• Le vitrail dans la cathédrale gothique


    Les couleurs du vitrail

    Tout comme le Temple, la cathédrale gothique fut construite sur la base de la géométrie sacrée. Elle est divisée en trois espaces en relation aussi bien avec le macrocosme (ou monde cosmique) que le microcosme (ou monde individuel):

    • La nef représentant la Terre (macrocosme) et le corps humain (microcosme);
    • Le transept décrivant l'Atmosphère (macrocosme) et l'âme humaine (microcosme);
    • Le choeur et l'abside symbolisant le Ciel (macrocosme) et l'Esprit (microcosme).

    Les formes arrondie de l'abside et rectangulaire de la nef sont respectivement représentatives du Ciel et de la Terre. La cathédrale gothique est une image du Cosmos reflétant l'harmonie entre la création humaine et la Création divine.

    Lorsque le fidèle pénètre dans la cathédrale, il fait face à l'est et à la lumière naissante. Soucieux d'être en harmonie avec la Création divine, il va parcourir l'édifice en suivant le cycle diurne ou annuel du soleil:

    • Il commencera par le monde obscur, des ténèbres associé au nord et à la couleur froide bleue;
    • Il poursuivra par le monde de la lumière naissante, du soleil levant relié à l'est et à la couleur mi-froide, mi-chaude, le vert;
    • Il continuera avec le monde de la pleine lumière, du soleil de midi en relation avec le sud et la couleur la plus chaude, le jaune;
    • Il terminera par le monde crépusculaire, du soleil couchant attaché à l'ouest et à la couleur rouge.

    Le fidèle ne termine pas là où il a commencé. Il achève un cycle avant d'en entreprendre un autre ou de mourir à l'état d'être actuel avant de renaître à l'état nouveau. Ce faisant, il parcourt les couleurs du spectre de l'arc-en-ciel de “bas” en “haut”, signe de sa progression. Ces couleurs se fondent dans une couleur unique, le blanc, symbole de l'état unifié que le fidèle s'efforce d'atteindre. Rejoindre l'état unifié signifie rallier le Centre, Dieu.

    Dès lors, il n'est pas étonnant que ces cinq couleurs (bleu, vert, jaune, rouge et blanc) constituent la base de la palette des maîtres verriers qui développèrent surtout des nuances. Ainsi, il est d'usage au XIIe siècle d'employer des verres très lumineux (notamment un bleu pâle, le célèbre “bleu de Chartres”) qui feront place à des nuances chromatiques plus sombres au siècle suivant.

    L'arbre de Jessé

    L'arbre de Jessé constituait un thème très prisé des maîtres verriers des XIIe et XIIIe siècles. Le sujet tire son origine à la fois d'une prophétie d'Isaïe (11, 1: “un rameau sortira du tronc de Jessé, un surgeon poussera de ses racines.”) et de l'ascendance de Jésus au début de l'Évangile de Matthieu. Jessé était le père de David, premier Roi de Juda, l'un des deux royaumes de Palestine formés après la mort du Roi Salomon. Les commentateurs de la Bible y ont vu l'image d'une lignée familiale selon un arbre généalogique qui de Jessé à Joseph, époux de Marie, menait à Jésus.

    Les vitraux représentent le plus souvent un Jessé endormi qui se voit rêver. De son corps émane un arbre dont les branches et les tiges sont animées d'un léger mouvement de bas en haut. L'arbre renferme dans sa partie centrale les portraits symboliques des Rois de la lignée et dans les parties latérales les prophètes et patriarches. Tout en haut se tient le Christ dans toute sa majesté.

    Par ses racines plantées en terre et ses branches érigées vers le ciel, l'arbre est le lien par excellence entre les mondes d'en bas et d'en haut. Il symbolise l'Axe vertical qui unit les puissances terrestres et célestes, les pouvoirs temporel et spirituel. À l'arbre généalogique associé à la descendance de Jessé répond l'Arbre de Vie (éternelle), la voie ascendante qui relie les différents états de l'être depuis les plus temporels jusqu'aux plus spirituels. Ces états sont échelonnés sur sept ou huit niveaux:

    1. Au niveau inférieur, la posture horizontale de Jessé suggère le plan terrestre surmonté de la verticale;
    2. Aux niveaux intermédiaires, les différents Rois représentent les centres correspondant à différents états de l'être. Ils caractérisent l'être qui a dépassé les antagonismes liés à un état donné et trouvé l'unité au sein de ce dernier;
    3. Au niveau supérieur, le Christ symbolise non seulement l'être centré dans les différents états intermédiaires, mais centré au plus haut de l'Axe symbolisant le Centre du Monde. Il est au plus haut de Cieux

    En remontant les différents nivaux et en s'identifiant successivement au centre de chacun d'eux, l'être suit la voie du retour qui le ramènera à l'état primordial d'où il provient, à l'état totalement intégré où la dualité sous toutes ses formes s'efface devant l'Unité.

