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    L'Oeuf du Monde, symbole du Principe à la source de la manifestation, est commun à nombre de traditions. En particulier, dans les traditions égyptienne et celtique, un serpent enroulé autour de l'Oeuf offre, comme nous allons le voir, une représentation de la double spirale.

    Les anneaux du serpent représentent l'ensemble des cycles de la manifestation universelle. Chaque cycle reflète un état de manifestation ou l'une de ses modalités. La fin d'un cycle coïncide avec le début du suivant, c'est-à-dire que la mort d'un cycle survient toujours avec la naissance d'un autre. En conséquence, les changements dans les états manifestés peuvent être mesurés le long d'un axe vertical qui traverse chaque anneau ou cycle en son centre, là où tous les aspects propres à l'état considéré sont en parfait équilibre, en parfaite harmonie. Cet axe, appelé Axe du Monde, symbolise la direction de la manifestation de l'Être ou de l'Unité Primordiale.

    Tous les états de manifestation ou cycles proviennent du Principe indifférencié et y retournent après leur plein développement. En conséquence, ils se présentent comme sur le diagramme illustrant cet article où chaque cycle est généré et absorbé par le point principiel situé au centre d'une sphère (en pointillés). En effet, l'Unité Primordiale contient tout en principe et ne peut devenir autre chose qu'elle-même car cela impliquerait une dualité du Tout.

    Selon ce diagramme, deux mouvements inverses ont lieu. Les cycles peuvent soit se répandre à partir du point principiel intérieur vers la surface extérieure de la sphère soit se contracter de la surface extérieure au centre intérieur ou point principiel. En fait, les deux mouvements reflètent deux aspects d'une unique force liée à l'être

    • Le point de vue métaphysique ou la sortie du monde non manifesté vers le monde manifesté qui correspond à une corporification de l'Esprit.
    • Le point de vue cosmologique du retour du monde manifesté vers le monde non manifesté qui exprime une spiritualisation du corps.

    Ce mouvement alternatif de la mort d'un monde et de la re-naissance d'un autre, au sens très large des termes, correspond aux processus de “condensation-dissipation” de la tradition taoïste ou aux opérations de “coagulation-dissolution” propres à la tradition hermétique.

    Une telle force peut être comparée, au niveau de l'individu, aux deux phases de la respiration (expiration-inspiration) ou de la pulsation cardiaque (diastole-systole). Au plan du monde cosmique, les couples évolution-involution et développement-enveloppement ont le même sens. En effet, le macrocosme et le microcosme se reflètent l'un l'autre et tout ce qui se trouve dans l'univers se retrouve dans l'être humain en fonction d'une analogie appropriée. Cependant, la force unique se rapporte au symbolisme de l'Oeuf du Monde qui concerne principalement le macrocosme ou le monde cosmique et sera dénommée par la suite force cosmique.

    Polarisation de la force cosmique

    Dans les différentes formes traditionnelles, la sortie dans le monde manifesté s'opère généralement sous l'influence ou l'attraction terrestre et le retour vers le Principe indifférencié sous l'influence ou l'attraction céleste. Aussi, l'Oeuf du Monde est-il souvent scindé en deux moitiés représentant ce que la tradition chinoise dénomme le Ciel et la Terre. Et les deux courants inverses de la force cosmique peuvent être symbolisés par un unique serpent enveloppant l'oeuf, appelé amphisbène, pourvu d'une tête à chacune des extrémités, elles-mêmes enroulées dans des sens opposés. Les deux têtes correspondent aux pôles céleste et terrestre de la force cosmique.

    Comme le Ciel est généralement associé à la lumière (yang) et la Terre à l'obscurité (yin), les deux hémisphères de l'oeuf peuvent être distingués par leur couleur blanche et noire. Coupées le long de leur ligne de démarcation, les deux moitiés peuvent être déposées sur leur surface plane, l'une à côté de l'autre, reliées uniquement par l'enroulement extérieur ou cyclique. Les deux hémisphères fournissent alors une image de la double spirale qui reflète le rythme alternatif de la manifestation composé de deux phases. Un mouvement descendant du Ciel vers la Terre ou de la mort de l'Esprit à la vie corporelle et un mouvement ascendant de la Terre au Ciel ou d'une mort corporelle symbolique à une re-naissance spirituelle. Les deux points autour desquels la double spirale s'enroule sont bien entendu les deux pôles. Voir le diagramme ci-dessous.

