocabulaire psychologique et psychanalytique, elle n’en a que l’apparence...

    Il est difficile de donner une date de naissance au scepticisme. Ce mouvement est probablement né avec la science elle-même, lorsque Aristote expliqua dans son traité de météorologie que les éclairs n’étaient pas l’œuvre de Zeus (qui, d’après la mythologie grecque, était supposé les lancer depuis un nuage). Néanmoins, au début du 20ième siècle, le célèbre illusionniste anglais Harry Houdini publia “ Miracle Mongers and their Methods ” (fr. : “ Les faiseurs de miracles et leurs méthodes ”), un pavé dans la marre contre les spirites où il expliquait certains des trucs d’illusionnistes qu’utilisent les pré-tendus médiums pour faire croire qu’ils communiquent avec les morts.

    Avec cet ouvrage Harry Houdini peut donc être considéré comme un des fondateurs du scepticisme actuel. De plus, l’affaire qui l’opposera à Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes, à propos d’une série de photos de fées prises par deux fillettes anglaises est un très bon exemple de débat entre les sceptiques et les défenseurs du paranormal. Cette célèbre affaire montre aussi à quel point les photos sont des éléments très probléma-tiques dans un dossier, même si aujourd’hui les photos d’ovni sont plus à la mode que les photos de fées... Sur base des connaissances scientifiques actuelles, la position des sceptiques est que les phé-nomènes paranormaux n’existent pas. Ou du moins que ces phénomènes sont explicables autrement. Bien entendu, cela ne veut pas dire que tous les scientifiques sont sceptiques.

    Au contraire, il existe de nombreux scientifiques qui défendent la réalité des phénomènes paranormaux. C’est pour cette raison que le scepticisme est un mouvement scientifique, c’est-à-dire un paradigme qui a une histoire, des postulats et des méthodes d’investigation des phénomènes qui le préoccupent. Au niveau des postulats, les points les plus fondamentaux sont que les sceptiques considèrent que (a) la science est la moins pire des méthodes pour étudier le réel, (b) la science permet lentement mais sûrement d’établir un sa-voir positif sur le réel, et (c) qu’il existe un monde extérieur à la subjectivité humaine et ce monde est stable. D’un point de vue méthodologique, un des principes de base de la démarche sceptique serait, comme l’a énoncé le psychologue William James, que “ d’un point de vue tactique, il est bien meilleur de croire un peu trop peu que de croire un peu trop ”. Le premier groupement sceptique officiel fut le “ Comité Belge pour l’Investigation Scientifique des Phénomènes Réputés Paranormaux ”, dit “ Comi-té Para ”, fondé en 1949. Ce groupe existe toujours aujourd’hui.


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  • Cette fascination par les nombres qui prend tant de gens, comment est-elle possible ? Comment fonctionne-t-elle ?

    D’abord le processus. Le nombre aura été une invention géniale des marchands pour compter les marchandises négociées. Quelle commodité de dire XXVI amphores de vin au lieu de une amphore et encore une amphore et encore une, etc. ! Ensuite vint le calcul. L’addition XXVI plus XII cela fait XXXVIII.

    N’est-ce pas étonnant cette possibilité de combinatoire ? Et puis, la multiplication. Là, on entre franchement dans le mystère. Il faut dire qu’une multiplication dans les mathématiques des Chaldéens, ce n’est pas pavé de roses. Mystère qui fut soigneusement caché aux profanes pendant des millénaires. La division ? On entre dans le grand inconnu. Et puis viennent les nombres imaginaires : racine carrée, et pire, racine carrée de un. Les pythagoriciens punissaient de mort l’adepte qui dévoilait la formule de la diagonale du carré par rapport au côté.

    Quelle merveille que le monde soit mathématisable ! dit un jour Albert Einstein 2400 ans plus tard, oubliant que ce qu’il mathématisait ce n’était pas le monde comme il le disait, mais la portion du monde qu’il capturait avec l’épervier de ses mathématiques ; portion qu’il avait d’ailleurs écornée suffisamment, tel Procuste, pour la réduire à une forme qui accepte de rentrer dans le lit des mathématiques. Cantor, l’inventeur de la Théorie des Ensembles, abandonnait au monde des mystères « inconsistants » : ce qu’il n’avait pas réussi à mettre sous la coupe de ses algorithmes.

