• Les athées sont-ils croyants ?


    "Les athées ne croient en rien ..." Combien de fois ai-je entendu cette phrase, ou quelque dérivé ? Et venant aussi bien de Chrétiens, que de Musulmans et même de Païens. Cette affirmation m'a toujours dérangé. En premier lieu, à cause de l'appropriation des mots croire, croyant, croyance. En effet, pour nombre de gens, le croyant est celui qui croit en un dieu, et plus généralement au(x) dieu(x) de la religion "officielle" de l'endroit. Ainsi, quand un gamin de six ans dans une quelconque cour de récré dit à ses camarades catholiques "Non mais moi, je suis pas croyant." il veut dire par là qu'il ne croit pas au dieu des Chrétiens. De même le calife est le "commandeur des croyants", oui, mais croyant signifie là "qui croit en Allah". Alors, est-ce vrai ? Les athées ne croient-ils en rien, n'ont-ils aucune croyance ?
    Les vraies questions sont plutôt qu'est-ce qu'une croyance ? Qu'est-ce qu'une religion ? Qu'est-ce qu'un athée, vis-à-vis de tout ça ?

    La première chose à faire, à mon avis, est de se mettre d'accord sur la notion de croyance. Notre système de pensée occidental repose sur un système démonstratif. Celui-ci oppose le vrai au faux, et définit que la combinaison d'informations vraies produit une nouvelle information vraie, que l'on peut dès lors inclure dans un raisonnement dit "logique". Exemple célèbre : les deux phrases "Tout homme est mortel." et "Socrate est un homme." sont vraies toutes deux. Par conséquent, la combinaison logique des deux — "Socrate est mortel." — est vraie aussi. On peut dès lors commencer un raisonnement qui aurait pour base la mortalité de Socrate. Dans ce modèle on trouve trois types d'informations considérées comme vraies :

    • les faits. Ce sont là des choses indémontrables, qui sont vraies de par leur existence même. Ce qui ne signifie pas que l'interprétation qu'on en fait soit vraie : il est vrai que je vois tous les jours le Soleil se lever à l'Est et aller se coucher à l'Ouest ; mais il n'est pas pour autant vrai que le Soleil tourne autour de la Terre, ce qui semble pourtant être un fait, mais n'en est que l'interprétation.
    • les propositions démontrées. Ce sont des affirmations qui ont été avérées à l'aide du système démonstratif sus-mentionné, et qui sont dès lors considérées comme indubitables, à condition que le raisonnement ait été mené rigoureusement.
    • les propositions non-démontrées, qui nous apparaissent cependant être vraies. Quand elles ont un aspect fondamental dans un domaine scientifique, on les appelle des axiomes. Sinon, on les appelle des croyances. Ainsi, la validité du modèle démonstratif elle-même est une croyance. C'est un ouroboros.
      On peut donc arrêter la définition suivante.


    CROYANCE : toute information non démontrée et non factuelle qui apparaît vraie à un individu donné.

    À partir de là, il convient de faire un peu de vide, car bien évidemment cette catégorie est très vaste. La seule croyance qui nous intéresse ici, est celle que j'appellerai la croyance divine. En effet, la question fondamentale qui doit être posée, pour catégoriser les humains quant à leur rapport au divin est "Selon vous, le divin existe-t-il ?" Pour bien être d'accord, là encore, il faut s'entendre sur le sens à donner à divin. Je propose la définition suivante :
    Est divin tout ce qui permet de donner une explication à ce que le système démonstratif, dans l'état des connaissances, n'a pas su expliquer.
    Ainsi, à la question "Pourquoi ma voiture est-elle tombée en panne ?", on peut répondre :
    — Dans l'état de mes connaissances, je ne peux pas savoir.
    — Parce que le carburateur avait 15 ans.
    — Parce que je suis un mauvais croyant, et Allah m'a puni. Allah est grand.
    — Parce que Saturne est en conjonction avec Mars dans la maison des Gémeaux.
    — Parce que pour maintenir l'équilibre au sein du grand Tout, il fallait que ma voiture tombe en panne pour que celle Matsumoto Akira, citoyen japonais, puisse redémarrer.
    — Ce n'est de toute manière que sorcellerie et invention du Diable, que cette machine infernale, et Dieu, dans sa grande magnificence, n'a pas permis qu'elle arpente encore le sol de cette terre. Repentez-vous maudits hérétiques !
    Les deux premières réponses ne font pas appel au divin. Les autres, si.