    La double spirale fournit une représentation de la force cosmique unique agissant dans des directions opposées sur les deux pôles. Tout cela est en étroite relation avec les deux sens de rotation du swastika qui montrent une même révolution vue du pôle céleste ou terrestre. Comme l'influence combinée du Ciel et de la Terre s'exerce dans des sens opposés, chaque opération de “dissipation” ou de “dissolution” à l'un des pôles s'allie avec une opération de “condensation” ou de “coagulation” à l'autre pôle afin de maintenir un équilibre d'ensemble. 

    La double influence du Ciel et de la Terre ne traduit rien d'autre que la complémentarité du yin et du yang, respectivement associés aux phases descendante et ascendante. Il est aisé de voir, qu'au sein du symbole yin-yang, la double spirale correspond à la ligne de démarcation entre les zones claire et sombre. De plus, le point noir dans la partie blanche ainsi que le point blanc dans la partie noire représentent les deux pôles.

    Le rythme alternatif du yin et du yang, des phases descendante et ascendante, de la sortie et du retour peuvent difficilement être mieux décrites que dans le symbole du yin-yang. L'ordre des deux phases dépend de l'état pris en compte comme point de départ.

    Partir d'un état non manifesté et se mouvoir vers un état manifesté signifie que le yin vient en premier; le yang suivra lors du retour vers le non manifesté. Cela explique pourquoi le pôle à l'intérieur de la partie sombre du symbole est représenté par un point blanc.

    Inversement, lorsque l'état manifesté constitue le point de départ en direction du non manifesté, le yang doit prévaloir et le yin être associé à un mouvement ultérieur vers un autre état manifesté comme l'indique le pôle noir au sein de la partie blanche.

    En conséquence, le yang est présent dans la phase descendante qui est yin; de même, le yin ne peut être omis dans la phase ascendante qui est yang. Même distinguées, les deux phases descendante et ascendante agissent de concert. Il n'y a pas de yin sans yang ni de yang sans yin. Exprimé autrement, les dix mille êtres, symbolisant la manifestation universelle, sont modifiés par le yin et le yang, depuis leur apparition dans le manifesté jusqu'à leur retour dans le monde non manifesté.

    Séparaion des courants de la force cosmique

    Lorsque les deux courants inverses de la force cosmique sont non seulement distingués comme dans l'amphisbène, mais également séparés, ils peuvent être représentés sous la forme de deux serpents enroulés dans des sens opposés autour d'un axe commun comme dans le caducée.

    La légende dit que Hermès (Mercure en latin) vit deux serpents se battre (image du chaos originel) et qu'il les sépara (scission des opposés) avec un bâton (axe le long duquel le chaos va s'ordonner et devenir le cosmos). Puis, les deux serpents s'enroulèrent autour du bâton dans des sens opposés (équilibre de deux forces opposées opérant symétriquement par rapport à l'Axe du Monde). Le caducée est un attribut caractérisant les deux fonctions d'Hermès: le messager des dieux associé à la phase descendante et le psychopompe transportant les humains d'un état d'être à un autre au cours de la phase ascendante.

    En tant qu'emblème médical, le caducée fait référence aux deux aspects de la force cosmique représentés par les deux serpents reliés aux phases descendante et ascendante. Ainsi, la médecine hermétique se fonde sur les opérations de “coagulation” et de “dissolution”. Dans la médecine chinoise, la “condensation” et la “dissipation”, liées aux forces du yin et du yang, jouent un rôle similaire.

    Représenté par un unique serpent enroulé autour du bâton d'Esculape comme sur la figure ci-contre, l'emblème fait essentiellement référence à la phase ascendante qui mène les êtres humains vers des états supérieurs. Cette représentation explique pourquoi, dans les temps anciens, la médecine relevait de l'art sacerdotal et non du pouvoir temporel.