    Le zodiaque

    Le Christ, dieu Sauveur, est associé au Poisson car, en langue grecque, Ichthus est l'anagramme de Iêsous (Jésus) Christos (Messie) Theou (de Dieu) Uios (Fils) Soter (Sauveur). Sous la figure du Poisson, le Christ est aussi le Régulateur des cycles saisonniers. C'est pourquoi, la cathédrale de Chartres présente dans la partie sud de son déambulatoire un vitrail mettant en correspondance les signes du zodiaque et les activités annuelles.

    Situé au bas du vitrail du Zodiaque, le signe des Poissons fait naturellement référence au poisson ordinaire considéré sous ses aspects spirituels de “principe de vie” et de “fécondité”. Or, dans nombre de traditions, l'Eau constitue l'élément primordial et le dessin du signe des Poissons nous laisse pressentir un sens au-delà de la signification ordinaire.

    Reliés par un cordon témoignant de leur profonde association, les deux Poissons sont doublement inversés par rapport à deux axes:

    • Un axe horizontal assimilé à la surface des eaux qui sépare les mondes d'en haut et d'en bas, les “Eaux supérieures” des “Eaux inférieures”. Aussi, tout ce qui est au-dessus de la surface des eaux se reflète de manière inversée au-dessous de cette même surface. Le supérieur devient l'inférieur, le dessus le dessous etc.
    • Un axe vertical mettant en correspondance les mondes de droite et de gauche, le zodiaque et les saisons ou les activités annuelles. Autrement dit, ce qui relève de l'ordre cosmique se reflète littéralement dans les activités humaines.

    Les Poissons établissent en fait une double association entre:

    • Les mondes d'en haut et d'en bas, c'est-à-dire le spirituel et le temporel;
    • Le zodiaque et les activités saisonnières, c'est-à-dire le Cosmos et les êtres.

    Le vitrail du Zodiaque dans son ensemble prône l'harmonie de l'être avec les mondes cosmique et de l'au-delà.

    Au dessous du signe des Poissons et de l'activité hivernale correspondante, le signe du Verseau est accolé à la représentation du dieu romain Janus aux trois visages.

    Les deux visages latéraux sont tournés vers les cycles des activités saisonnières et des signes du zodiaque tandis que le visage central (normalement invisible) fait face au spectateur. Ce troisième visage nous invite à dépasser le dualisme des vues latérales, à emprunter la voie axiale et à lever les yeux vers le Christ. Trônant au-dessus des activités humaines et du cosmos, Il symbolise le monde de l'au-delà, l'Un figuré par le point de jonction des deux bordures du vitrail en forme d'arcs brisés.

    Cette voie ascendante est reliée au signe du Capricorne situé au plus près du Christ. Représenté par un être mi-chèvre, mi-poisson, il est associé au solstice d'hiver. Cette créature mi-marine, mi-montagneuse, symbolise à la fois la plongée dans les profondeurs et l'élévation vers les hauteurs. Or, le solstice d'hiver correspond à la fin de la phase descendante du soleil vers le pôle sud céleste et au début de sa phase ascendante en direction du pôle nord céleste . Autrement dit, le solstice d'hiver symbolise la fin de la descente vers les ténèbres, synonymes d'ignorance, et le début de la remontée vers la Lumière, la Connaissance divine.

    Le pendant du signe du Capricorne est celui du Cancer. Représenté par un crabe, une créature mi-marine, mi-terrestre, il est associé au solstice d'été qui marque la fin de la phase ascendante du soleil vers le pôle nord céleste et le début de la phase descendante en direction du pôle sud céleste. Il correspond à une descente de la lumière vers l'obscurité.

