De la mythologie aux pseudo-sciences
L’idée pourtant n’est pas nouvelle. La mythologie antique et le folklore évoquent quantité de mondes souterrains (l’Hadès grec, le Svartalfheim nordique, ou encore l’Enfer chrétien tel que décrit par Dante). Par ailleurs, elle peut sembler assez crédible en ce début du XIXe siècle. Il a fallu près de 2000 ans à l’humanité pour accepter l’idée saugrenue que nous vivions sur une planète sphérique, alors qu’elle soit concave et habitée, pourquoi pas.
Symmes n’est pas non plus le premier moderne à évoquer cette hypothèse. Un siècle plus tôt, Edmund Halley, scientifique connu pour avoir déterminé la périodicité de la fameuse comète, s’est imposé comme le pionnier de ces théories de la Terre Creuse, en affirmant que notre planète abritait une atmosphère et un soleil intérieur susceptibles d’expliquer les aurores boréales.
Les spéculations d’Halley rencontreront un succès mitigé jusqu’à ce que, reprises par Symmes, elles enflamment les esprits. Car la déclaration solennelle au Congrès va faire des petits. Emboîtant le pas au vétéran de guerre, toute une flopée d’écrivains et de chercheurs va y aller de sa théorie sur les entrailles du globe.
C’est par exemple le cas du mathématicien écossais sir John Leslie et de l'écrivain américain William Reed qui signe en 1906 un livre « culte », s'appuyant sur des témoignages d'explorateurs polaires, The Phantom of the Poles. On y apprend que notre planète serait faite de plusieurs sphères concentriques emboîtées les unes dans les autres. Aux deux pôles, d’énormes ouvertures permettraient la circulation de l’air et conduiraient à des royaumes souterrains habités.
Après avoir ainsi migré de la mythologie vers la science, l’hypothèse voulant que la terre soit creuse et habitée, se réfugiera un siècle plus tard dans le brumeux domaine des « pseudosciences » lorsque la conquête spatiale et l’exploration des pôles démontreront son inanité. Au passage, elle absorbera tout ce qui passe à sa portée : mysticisme indien, extra-terrestres, complot gouvernemental, continents engloutis. L’hypothétique monde souterrain héritera même d’un nom : l’Agartha.
Contrairement à une idée répandue, le mythe de l’Agartha n’est pas d’origine bouddhique, ni même indienne. Il trouve sa source dans la fiction. Si ce nom exotique naît sous la plume du romancier Louis Jacolliot, c’est à Saint-Yves d'Alveydre que l’honneur revient en 1910, dans son livre Mission de l’Inde, de l’avoir placé sous les monts de l’Himalaya et d’en avoir donc fait un royaume souterrain.
Ce nouveau continent légendaire connaîtra un succès considérable au point de devenir aux profondeurs de la terre ce que l’Atlantide était déjà à l’océan : le point focal de spéculations mystiques et pseudo-rationnelles. Ainsi, en 1927, René Guénon se propose très sérieusement, dans son livre Le Roi du monde, de « rompre enfin le silence sur cette question de l’Agartha ».
D’une façon générale, les adeptes de la Terre Creuse s’inspireront d’ouvrages de fictions qu’ils se feront un devoir de prendre au pied de la lettre. Dès le XIXe siècle, des auteurs comme Edgar Poe dans Les Aventures d'Arthur Gordon PymVoyage au Centre de la Terre (1864) ont mis fantastiquement en scène des expéditions au cœur de la planète.
Porté à l’écran en 1959 par Henry Levin, le livre de Jules Verne bénéficiera de plusieurs autres adaptations dont un téléfilm en trois parties réalisé en 1999 par George Miller et, plus récemment une production à gros budget signée Éric Brevig (2008). Les spéléologues amateurs du film, après une chute de plusieurs milliers de mètres, découvrent un paysage bigarré, peuplé de papillons géants, de poissons anthropophages et de dinosaures. Bien que hautement fantaisistes, ceux qui veulent reconnaître en Jules Vernes un visionnaire plutôt qu’un romancier invoquent généralement cette histoire comme « preuve » de l’existence d’un monde souterrain.
Moins connu, The Smoky God, de Willis Emerson (1908) est également présenté par les aficionados de la Terre Creuse comme n’étant, à l’instar du roman de Vernes, « pas vraiment une fiction ». Quant au roman Vril, The Power of the Coming Race, d’Edward Bulwer-Lytton (1871), il sera récupéré par les idéologues du nazisme.