    La double opération de “coagulation-dissolution” correspond exactement à ce que la tradition chrétienne dénomme le pouvoir des clés. Un pouvoir double car il recèle la capacité de “lier” et “délier”, équivalent à “coaguler” et “dissoudre”. Ce pouvoir appartient à deux clés relevant de deux ordres différents. Une clé d'or propre au pouvoir spirituel et une clé d'argent en relation avec l'ordre temporel. Les deux clés, chacune dans leur domaine respectif, ont le double pouvoir de “lier” et “délier”, mais dans des proportions différentes. En effet, le pouvoir de “lier” prévaut dans le domaine temporel et celui de “délier” dans la sphère spirituelle, de sorte que les deux clés sont yin et yang l'une par rapport l'autre. Aussi, dans la représentation la plus commune, les deux double spirales, associées aux deux clés, sont plutôt croisées que parallèles et évoquent le swastika.

    Une étroite connexion avec le symbole de Janus (de “janua” qui signifie porte), le dieu romain de l'initiation aux deux visages, peut être signalée à ce propos. Ici, la clé d'argent (ou le sceptre) et la clé d'or ont chacune le double pouvoir “d'ouvrir” et de “fermer” les portes d'accès respectivement aux “petits mystères” et aux “grands mystères”

    • Les “petits mystères” consistent en une ré-génération psychique produisant un individu centré. Comme il appartient toujours à l'ordre temporel, cette initiation ne peut être associée qu'à la double spirale horizontale.
    • Les “grands mystères” donnent accès au monde spirituel, domaine des possibilités supra-individuelles. N'impliquant aucun retour vers le l'état humain, cette initiation ne peut être liée qu'à la double spirale verticale.

    “Ouvrir” et “lier” correspondent à un mouvement yin, “fermer” et “délier” à un mouvement yang. En effet, après avoir ouvert la porte donnant accès à un cycle et l'avoir accompli, l'être humain re-naît dans un nouveau cycle, sans possibilité de retour au précédent. Il voit, par conséquent, la porte se fermer derrière lui.

    Dans la tradition hindoue, les deux courants de la force cosmique sont représentés par le “Brahma-danda” ou le bâton brahmanique composé de deux hélices enroulées dans des sens opposés autour d'un axe vertical symbolisant, comme toujours, l'Axe du Monde. Les deux hélices se rencontrent le long de l'axe en sept lotus ou noeuds qui doivent être dénoués pour atteindre la pleine Connaissance.

    Au pouvoir des clés correspond dans la tradition hindoue le double pouvoir du vajra. En tant que symbole de la foudre, il possède un pouvoir sous les deux aspects opposés ou  plutôt complémentaires de “génération” et de “destruction”. Génération d'un nouveau cycle ou vie; destruction d'un cycle précédent ou mort. Dans sa représentation la plus répandue, les deux extrémités se terminent par trois flammes: la flamme centrale correspond à l'axe, les deux latérales aux courants de la force cosmique. Tenu verticalement en tant qu'attribut sacerdotal, il représente l'Axe du Monde reliant le Ciel et la Terre ou la “Voie du Milieu”. Tenu incliné d'un côté ou de l'autre, il dépeint les voies tantriques de droite et de gauche, de la dévotion à la Déesse et de l'union des êtres, et forme un swastika.

    Une signification similaire se retrouve dans la mythologie grecque avec le trident de Poséidon ainsi que dans la tradition nordique et le marteau de Thor.

    Ajouter des exemples n'apporterait rien de plus au sens profond de la double spirale.


