• Le Yi Jing, livre des transformations


    Texte fondateur du mode de pensée chinois, le Yi Jing (dont le nom, qui signifie « Livre des Changements », s'écrivait naguère Yi King) est un diamant méconnu. S'il a servi de base conceptuelle, de vocabulaire intellectuel et de référence philosophique à la quasi-totalité de ce qui s'est pensé en Chine durant ces deux derniers millénaires, c'est entre autres parce que, pour l'expliquer, les Chinois ont inventé les idées de Yin et Yang, tout comme on peut presque dire que c'est pour le rédiger qu'ils ont créé leurs étranges signes d'écriture.

    Pourtant, il doit la plus grande partie de sa notoriété en Occident à sa réputation d'ouvrage divinatoire et à l'usage immodéré qu'en firent les hippies des années soixante du siècle passé. Il en a gardé une réputation d'ouvrage irrationnel dont la sagesse abyssale est d'une obscurité toute taoïse, ce qui est assez curieux pour un texte dont la totalité des commentaires officiels sont attribués à ... Confucius.
     
    Structure de l'ouvrage :
    Le Yi Jing ne prédit pas l'avenir, il analyse le présent pour permettre à chacun d'y insérer son agir de la manière la plus appropriée qui soit en fonction de la configuration spécifique de la situation. C'est cela qui intéressait les confucéens. Pour y arriver, le Yi Jing se présente sous la forme d'un texte de 64 chapitres, chacun présentant une situation-type de la vie quotidienne ramenée à sa structure énergétique et résumée en termes de Yin-Yang par un schéma linéaire formé d'un assemblage organisé sur six niveaux (les hexagrammes). Ces schémas, dont la lecture ne demande aucune connaissance de chinois, ont rendu le Yi Jing universel. Il renseignent sur le type de situation dans laquelle on se trouve en montrant la dynamique spécifique qui l'anime permettant ainsi à chacun de placer son agir au centre actif du moment tel le surfeur sur la vague.
     
    A l'origine, les carapaces de tortue :
    Dans l'Antiquité, les souverains de la dynastie des Shang (XVIIe - XIIe siècle avant notre ère) avaient l'habitude, lorsqu'ils avaient des décisions à prendre, de consulter leurs ancêtres défunts. Ils avaient recours à des offrandes de viande avec leurs os, qu'on plaçait sur des brasiers sacrificiels car le feu était réputé pour pouvoir traverser les mondes. La chaleur produisait sur les os des fendillements qui étaient « lus » comme la réponse des ancêtres à la question qui leur avait été posée. Au fil des siècles, les Chinois s'aperçurent que la réussite ou l'échec d'une entreprise dépendait moins de l'opinion que pouvaient en avoir des ancêtres défunts que de son adéquation avec le moment.
    Les offrandes carnées furent abandonnées au profit des carapaces de tortue. A cause de leur forme, ronde comme le ciel pour la partie dorsale et un peu carrée comme la terre pour le plastron ventral, les tortues sont une sorte de modèle réduit de l'univers. Les brasiers furent remplacés par des sortes de tisons chauffés appliqués en des points précis de la carapace, préalablement évidés de manière à réduire les fendillements possibles à des formes prédéterminées et donc plus faciles à analyser. Les carapaces étaient conservées commes archives.
     
    De la tortue au Yi Jing :
    A l'époque de la fondation de la dynstie des Zhou, au tournant du dernier millénaire avant notre ère, l'antique système des brûlages a été progressivement abandonné et remplacé par une consultation directe des archives. La procédure de détermination de l'archive correspondante s'appuyait sur la conception cyclique du temps. L'interrogation portant sur la configuration énergétique d'un moment ne pouvait être unique, il y avait forcément déjà une tortue portant les mêmes types de fissures que celles qui seraient apparues si on avait procédé à un brûlage. Il suffisait de déterminer laquelle selon un procédé aléatoire, la méthode des tiges d'achillée.
    Par la suite, on chercha à alléger le système. Remarquant que finalement les appréciations portées sur les carapaces de tortue étaient le fait d'un petit nombre de caractères, on les regroupa par similitude et on les retranscrivit sur un support plus maniable, des baguettes de bambou. Il ne restait plus aux lettrés de l'époque qu'à polir le texte et à réduite la variété des circonstances à soixante-quatre situations-types qui deviendront, vers le IIIe siècle les hexagrammes.
     