    Pour en revenir à la question "Selon vous, le divin existe-t-il ?", il apparaît évident que aucune réponse à cette question ne peut être démontrée logiquement, ni constituer un fait. Toute réponse est donc, selon les définitions données plus haut, une croyance. Il y a selon moi quatre réponses possibles :

    • "Oui." Ce sont les théistes. Cette croyance à l'existence du divin est ce que l'on appelle la foi.
    • "Non." Ce sont les athées.
    • "Il est impossible de trancher." Ce sont les agnostiques modérés.
    • "Je m'en fous. Laissez-moi finir mon sandwich." Ce sont les agnostiques radicaux.

    Les deux derniers n'amènent plus matière à réflexion. Les athées se répartissent quant à eux entre athées modérés, et athées (dont je suis) que je qualifierais de "congénitaux". Cette distinction tient plus du neurologique que du spirituel. Ainsi, même dans une famille catholique, et envoyé à l'école des bonnes sœurs de cinq ans jusqu'au Bac, l'athée congénital ne parviendra jamais à croire au divin (j'en connais). L'athée modéré, en revanche, a la capacité neurologique de croire au divin : c'est le cas de ces gens qui sont athées depuis petits, mais qui arrivés à la ménopause / andropause virent religieux, voire mystique (j'en connais aussi).

    Les théistes, quant à eux, sont beaucoup plus nombreux, et se répartissent en un nombre beaucoup plus important de croyances. On trouvera les polythéistes, pour qui le divin se répartit en plusieurs entités, qu'il s'agisse des animismes, des croyances chamanistes, ou du paganisme latin. En opposition à eux, les monothéistes, pour qui le divin n'est contenu que dans une entité unique, ou affectent de le croire : dans ce cas sont les religions du Livre, qui naissent nécessairement d'une volonté politique, et les constructions philosophiques, telles que le déisme (le divin est unique, mais je me refuse à lui donner une forme, car ce serait le réduire) ou le panthéisme (le divin est tout, chaque chose est une partie du divin). Enfin, un peu particuliers, les superstitieux : ceux-ci cachent le divin sous des oripeaux démonstratifs ; en effet, ils construisent des lois démonstratives, voire des modèles complets (la présence de Vénus dans la maison de la Balance favorise l'amour de ses natifs, dans la maison des Verseaux, elle provoque la tristesse, etc.), sur des axiomes de type divins (les mouvements des astres prédestinent la vie des hommes).

    La conclusion que j'en tire est : oui, l'athéisme est une croyance !

    Mais la réflexion ne s'arrête pas là. Ce qui gène beaucoup d'athées dans cette affirmation, c'est la confusion et l'amalgame trop souvent faits entre "foi" et "religion". Une fois posé l'axiome de l'existence ou non, du divin, il faut construire un modèle de représentation du monde en fonction de ce choix. Dans le cas d'une réponse positive, il faut nécessairement composer avec ce divin dans son explication du monde. Dans le cas d'une réponse négative, on est libéré des contraintes du divin, mais il faut également se passer de son aide !

    C'est là qu'interviennent la religion et la science ! En effet, une croyance de type athée, exige que l'on se passe du divin pour expliquer le monde, et pour se réglementer. C'est pourquoi toute l'explication du monde se construit en utilisant à plein le système démonstratif : une explication n'est pas vraie si elle n'a pas été démontrée ; et il pourra venir plus tard quelqu'un qui montrera que la démonstration n'était pas assez rigoureuse, et qui proposera une explication meilleure, car plus rigoureuse. Tandis que la croyance au divin justifie en elle-même que l'on se passe du système démonstratif : puisque le divin, contraire à la logique par nature, existe, il suffit à tout expliquer, pourvu qu'on le manipule bien, et les explications données seront toujours valables ; pourquoi chercher des explications très compliquées quant à la formation de la planète, quand il suffit de dire que c'est Dieu/Allah/YHVH/Ré/Odin qui l'a créée, par la force de son pouvoir divin ? De même, la loi, dans un système athée, se doit de venir d'un consensus entre les hommes, et non d'une réglementation immuable prétendument divine, que ce soit le Lévitique, la Charî'a, ou la "Loi naturelle". J'en tire la définition suivante :

    RELIGION : ensemble de croyances et de lois humaines, toutes justifiées par une croyance première en un divin donné, et de ce fait censées être immuables.