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  • Selon Mircea Eliade, le symbolisme de la spirale est assez complexe et d’origine incertaine. Cependant, on peut dire que pour la plupart des traditions antiques, les spirales sont le symbole de la création et de l’évolution de tout l’Univers. Ces dernières pourraient se décrire, de façon schématique, comme un ensemble de spirales qui génèrent des mondes ainsi que leur cycles de naissance et de mort, d’évolution ou d’involution, selon les différentes possibilités des multiples combinaisons de l’existence. Les dernières découvertes astronomiques confirment qu’environ deux tiers de toutes les galaxies existantes – y compris la nôtre – ont cette forme géométrique de croissance à partir d’un point central. Ces études lient même leur développement au nombre " phi " - le nombre d’or des Grecs – et à ses énigmatiques séries mathématiques.

    Dans le système hiéroglyphique de l’Egypte ancienne, la spirale désignait les formes cosmiques en mouvement, la relation entre l’unité et la multiplicité manifestée. Les premiers habitants de l’Europe gravèrent aussi des spirales dans les grottes et sur les pierres. De nombreux menhirs et dolmens portent des spirales, attribuées par la suite à la culture celte car celle-ci les utilisait pour orner ses objets et bijoux rituels.

    La mythologie grecque distinguait la spirale créatrice ou dextrogire (rotation vers la droite), attribut de la déesse Athéna et la spirale destructrice ou lévogire, tourbillonnant vers la gauche et attribut de Poséidon. Pour les Grecs, le seuil entre le monde des hommes et celui des dieux était symbolisé par le mont Hélicon, résidence des Muses. Son sommet, toujours entouré de nuages, représentait la frontière entre le Ciel et la Terre.

    La montée symbolique de l’Hélicon se faisait en parcourant les pentes en un mouvement en spirale autour du mont. Le cercle ainsi parcouru se rétrécissait au fur et à mesure que l’on approchait du sommet. Cette ascension spiralée permettait d’arriver, peu à peu, au point le plus haut. Elle symbolisait la conquête de son propre centre, ou la réalisation de sa propre synthèse, et l’accession à l’unité du divin en soi-même (l’enthousiasme dionysiaque) à partir de la multiplicité du monde.

    La pratique des arts, surtout la musique, (inspirée par Apollon, père des Muses qui habitent le mont Hélicon) et de la dialectique (la méthode socratique permettant d’atteindre la connaissance de soi), représentent l’exercice de la volonté qui nous permet, pendant cette montée, de travailler l’intuition du divin et la raison purement humaine. Arrivé au sommet du mont, il est alors possible de ne faire qu’un avec son propre Etre Intérieur. Après cette ascension symbolique, et en faisant le chemin inverse de la descente, le candidat renaît et revient avec de nouvelles forces pour s’intégrer dans le monde, avec un peu plus de sagesse, ce qui lui permettra de transmettre ses expériences aux autres.

    Galaxies, tourbillons, coquillages, écoulement de l’eau dans un conduit, semences dotées d’ailes en forme d’hélices comme celle de l’érable – dont le doux vol en spirale assure la pollinisation des fleurs et génère ainsi de nouvelles plantes – tiges spiralées grimpent en enlaçant d’autres, bourgeons dont les feuilles sont soigneusement repliées en spirales ascendantes comme une promesse de perfection et de beauté qui atteindra sa plénitude dans la fleur... toute la Nature semble être obsédée par la forme de la spirale. A chaque fois que dans l’Univers, il y a un mouvement d’expansion ou de contraction, il se produit une spirale, ce qui nous rappelle la célèbre phrase de Pythagore : " Quand il crée, Dieu géométrise".


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  • Dans la structure de toutes les cosmogonies, l'oeuf joue le rôle d'une image- cliché de la totalité (Mircea Eliade, dans SOUN, 480). Mais il succède en général au chaos, comme un premier principe d'organisation. La totalité des différences procède de lui, non le magma indifférencié des origines.

    Si l'Oeuf n'est jamais absolument premier, il symbolise toutefois le germe des premières différenciations. L'oeuf cosmique et primordial est un, mais il renferme à la fois ciel et terre, les eaux inférieures et les eaux supérieures ; dans sa totalité unique, il comporte toutes les multiples virtualité.