Un autre exemple de cette dynamique de confusion est le « mystère Shaver ». Au milieu des années 40, le magazine Amazing Stories choisit de publier une série de courriers d’un certain Richard Sharpe Shaver, racontant les péripéties d’un peuple maléfique habitant un dédale de cavernes sous la croûte terrestre. L’auteur présente son histoire comme vraie et prétend avoir entendu lui-même des voix émanant du sous-sol. Suite à ces publications, des milliers de lecteurs ont écrit au magazine pour dire que eux aussi ont entendu ces voix…
Entre temps, la Seconde Guerre mondiale a fait les ravages que l’on sait sous l’impulsion de l’idéologie nazie. En quête d’une hypothèse concurrente de la trop juive théorie de la relativité d’Einstein, Hitler s’intéresse à celle de la Terre Creuse. D’autant qu’à la fin de la Première Guerre, un allemand, Bender, avait repris et développé les théories de Symmes en postulant que nous vivons non sa surface, mais à l’intérieur du globe.
L'expédition menée par Rügen en 1942, en Antarctique,aura pour but de démontrer cette théorie. En pointant des radars à infrarouge vers le ciel, les nazis espèrent obtenir des images de la flotte anglaise. L’échec de l’expédition coûtera sa liberté à Peter Bender qui finira sa vie dans un camp de concentration.
Par ailleurs, les nazis auraient également été en quête de Thulé, la mythique nation aryenne, mais les thèses sur le sujet sont plutôt douteuses. Ainsi, dans Le Matin des Magiciens (1962), Louis Pauwels et Jacques Bergier prétendent qu’Hitler aurait eu des contacts avec les fameux « gouvernants secrets », chers à la théosophie, originaires d’Hyperborée, mais résidant désormais sous l’Himalaya. D’autres auteurs rapportent que les nazis auraient tiré des missiles dans le sol Arctique en espérant les voir ressortir de l’autre côté de la planète…
À la fin des années 50, un certain Henrique José de Souza, président de la société théosophique brésilienne, suggère que les Ovnis plutôt que de dégringoler du ciel, viendraient en fait de l’« Agarthi », monde intra-terrestre dont la capitale serait Shambhala.
L’idée connaîtra un certain succès auprès des fans d’ufologie, notamment un certain Raymond Bernard, auteur de The Hollow Earth (1969), ouvrage dans lequel on apprend que les pistes d’envol des soucoupes volantes se situent dans le royaume souterrain de l'Agartha. Ses habitants, très évolués techniquement et spirituellement, utiliseraient l’énergie Vril évoquée par Edward Bulwer-Lytton et seraient les derniers représentants d’une civilisation antédiluvienne qui aurait peuplé les continents disparus de la Lémurie et de l'Atlantide. Lorsque ces terres furent englouties, les rescapés trouvèrent refuge à l'intérieur de notre planète ainsi que sur certains continents. C’est ainsi que l'Égypte comme les empires aztèque, maya et inca seraient en fait des colonies atlantes…
L’avènement de l’ère spatiale et les nombreuses expéditions polaires n’ont pas suffi à mettre un terme à la théorie de la Terre Creuse. Aux arguments des scientifiques, notamment l’absence de gravité dans cet hypothétique espace sous la croûte terrestre, les adeptes opposent l’inébranlable théorie de la conspiration, arguant que les photos satellites seraient trafiquées par la NASA pour cacher les ouvertures aux pôles... Et il est vrai que certains clichés présentent d’étranges anomalies. Interprétées par les uns comme des défauts photographiques et par les sectateurs de la Terre Creuse comme la preuve tant attendue que les gouvernements nous mentent…
Hormis les adaptations de Voyage au Centre de la Terre, les œuvres cinématographiques axées sur la théorie de la Terre Creuse sont rares. Citons l’épisode Le Seigneur du Magma de la série X-Files et le très récemment sorti l’Âge de Glace 3 qui reprend le thème de la survie souterraine des dinosaures. Idée reprise aussi au sein des comics avec la Terre sauvage , foulée par Ka-Zar et les étranges X-Men.
Plutôt que de remplir l’intérieur du globe de créatures mutantes ou d’humanoïdes, le cinéma et la bande dessinée choisiront plus souvent de les peupler d’humains réfugiés après quelque catastrophe. Ainsi, dans L’armée des douze singes de Terry Gilliam (1995), la surface du globe, devenue impraticable en raison d’un virus mortel, les survivants sont désormais contraints de vivre sous terre. Quant à La Machine à explorer le temps, roman d’H. G. Wells adapté au cinéma par Georges Pal puis par Simon Wells en 2002, il met en scène une race d’esclaves reléguée dans des habitations souterraines, les morlocks, devenus quasiment aveugles à force de ne connaître que les ténèbres.
Enfin, pour ainsi dire plus « réaliste », citons le film de science fiction de Jon Amiel, Fusion, qui raconte les péripéties d’une équipe de spationautes chargés de sauver de la stase le noyau terrestre et obligés, pour cela, de plonger en son cœur.