    Ces croyances peuvent être de plusieurs ordres :

    • croyance quant à la définition même du divin : croyance en Allah, en Odin, aux esprits, au Diable, etc. Définition des attributions, et pouvoirs de chaque entité divine.
    • croyance quant à l'environnement : la foudre est produite par un artefact possédé par Zeus, la foudre est l'arme de Teshub, la foudre est la manifestation de la colère de YHVH, etc.
    • croyance quant à l'homme : la disparition de Sodome est une punition divine, c'est Hercule qui a fait découvrir les berserkir aux Germains, c'est Cupidon qui par ses flèches rend amoureux, etc.
    • croyance quant aux liens entre l'homme et le divin : il faut sacrifier une vache pour plaire à Zeus, il ne faut pas tuer de vache pour ne pas irriter Krishna, il faut faire sa prière à l'heure dite pour contenter Allah, y compris si une vache cherche à vous pousser de son chemin.

    Tout cela conduit à des constructions parfois très complexe, comme les livres "sacrés", et bien souvent contradictoires.

    Et le problème est rendu encore plus complexe par la mise en place d'églises, que l'on peut définir ainsi :
    EGLISE : communauté d'individus visant à se doter d'un pouvoir politico-économique motivé par une religion donnée.
    Par exemple, l'Eglise catholique étend sa domination sur les hommes et les états sous couvert d'assurer à tous le salut dans son Au-Delà, en faisant appliquer des lois censées avoir été inspirées par son dieu. De même, le clergé d'Amon-Ré a bâti sa puissance — suffisante pour éliminer un pharaon, censément dieu vivant — et sa richesse, sur la nécessité alléguée de rendre les hommages dus au Soleil, sous peine que celui-ci refuse de se lever.
    À partir du moment où une église se met en place, ce qui n'est pas toujours le cas, celle-ci et la religion deviennent bien souvent irrémédiablement imbriquée : en effet, la religion, ce sont les préceptes prônés par cette église, et toute déviation de ce canon devient, non plus une variante, comme avant, mais une hérésie. L'exemple le plus simple est bien sûr la religion / Eglise catholique. Mais cela n'arrive pas toujours : le clergé d'Amon était sans doute possible une église, pourtant, je ne sache pas que la notion d'hérésie ait eu à leur yeux une quelconque pertinence.

    Ce sont là les dangers d'une religion, et plus encore d'une église : une religion se mêle de sujets qui sortent de son cadre — le divin — et entend y légiférer. C'est ainsi que — par des interprétations erronées, certes — on en arrive à l'interdiction de pratiques d'ordre strictement privé, comme la sodomie, pour des motifs religieux : le croyant est tenu de respecter ces tabous, sous peine de sanctions religieuses, par exemple l'enfer. Les églises sont encore pires : lorsqu'elles ont une domination suffisante, elles obtiennent le pouvoir de faire appliquer ces interdits, y compris à ceux qui ne sont pas membres de cette église, sous peine de sanction cette fois-ci temporelles et bien tangibles, par exemple la castration.

    En conclusion, oui, l'athéisme est une croyance, mais il n'est pas une religion, et a fortiori pas une église. La différence est importante, et ne doit pas être oubliée.


  • Commentaires

    1
    abm1946
    Vendredi 6 Novembre 2009 à 12:00
    L'art est la religion des athées... Telle est ma croyance ! lol
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    2
    Adepte de La Mettrie
    Mardi 22 Mai 2012 à 12:37

    Les déistes sont-ils des croyants ? Athée, j’envie ceux qui croient au Paradis, cet endroit merveilleux, pour ne pas dire idyllique ou tout est parfait à l’image de Dieu. C’est pourquoi je m’étonne que des déistes atteints d’une maladie qui fait souffrir physiquement, et moralement et dont la seule finalité est la mort, s’acharnent à se faire soigner afin de faire durer la vie, alors que la monté au Paradis est si prometteuse ! Douteraient-ils ? Douter c’est déjà ne pas vraiment croire, non ? Ne pas croire en ce que l’on croix, c’est quoi ? Bon nombre de croyants ne seraient-ils pas des athées qui s’ignorent ? Donc des incroyants !


      • biribibi Profil de biribibi
        Mardi 22 Mai 2012 à 12:42
        Je ne suis ni déiste, ni athée, je suis nature et je crois en une seule chose : l'éternité serait mortellement ennuyeuse... C'est valable pour les déiste, mais également pour les athées qui souhaiteraient parfois atteindre une forme de santé immortelle...
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