    L'oeuf apparaît également comme un des symboles de la rénovation périodique de la nature : tradition de l'oeuf de pâques, des oeufs colorés, dans de nombreux pays. Il illustre le mythe de la création périodique. Mircea Eliade s'élève contre une interprétation empirico-rationaliste de l'oeuf considéré comme germe,... le symbole que l'oeuf incarne (d'après les ensembles mystico- rituels de maintes religions) ne se rapporte pas tant à la naissance qu'à une renaissance, répétée suivant le modèle cosmogonique...

    L'oeuf confirme et promeut la résurrection qui... n'est pas une naissance, mais un retour, une répétition (ELIT, 347- 348).

    Il nous semble que les deux interprétations ne sont point incompatibles, comme parait le croire Mircea Eliade. Il est bien clair que l'oeuf symbolise la renaissance et la répétition; il ne l'est pas moins que, d'après les textes les plus anciens, l'oeuf est, aux origines, un germe ou une réalité primordiale. Sa fonction cyclique est consécutive à son rôle premier. S'il y a construction rationaliste, nous la voyons plutôt dans une conception inspirée d'un modèle cosmogonique, qui se répéterait. Ce qui n'empêche que l'oeuf symbolise aussi un cycle biologique.

    L'oeuf participe également du symbolisme des valeurs de repos, comme la maison, le nid, la coquille, le sein de la mère (BACE, 51-130). Mais au sein de la coquille, comme en celui, symbolique, de la mère*, joue la dialectique de l'être libre et de l'être enchaîné. De cette douce sécurité, le vivant aspire à sortir le poussin brise sa coque douillette et tiède. L'oeuf, comme la mère, deviendra le symbole des conflits intérieurs entre le bourgeois avide de confort et l'aventurier épris de défi, qui sommeillent en l'homme, ainsi qu'entre les tendances à l'extraversion et celles de l'introversion.

    Comme dans les cosmogonies, l'oeuf psychique renferme le ciel et la terre, tous les germes du bien et du mal, ainsi que la loi des renaissances et de l'éclosion des personnalités. L'étudiant se sent enclos dans son univers (université) ; il aspire à en sortir, en brisant sa coquille. Il défie pour vivre.

    C'est également à l'idée de germe, mais de germe d'une vie spirituelle, que se réfère la tradition alchimiste de l'oeuf philosophique.

    Foyer de l'univers, il renferme dons sa coquille les éléments vitaux comme le vase hermétiquement clos contient le compost de l'oeuvre. Le vase, qu'il soit matras, aludel, cucurbite ou cornue, devait comme l'oeuf être couvé pour que son compost pût se transformer.

    La ponte et la couvaison de l'oeuf comportent elles-mêmes divers aspects symboliques qui valent d'être notés. La poule qui couve est considérée, dans les sectes de méditation bouddhiques, comme le symbole de la concentration de l'esprit et de son pouvoir spirituellement fécondant.

    L'enseignement théorique, purement extérieur, est comparé par Tchouang-tseu, aux oeufs inféconds, dépourvus de germe. Les scolastiques se sont interrogés sur l'antériorité relative de la poule et de l'oeuf : l'oeuf est dans la poule, la poule dons l'oeuf, répond Silésius. La dualité est contenue potentiellement dans l'unité; la dualité se résout en l'unité.

    Plus prosaïquement, mais sans nous éloigner des notions précédentes, notons que l'oeuf est parfois pris comme symbole de prospérité : si les A-kha du Nord-Laos rêvent qu'une poule pond plusieurs oeufs, ils interprètent le songe comme une promesse de richesse prochaine.


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  • La naissance du monde à partir d'un oeuf est une idée commune aux Celtes, aux Grecs, aux Égyptiens, aux Phéniciens, aux Cananéens, aux Tibétains, aux Hindous, aux Vietnamiens, aux Chinois, aux Japonais, aux populations sibériennes et indonésiennes, à bien d'autres encore. Le processus de manifestation revêt toutefois plusieurs aspects; l'oeuf de serpent celtique, figure par l'oursin fossile, l'oeuf crache par le Kneph égyptien, voire par le dragon chinois, représentent la production de la manifestation par le Verbe.