    Le nombre, créature de l’esprit humain et d’ailleurs signe de son génie, se mit à fasciner son créateur qui n’en croyait pas ses yeux au point que l’homme attribua à sa créature un être autonome et extérieur à son créateur. Le nombre devint l’expression du dévoilement du monde - alors même, rappelons-le, qu’il’n’avait réussi qu’à traiter la partie qui, justement, se prêtait à ce traitement. Une fois autonomisé, échappé au contrôle de son créateur, le nombre se mit à divaguer. En vérité ce n’était pas le nombre qui divaguait, mais le dénombreur qui, renonçant à la maîtrise de ses nombres, s’abandonnait au doux vertige et aux délicieuses terreurs des enfants qui se font peur avec leurs propres histoires. On vit alors les thuriféraires des nombres se mettre à adorer les dieux qu’ils avaient inventés, jouissant des doux frissons que procure toujours la rencontre avec l’inconnu. On trouva un sens au nombre autonomisé, inconscient du fait que le sens des nombres n’est que le sens des objets qu’ils dénombrent.

    Mieux, acharné à la poursuite des sens dans des correspondances imaginaires, le dénombreur devenu numérologue - ou plutôt numéragogue - se mit à inventer une lecture du monde en termes de nombres. Les harmonies internes qui s’étaient révélées dans les nombres aux yeux éblouis des dénombreurs, voilà qu’on en trouvait la correspondance en découvrant des harmonies entre les choses et les êtres. Comme les nombres s’arrangeaient entre eux, les choses devaient s’arranger de même. On appliquait, ici, la règle universelle, jamais démontrée mais toujours imaginée, des correspondances entre tout et n’importe quoi. La règle qui veut - pourquoi grands dieux ! - que le monde ait partout, en lui-même, du sens, et que ce sens doive se lire dans un système universel d’harmonie de tout avec tout et réciproquement.

    Les nombres qui doivent seulement compter les choses se mirent à les régenter. Ou bien les choses se rangeaient docilement dans les régiments qui défilaient alors sous leurs nombres colonels, ou bien le dénombreur s’arrangeait pour les raccourcir ou les allonger suffisamment pour qu’elles se mettent à l’alignement. Le lit de Procuste des nombres en or, mercure et platine assagissait « le foisonnement des êtres » (Michel Foucault) pour en faire les dociles soldats de notre désir de les voir défiler en ordre. Alors, l’aigle dans les airs, la truite dans le ruisseau et la vache dans le pré se mirent à refléter une harmonie que le sage entendait bruire au ciel dans la Musique des Sphères. Alors les oeuvres que les humains avaient laissées sur leur passage, la cathédrale de Chartres, le temple d’Angkor Vat, les pyramides Maya et les « dessins laissés par les extra-terrestres sur le plateau des Andes », Disney-land, le hot-dog, les Tomahawks, EDF et le CEA, manifestaient des proportions cachées (peut-être à l’insu de leurs auteurs, inspirés sans le savoir) en corrélation avec l’ordre cosmique, et révélées par les nombres. Oui, les nombres semblaient bien être les dieux créateurs eux-mêmes, qui avaient imprimé dans l’univers leur ordonnancement que les initiés savaient lire. La correspondance entre la période de la lune et celle de la femme, qui avait frappé les hommes depuis 500 000 ans, révélait la sororité des deux êtres et condamnait la femme à la nuit jusqu’à la fin des temps.

    Il faut aussi prendre en compte la séduction ludique de l’activité mentale elle-même. Faire fonctionner la machine à raisonner, à calculer, à supputer, qui est logée sous sa voûte crânienne, est une passion qui a envahi l’être humain depuis que l’évolution l’a doté d’un cerveau géant dont la plus grande partie est le plus souvent inoccupée. D’où les distractions - au sens pascalien - d’où la quête du sens à propos de tout et n’importe quoi. D’où les interrogations sans fin, la recherche de la signification - absurde, en même temps que paradoxalement logique - de l’infini. D’où ce « rationalisme morbide » où Eugène Minkovski voyait le symptôme de la maladie mentale radicale : la schizophrénie. Parce que nous sommes en face de nos possibilités mentales comme la cane qui a couvé un cygne, nous nous mettons à jouer avec elles. Le jeu du raisonnement évite l’angoisse de penser. 

    Mutatis mutandis, la numérologie pose un problème comparable à celui qu’elle laisse froid. La numérologie ravit les numérologues. C’est un jeu de l’esprit (mind) et notre esprit se trouve porté à jouer sans que nous sachions pourquoi il joue. Nous savons seulement que les jeux de l’esprit ne sont pratiqués que par l’homme (si les dauphins et les chimpanzés jouent avec leur esprit, ils ne sont pas en mesure de nous le dire, et il est raisonnable de penser qu’ils n’en savent pas plus sur eux que nous n’en savons sur nous). Enfin nous constatons que nous employons cette autre étrangeté biologique qu’est notre langage qui, lui, n’a pas d’équivalent ailleurs. Nous constatons, nous les humains, que nous faisons avec notre esprit et notre parole des choses qui restent un mystère pour cet esprit et cette parole mêmes. C’est Sophocle qui nous le dit : « il y a beaucoup de choses étonnantes dans le monde, mais la plus étonnante est l’homme » (Antigone).


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