    Le texte et les commentaires :
    C'est finalement durant la dynastie des Han que le Yi Jing prendra sa forme définitive : un texte originel réparti en soixante-quatre brefs chapitres et de commentaires canoniques organisés en dix sections.
    La « légende dorée » du Yi Jing lui assigne comme créateurs quatre des plus grands héros de l'histoire chinoise. Tout d'abord Fu Xi, le père de la civilisation chinoise, mythique inventeur des quatre piliers sur lesquels elle repose : l'écriture, les rites, la cuisine et le Yi Jing. Le deuxième fut Wen Wang qui vécut réellement et fonda, vers 1100 avant notre ère, la dynastie des Zhou. Vient ensuite Zhou Gong, son second fils, administrateur modèle et dont disait s'inspirer le quatrième personnage de cette légende fondatrice : Confucius lui-même.
    A partir de la dynastie des Han, le Yi Jing servira de référence officielle, de vocabulaire de base et de théorie globale à la quasi-totalité de tout ce qui se pensera en Chine jusqu'à l'invasion des troupes coloniales occidentales.
     
    Le Classique des Changements :
    Ni livre révélé, ni poème épique, ni parcours médité, ni discours logique, le Yi Jing se veut simplement le Classique (Jing) des Changements (Yi). Les civilisations de l'antiquité se sont donnés des dieux et des codes, les civilisations modernes des lois et des méthodes, les Chinois, eux, ont traqué l'éternel dans sa forme la plus quotidienne : le changement incessant, le roulement saisonnier. Le Yi Jing n'édifie aucun système explicatif de l'univers, il n'explore pas la cause de son existence ou la finalité de son devenir, il ne révèle rien qui doive être l'objet d'une croyance, il ne fait que constater une évidence que ne rejette aucune foi, que ne contredit aucune science : le changement est la vie même. La raison de cet état de fait le laisse indiférent, seul l'intéresse le fonctionnement de ce processus sans cesse à l'œuvre, et cela à la seule fin de permettre à chaque être humain de s'y insérer de la manière la plus efficace possible.
     
    Consulter le Yi Jing :
    Le Yi Jing n'est pas un livre, un texte qu'on lit du début à la fin, mais un ouvrage que l'on consulte quand on en a besoin. Lorsqu'on hésite sur une voie à suivre, une attitude à prendre, un choix à faire, un dilemne à résoudre, on peut alors s'en servir pour ce qu'il est dans la pratique : un manuel d'aide à la décision.
    Une fois la question posée au Yi Jing, il reste à faire apparaître la réponse, c'est-à-dire déterminer laquelle des soixante-quatre situations-type correspond justement à la situation dans laquelle nous sommes impliqués. Il existe pour cela deux méthodes principales (par les pièces ou par les tiges d'achillée) mais toutes deux utilisent le hasard, l'aléatoire. Matérialisation de la qualité particulière de l'instant, on peut y lire la configuration que prend spontanément le flux du Dao lorsqu'on lui laisse libre cours.
     
    Dao (Tao) :
    Le caractère dao désigne de manière générale les principes de fonctionnement de toute chose vivante. Appliqué au domaine humain, il pourra prendre le sens plus spécifique d'« attitude » ou de « comportement ». Au niveau matériel, il signifie couramment « route », « voie », le chemin que l'on suit.
     