    D'autres fois, l'homme primordial nait d'un oeuf c'est le cas de Prajâpati, de P'an-kou. D'autres héros chinois sont nés ultérieurement d'oeufs fécondes par le soleil, ou de l'ingestion d'oeufs d'oiseau par leur mère. Plus fréquemment encore, l'oeuf comsique né des eaux primordiales, couve à leur surface (par l'oie Hamsa, dit-on en Inde, qui est l'Esprit, le Souffle divin), se sépare en deux moitiés pour donner naissance au Ciel et à la Terre : c'est la polarisation de l'Androgyne*.

    Ainsi le Brahmânda hindou se sépare en deux demi-sphères d'or et d'argent ; l'oeuf de Léda donne naissance aux deux Dioscures, portant chacun une coiffure hémisphérique; le yin-yang chinois, polarisation de l'Unité première, présente un symbole identique en ses deux moitiés noire et blanche.

    L'oeuf primordial du Shintô au japon se sépare de même en une moitié légère (le Ciel) et une moitié dense (la Terre). Ibn al-Walîd figure de façon assez voisine la Terre, dense comme le jaune de l'oeuf coagulé, le Ciel, plus léger comme le blanc qui l'entoure. Ce symbolisme général, liant l'oeuf à la genèse du monde et à sa différenciation progressive, mérite d'être précisé. L'oeuf une réalité primordiale, qui contient en germe la multiplicité des êtres.

    Pour les Égyptiens, sous l'action d'un démiurge, émergera du Noun, personnification de l'océan primordial, eau absolue contenant des germes de création en attente, une butte, sur laquelle un oeuf éclora. De cet oeuf, - le mot est féminin en Égyptien - un dieu jaillira, qui organisera le chaos, en donnant naissance aux êtres différenciés. Le dieu Khnoum issu de cet océan et de l'oeuf primordial fabriquera à son tour, à la façon d'un potier, les oeufs ou embryons, ou germes de vie. Il est le modeleur des chairs. Mais l'Égypte ancienne connaissait diverses cosmogonies. Selon celle d'Hermopolis, l'oeuf primordial n'était autre que la Qerehet, patronne des forces vitales de l'espèce humaine. Le grand lotus initial, dont le calice s'illumine en s'ouvrant le matin à la surface des fanges du delta, jouait le même rôle dans d'autres traditions. Le soleil lui-même serait né du germe mystérieux que l'oeuf-Mère entourait (SOUN, 22-62).

    Selon les traditions cananéennes, Mochus met à l'origine du monde l'éther et l'air d'où nait Oulômos (L'Infini). Oulômos engendre l'oeuf cosmique et Chansôr (le dieu artisan). Chansôr ouvre l'oeuf cosmique en deux ef forme le ciel et la terre de chacune de ses deux moitiés (SOUN, 183).

    Dans l'Inde, selon la Chândogya Upanishad (3, 19), l'oeuf est né du Non-être et il a engendré les éléments : Au commencement, il n'y avait que le Non-être. Il fût l'être. Il grandit et se changea en oeuf. Il reposa toute une année, puis il se fendit. Deux fragments de coquille apparurent: l'un d'argent, l'autre d'or. Celui d'argent, voilà la terre ; celui d'or, voilà le ciel. Ce qui était la membrane externe, voilà les montagnes; ce qui émit la membrane interne, voilà les nuages et les brumes; ce qui était les veines, voilà les rivières; ce qui était l'eau de la vessie, voilà l'océan (dans SOUN, 354).

    Selon des doctrines tibétaines, pour n'être pas primordial, l'oeuf est cependant à l'origine d'une longue généalogie d'hommes : De l'essence des cinq éléments primordiaux, un grand oeuf est sorti. Et de l'oeuf sont sortis un lac blanc, les êtres des dix catégories, d'autres oeufs, d'où sortirent les membres, les cinq sens, des hommes, des femmes... soit une longue généalogie d'ancêtres.