    Les solstices d'hiver et d'été, les signes zodiacaux du Capricorne et du Cancer représentent les deux points extrêmes atteints par le soleil dans sa course apparente annuelle. Ils sont respectivement associés à deux portes de la tradition chrétienne, Janua Coeli et Janua Inferni, l'une ouvrant sur la lumière, l'autre sur les ténèbres. Cette dernière est le reflet inversé de la première à l'image des deux Poissons du signe correspondant.

    La rose ou la rosace

    La rose s'est à tel point distinguée par sa beauté, sa forme et son parfum qu'elle est devenue le symbole floral le plus répandu. De façon très générale, la rose est à l'Occident ce que le lotus est à l'Orient; tous deux font référence au symbolisme de la roue. La rose des cathédrales gothiques et la rose des vents illustrent ce rapprochement du symbole floral avec la roue.

    La roue se compose d'un centre relié à une circonférence par des rayons. Le centre relativement immobile symbolise le Principe immuable à la source de toute chose et la circonférence sa manifestation. Comme les rayons de la roue peuvent être parcourus dans les deux sens, ils décrivent le mouvement du Principe vers sa manifestation et inversement. Leur nombre peut varie selon le point de vue adopté.

    Le centre est caractérisé par le nombre Un. Ce nombre ne saurait être considéré comme le premier nombre impair. Il qualifie en fait le Principe commun à tous les nombres, préalable à toute distinction, en particulier entre nombres pairs et impairs:

    • Le premier nombre pair 2 figure la polarisation de l'Unité, notamment entre le Ciel et la Terre. La rose formée de 2, 4, 8, 16 voire 32 rayons caractérise la dualité du monde cosmique;
    • Le premier nombre impair 3 dépeint le ternaire mettant en relation l'unité (1) et sa manifestation polaire (2). La rose composée de 3, 6, 12 et 24 rayons associe le Principe et sa manifestation cosmique.

    Ces deux types de roses se retrouvent notamment dans les bras du transept des cathédrales de Notre-Dame de Paris et de León dans le nord-est de l'Espagne.

    • La rose à 8, 16 et même 32 rayons est généralement orientée vers le nord car le dualisme est propre au monde obscur, des ténèbres, prémisses de la lumière;
    • La rose à 6, 12 et 24 rayons est traditionnellement tournée vers le sud car elle correspond à une descente depuis le centre ou le soleil vers sa manifestation ou son cycle diurne ou annuel.

    Il est notable que les deux types de rose puissent tout aussi bien être dédiés au Christ et au nouveau testament qu'à la Vierge et à l'ancien testament. L'élévation vers la Vierge Marie, intercesseur et prodigue de bienfaits, est l'un des traits marquants du culte de la période gothique . Marie symbolise la Terre fécondatrice, le réceptacle de l'influence divine, le calice de la fleur, de la rose dont l'épanouissement dépeint la réalisation de toutes les possibilités de l'être. La cathédrale de León offre un bel exemple d'ornementation florale d'inspiration française dans les roses du bras nord consacrée au Christ et du bras sud dévolue à la Vierge.

    Dans la rose du bras nord, le Christ siège au centre d'un cercle à 16 lobes. Le centre symbolise le Principe à la source de la manifestation de la dualité représentée par les couples de lobes opposés. La figure du Christ est entourée d'un premier cercle composé de 16 lancettes décoratives décrivant le rayonnement du centre, sa manifestation dans toute sa multiplicité. Un deuxième cercle comprend 16 formes sphériques renfermant des êtres couronnés jouant la musique des sphères célestes, symbole d'harmonie au sein du Cosmos. La couronne dépeint la souveraineté, le rayonnement du prophète, à la fois spirituel et temporel, comme en témoigne la fleur de lys dessinée dans la sphère la plus basse. Sur le pourtour, les formes végétales constituées de tiges divisées en deux autres tiges spiralées symbolisent à merveille le développement de la dualité.

    Dans la rose du bras sud, la Vierge en majesté se tient dans un cercle avec l'enfant Jésus sur ses genoux. Elle est entourée par un premier cercle de 12 thuriféraires ou anges jouant de diverses trompes pour annoncer un grand avènement cosmique. Un deuxième cercle de 24 lancettes est composé de décorations végétales. Chacune d'elles montre deux tiges se séparant et s'entrecroisant à partir d'un tronc commun. Les 24 formes végétales du pourtour décrivent la subdivision d'une tige centrale en deux tiges latérales. Tout cela ne traduit rien d'autre que la polarisation du Principe.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :