Une nouvelle divinité particulièrement prospère du panthéon vaudou est Mama Wata, déesse de l’eau.
En elle fusionnent les conceptions les plus diverses. Les Ewé du sud du Togo et du sud-est du Ghana lui vouent un culte mêlant de nombreux traits des rites anciens et modernes des espirts de l’eau, mais opposé aux représentations divines traditionnelles par la valeur accordée aux biens modernes de consommation.
Pour Mami Wata, peu importe la morale, la solidarité collective ou la fraternité, suel compte le bonheur ou le malheur de l’individu. Celui qui est possédé par la déesse subit une sorte de dédoublement de la personnalité. En définitive, elle semble attirer en particulier les personnes ayant des problèmes d’identité et hésitant entre les anciennes traditions et les biens matériels issus de cultures étrangères. Fort à propos, la figure de Mami Wata mélange des éléments du culte de l’eau avec des traits non autochtones. Son culte combine les traditions européennes, indiennes et africaines.
Les premiers Européens à aborder les côtes de la Guinée semblaient surgir de la mer avec leurs bateaux. Leurs corps ressemblaient à ceux des noyés, leurs étranges outils ne pouvaient qu’être une création d’excentriques esprits des eaux. Leur richesse, tout comme la singularité de la culture européenne, avaient été très tôt mises en rapport avec la mer. Quantité d’esprits aquatiques précoces reçurent la dénomination pidgin de "Mami Wata", parfois aussi écrite "Mammy Water", ainsi qu’une série de caractéristiques inédites, mais aussi étonnament homogènes. Ce faisant, les Ewé parvinrent à intégrer solidement le culte de Mami Wata dans l’ensemble des anciens rites vaudous, en établissant des liens entre la déesse et différentes divinités traditionnelles.
Ce fut en particulier le cas de Dan, dieu vaudou de l’argent, des marchands, des pierres précieuses et des perles. A plusieurs reprises, dès le tournant du XXe siècle, la déesse a aussi été considérée comme l’épouse du dieu Ablo, associé aux "richesses venues de la mer".
A d’autres occasions, elle est vénérée comme incarnant l’esprit d’un noyé ou encore comme "maîtresse des eaux et des noyés". Toute une série "d’anciennes" divinités, comme Mami Toxosu, Mami Ablo ou Mami Densu, font partie de sa suite, bien qu’à chaque fois réactualisées grâce aux attributs de la vie "moderne".
Des divinités hindoues (Mami Rama, Mami Vishnu, etc...) apparaissent aussi dans son entourage. Les Ewé chrétiens l’identifient parfois à la Vierge Marie et rangent à ses côtés Mami Jesuvi, Mami Josef, etc... C’est ainsi, qu’au fil du temps, s’est constitué un monde divin des plus diversifiés, mais toujours caractérisé par une forme quelconque de vénération pour les esprits de l’eau.
Sur les côtes de Guinée, les premières déesses "nordiques" de la mer s’inspiraient de toute évidence des figures de proue des navires à voiles. Un nouveau modèle vit le jour quand les gravures européennes firent leur apparition sur les marchés africains, pour êtr eensuite copiées sans relâche par les peintres muraux, les sculpteurs sur bois ou sur pierre. A l’origine, il s’agissait sans doute de représentations populaires de nymphes. A l aveille de la Seconde Guerre mondiale, une affiche allemande de forains, selon toute vraisemblance imprimée à Hambourg entre 1880 et 1887 sous le titre "La Charmeuse de serpent", se retrouve à profusion su rles marchés d’Afrique de l’Ouest. Le motif, le décor et la forme du visage y évoquent l’Inde. De fait, dans les années 1940 et 1950, l’xceptionnelle popularité du modèle incita des marchands indiens à le faire imprimer dans leur pays.
Sa diffusion en Afrique de l’Ouest fut ainsi très fortement accélérée par la multiplication des reproductions. La figure ne tarda pas à décorer les murs de nombreuses maisons où se rassemblaient les adeptes de Mami Wata. Devins et guérisseurs se mirent à utiliser des représentations en plastique, en bois ou en ciment comme figurines de culte ou de publicité.Dans ce même contexte, la population africiane montra un intérêt croissant pour les reproductions indiennes figurant les divers dieux et déesse hindous.
La présence de marchands indiens et leur évident succès commercial donnèrent une nouvelle impulsion au culte et à sa propagation. Un marchand yoruba, faisant commerce au Togo d’images hindoues, en donne l’explication : "Si à l’époque coloniale nous possédions déjà ces images, leur signification nous était encore étrangère. Elles plaisaient aux gens qui en décoraient leurs chambres et leurs maisons. Mais les Africains se mirent ensuite à les étudier en se demandant pourquoi les Hindous disposaient devant elles des bougies, des lumières et des bâtonnets d’encens. Je pense qu’ils se servaient d’elles pour nous soutirer de l’argent. Sinon pour quoi d’autre ? Afin de découvrir les secrets de ces images nous nous sommes liés d’amitié avec elles."
Cette explication établit un lien direct entre l’image des deiux hindous et la réussite financière de leurs adeptes, tout comme autrefois entre la sirène et la richesse ou la puissance des Européens.
Aujourd’hui, autour de Mami Wata, s’est développé un culte très complexe où fusionnent des éléments traditionnels chrétiens, hindous, bouddhistes et même astrologiques.
Et voici donc comment on crée une divinité...