    Dans les traditions chinoises, avant toute distinction du ciel et de la terre, le chaos lui-même avait l'apparence d'un oeuf de poule. Au bout de 18000 ans (nombre- symbole d'une période indéfinie), l'oeuf- chaos s'ouvrit : les éléments lourds formèrent la terre (Yin) ; les éléments légers et purs le ciel (Yang). L'espace qui les séparait grandissait chaque jour. Au bout de 18000 ans, P'an Kou mesura la distance entre le ciel et la terre. La théorie Houen-t'ien, de son côté, conçoit le monde comme un oeuf immense, dressé à la verticale sur son plus long diamètre. Le ciel et les astres sont à la partie intérieure et supérieure de la coquille ; la terre est le jaune flottant au milieu de l'océan primordial qui remplit le fond de l'oeuf. Les saisons procèdent des agitations périodiques de cet Océan.

    Le Grand Temple Inca de Coricancha, a Cuzco, avait pour principal ornement une plaque d'or de forme ovale, flanquée des effigies de la lune et du soleil. Lehman Nitsche y voit la représentation de la divinité suprême des Incas, Huiracocha, sous la forme de l'oeuf cosmique. Il cite à l'appui de sa thèse plusieurs mythes cosmologiques recueillis au Pérou par les premiers chroniqueurs espagnols, dont celui-ci : le héros créateur demande à son père, le Soleil, de créer les hommes pour peupler le monde. Celui-ci envoie sur terre trois oeufs. Du premier - oeuf d'or - sortiront les nobles; du second - oeuf d'argent - sortent leurs femmes; du troisième enfin - oeuf de cuivre - est issu le peuple. Dans une variante, ces trois mêmes oeufs tombent du ciel après le déluge. Le nom de Huiracocha serait l'abréviation de Kon-Tiksi-Huira-Kocha, qui signifie Dieu de la mer de lave, ou du fluide igné de l'intérieur de la terre. Huiracocha était en effet le maître des volcans.

    Le mythe de l'oeuf cosmique se retrouve chez les Dogons et les Bambaras du Mali. Le glyphe (ici, dessin de bonhomme stylisé) vie du monde des Dogons le représente, au sommet supérieur de la croix des des directions cardinales, en opposition à un autre oeuf, ouvert vers le bas, et qui est la matrice terrestre, la jarre femelle (GRIS). L'oeuf cosmique, pour les Bambaras, est Esprit. Il est l'Esprit premier, produit, au centre de la vibration sonore, par le tournoiement de celle-ci. Ainsi cet oeuf se forme, se concentre, et peu à peu se sépare de la vibration, gonfle, bruit, se maintient seul dans l'espace, s'élève et éclate, laissant retomber les vingt-deux éléments fondamentaux formés en son sein, qui présideront à l'ordonnancement de la création en vingt-deux catégories (DIEB).

    L'oeuf est une image du monde et de la perfection, pour les Likouba et Likouala du Congo, selon ce que rapporte de leur pensée cosmogonique J.-P. Lebeuf. Le jaune représente l'humidité féminine, le blanc le sperme masculin. Sa coquille, dont l'intérieur est isolé par une membrane, représente le soleil, issu de la coquille de l'oeuf cosmique qui aurait brûlé la terre, si le créateur n 'avait transformé la membrane en atmosphère humide. Aussi les Likouba et les Likouala disent-ils que l'homme doit s'efforcer de ressembler à un oeuf.

    Dans le Kalevala (Finlande), avant la naissance du temps, la Vierge, déesse des eaux, laisse apparaître son genou à la surface des eaux primordiales. Le canard (maître de l'air) y dépose 7 oeufs, dont 6 d'or et 1 de fer. La vierge plonge, les oeufs se brisent dans les eaux primordiales.

    Ainsi l'oeuf est souvent une représentation de la puissance créatrice de la lumière. Dans le domaine celtique, on n'a aucun témoignage direct sur le symbolisme de l'oeuf. Celui-ci est inclus dans celui de l'oursin*, fossile, ovum anguinum ou oeuf cosmique qui contient en germe toutes les possibilités.


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