    Yin - Yang :
    Loin d'être des modalités antagonistes, Yin et Yang sont des réalités concertantes, les deux versants d'une même montagne, les deux aspects d'une même situation. Rien en effet ne peut être qualifié de Yin ou de Yang dans l'absolu. Yin et Yang n'étant ni des attributs ni des états mais des propensions, des manières d'agir. Comme deux pôles d'un aimant, Yin et Yang ne peuvent exister l'un sans l'autre.
     
    L'hexagramme :
    Hexagramme est le nom donné en Occident à chacun des soixante-quatre schémas qui résument une situation-type du Yi Jing sous la forme d'une structure à six niveaux empilés les uns sur les autres, du bas vers le haut, chaque niveau étant représenté soit par un trait Yin, soit par un trait Yang. Cette représentation abstraite a permis de rendre le Yi Jing universel puisque, parlant directement à l'œil, elle permet à tous d'avoir un accès direct aux différentes situations-types malgré les barrières linguistiques ou culturelles.

    A chacun des niveaux est attribué une fonction précise.

    Analyse raisonnable des réponses du Yi Jing
    selon les méthodes traditionnelles chinoises :
    • L'obligation d'une formulation écrite et datée de la question avec un verbe d'action dont la personne concernée est le sujet.
    • Une certaine considération pour ce qui est en train de se dérouler durant les manipulations des baguettes ou des pièces.
    • Une attention portée à la lecture directe, visuelle, des figures linéaires, donc une représentation la plus grande possible au moins des hexagrammes-réponses et au mieux des hexammes d'analyse.
    • Une détermination pour la primauté de la lecture hexagramatique des hexagrammes-réponse, notamment par l'examen des six niveaux constituant l'architecture fondamentale des figures linéaires.
    • La prise en compte en parallèle et dans la même tranche de temps des deux hexagrammes-réponse : l'exagramme de situation et l'esagramme de perspective.
    • La recherche de compléments d'information sur l'hexagramme de situation par l'analyse de l'exagramme opposé et de l'exagramme nucléaire.
    • L'analyse des trigrammes intérieurs, extérieurs et constituants des hexagrammes-réponse.
    • La prise en compte des lignes mutantes (nombre, nature, situation par rapport aux six niveaux, passage de yin à yang ou de yang à yin, etc.)
    • L'utilisation des hexagrammes dérivés comme indication résumée de l'« atmosphère » propre à chaque ligne mutante, considérée une par une.
    • La confirmation et la particularisation des données obtenues par les grilles d'analyse précédente au moyen de la lecture des textes.
    La question de la question :

      La détermination de la question est un élément décisif de la consultation du Yi Jing, car c'est sur cette formulation que l'on doit se concentrer au moment d'opérer les manipulations déterminant l'hexagramme-réponse. Plus précise est la question, plus explicite sera son interprétation.
     
    Un verbe d'action dont on est le sujet :

      Une question au Yi Jing se formule toujours avec un verbe d'action dont on est le sujet. Cela oblige à se poser soi-même d'une manière active et responsable au cœur de ce qui préoccupe. De plus, cette convention permet d'exclure toute demande d'information sur le futur et toute demande d'information sur autrui.
     
    Une question écrite :

      La question devra être écrite. S'obliger à décrire, donc à penser ce qui motive la question avec un verbe d'action dont on est le sujet, est déjà une manière de se reprendre, de ne plus uniquement subir ce qui nous arrive, mais déjà y réagir. De plus, cette interrogation recevra du Yi Jing une réponse elle-même écrite, et le plus souvent formulée avec un verbe d'action.
     
    Le cas de l'alternative :

      Dans le cas où la question se présente sous la forme d'un choix entre deux types de solutions, il faut s'interdire de mettre un « ou » dans une question au Yi Jing, puisque cela reviendrait à demander au livre de prendre une décision à notre place. La solution consiste alors à avoir recours à la méthode du tirage double sous la forme :
    1/ faire ceci ?
    2/ ne pas faire ceci ?


  • Commentaires

    1
    AventuresdeFoxy
    Lundi 16 Novembre 2009 à 02:15
    Vraiment tr?instructif ce texte. Merci de nous le pr?nter.
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