• Mythologie des peuls

    Dans leur tentative d’expliquer la création de l’univers, les peuls pasteurs ont produit des textes mythologiques d’un symbolisme très riche. Ces textes tournent pour la plupart autour du bovidé, éternel compagnon du peul dans ses pérégrinations à travers la terre.


    La plupart de ces textes nous sont connus grâce au traditionniste Amadou Hampâté Bâ qui a eu la sagesse de coucher sur papier les textes que lui ont légués les grands Silaatiguis  peuls, notamment Ardo Dembo Soh de Ndilla dans le Ferlo et Molom Gawlo, grand généalogiste peul de cette même région.

     

    Qu’est ce que nous disent ces textes sur la création ?

     

    D’après Amadou Hampâté Bah dans « Contes Initiatiques Peuls », au commencement, il n’y avait rien à part un vide vivant sans commencement ni fin, mais ce vide vivant est la source et le principe de toute vie sur terre. Ce vide vivant incréé sans corporéité ni matérialité aucune est Guéno ou Doundaari le grand dieu des peuls pasteurs. Guéno l’éternel qui incarne la vie principielle intemporelle – en effet, Guéno dérive du verbe « yennudé » qui veut dire en Pulaar « durer éternellement » -  créa l’univers d’une goutte de lait ainsi que toutes les vies contingentes temporelles propres à tous les êtres créés.


    Parmi ces êtres contingents, on y trouve l’Homme qui occupe la position médiane dans la chaîne de la création des 11 forces fondamentales que sont : la pierre, le fer, le feu, l’eau, l’air, l’homme, l’ivresse, le sommeil, les soucis, la mort et la résurrection. Chacune de ces forces a la propriété de détruire celui dont elle est issue ou d’en triompher : la pierre est fendue par le fer ; le fer est fondu par le feu ; le feu est éteint par l’eau ; l’eau est asséchée par le vent ; l’homme peut triompher du vent (il est le seul à marcher contre le vent, les animaux ne le font pas) ; l’ivresse anéantit l’homme ; le sommeil a raison de l’ivresse ; les soucis font disparaitre le sommeil ; à son tour, la mort tue le sommeil ; mais la résurrection (la vie au-delà) anéantit la mort. Toutes ces forces sont constitutives de la nature de l’homme qui occupe  comme on le voit dans la chaîne la sixième position et plus symboliquement entre cinq forces matérielles et cinq autres forces immatérielles.


    Après les 11 forces fondamentales, Guéno créa le bovidé hermaphrodite « Nduurbéelé » qui donna naissance aux 22 premiers bovidés qui sortirent de l’eau avec le génie Caamaaba, python mythique qui confia une partie de son troupeau à Ilo considéré comme son frère jumeau et un des grands ancêtres des pasteurs peuls. C’est la raison pour laquelle les pasteurs de jadis rendaient hommage à Caamaaba et à Ilo durant le nouvel an peul appelé Lootoori en procédant à la lustration des troupeaux  à l’intérieur des mares et des fleuves. Ce grand bain rituel avait la vertu de donner aux troupeaux la santé et la fécondité. Pour les humains, c’était une occasion de se débarrasser de tous leurs péchés et de repartir sur de bonne base pour l’année à venir.


     La date du nouvel an peul est fonction du calendrier lunaire dont les mois comptent 28 jours qui correspondent aux 28 dieux du panthéon peuls. Ces 28 dieux appelés « laaréeji » (laaré au singulier) ou esprits gardiens incarnaient chacun un attribut de Guéno. Les Silaatiguis peuls taillaient à partir de l’arbre appelé Dialan les fétiches qui servaient de supports à la charge mystique et magique que véhiculaient ces dieux. Ils les invoquaient durant leurs séances de divination et avant d’entreprendre une migration saisonnière ou définitive. Ces Silaatiguis ne se séparaient jamais de leurs « laaréeji » et d’ailleurs, le mot « laaré » a, à travers le temps, subi une évolution sémantique pour traduire aujourd’hui l’être cher dont on ne se sépare pas. Le « laaré » de jadis qui protégeait et dont on ne se séparait jamais est devenu avec l’islamisation l’ami proche, la bien aimée d’aujourd’hui à qui l’on se confie.


    Certains de ces « laaréeji » nous sont connus à travers le choix des noms que portent les garçons peuls. En effet, les peuls nomment leurs fils selon le code suivant : Hammadi est le nom du premier fils consacré au dieu Ham ; Sammba est le nom du deuxième fils consacré au dieu Sam ; Demmba est le nom du troisième fils consacré au dieu Dem ;  Yéro est le nom du quatrième fils consacré au dieu Yer ; Paaté est le nom du cinquième fils consacré au dieu Paat ; Njobbo est le nom du sixième fils consacré au dieu Njob et Délo est le nom du septième fils consacré au dieu Del. Les peuls choisissaient ces appellations pour rendre hommage à leurs dieux qu’ils affectionnaient au plus haut point.


    D’autres dieux peuls nous sont aussi connus grâce encore aux textes d’Amadou Hampâté Bâ. C’est le cas de Dembaniassourou et de koumbasaara  qui sont cités dans « Njeddo Dewal, mère de la calamité ». Ces dieux ont libéré Baagoumaawel, l’incarnation du Bien des maléfices de Njeddo Dewal, l’emblème du Mal.


    Un autre dieu peul qui a fait l’objet d’un ouvrage remarquable d’Amadou Hampâté Bâ est Kaydara. Le proche et lointain Kaydara est le dieu peul de la connaissance et de l’or. Ce dieu peul polyforme qui peut prendre l’aspect d’un vieillard  a pour domaine le pays des génies nains. Ce pays où toutes les rencontres sont des symboles qui dépassent l’entendement - d’où d’ailleurs le nom de Kaydara qui dérive du verbe « haaynudé ou haawnudé » qui veut dire en pulaar «  tout ce qui étonne de par sa forme et que la raison ne peut expliquer, tout ce qui dépasse l’entendement »- ce pays en effet est le domaine des contraires et de la dualité qui se trouvent en toute chose et dont l’initié seul peut dévoiler la signification

     

    PS : ce condensé n’a pas la prétention de faire le tour de la question mythologique et cosmogonique peule, d’ailleurs, je n’y ai abordé que quelques aspects de ce qui a été écrit sur cela mais j’espère que la recherche nous permettra un jour d’appréhender en entier la dimension mystique de la pensée originelle peule.



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