• Le déluge et les villes englouties


    Le mythe du continent ou de la cité engloutie a traversé les civilisations, enrichis des croyances propres aux siècles et aux hommes qui l’ont réécrit voire réinventé au fil du temps. Cependant, beaucoup de constantes demeurent, et surtout, un même attrait poussant encore nos contemporains à explorer ce thème, mais aussi et surtout à lui offrir une réalité.

    L’hypothèse scientifique qui serait admise comme étant le point de départ de ce mythe serait une vraie catastrophe naturelle, certainement pour nos civilisations occidentales une montée des eaux fulgurante (150m en deux ans) dans le bassin de la Mer Noire, il y a 7100 ans, et pour le continent américain, un lac qui se serait vidé rapidement, entraînant également une montée du niveau de la mer (voire pour cela l’excellent article sur le déluge de wikipedia).

    Revenons aux différentes évocations du mythe. Dans un ordre chronologique, on trouve des récits de déluge meurtriers dans les plus anciennes civilisations : en Mésopotamie, tout d’abord, avec l’Epopée de Gilgamesh. La civilisation coulait des jours heureux et les hommes avaient une durée de vie extraordinaire (environ 20 000/80 000 ans pour les rois). Cependant, trop bruyants, ils empêchent le Dieu Enlil de dormir, et celui ci voyant sa création lui échapper, il décide de l’engloutir. Un héros proche de lui a pour mission de sauver quelques hommes et les animaux, les métaux précieux, en construisant une arche. Mais le dieu épargne également une ville royale pour assurer une certaine tradition. Le déluge dure six jours, et le septième, la mer se repose. Le héros lâche alors une colombe, puis une hirondelle et enfin un corbeau, avant de savoir qu’il peut accoster sur une terre émergée. Les survivants offrent alors un sacrifice au dieu, qui accepte le nouveau départ de l’humanité, accorde l’immortalité au héros, et fais descendre la durée de vie des hommes. De plus, il limite aussi le nombre d’humains en créant des femmes stériles, la mortalité infantile, et le célibat/la chasteté pour certaines femmes.

    Dans la civilisation Grecque, on retrouve aussi une évocation d’un déluge, plus drôle cette fois, d’Ovide (« les métamorphoses ») qui raconte que Jupiter considérant les hommes comme criminels, décide d’anéantir l’humanité, par l’intermédiaire de Neptune. Il explique comment les dauphins s’amusent avec les arbres et se cognent aux chênes, mais aussi que les animaux terrestres, égaux devant la mort, ne peuvent se sauver quelque soit leur force, les hommes, qui meurent de faim ou emportés par les eaux. Seuls survivent Deucalion et Pyrrha sauvée par Thémis pour repeupler le monde.
    La plus célèbre évocation d’un continent englouti, et non plus du monde tout entier, est bien entendue de Platon. C’est l’Atlantide, et vous avez de très bons sites sur ce mythe, donc évitons la redondance. Ensuite, le déluge biblique prend la relève, et là aussi, je ne m’étendrais pas, car le net regorge de site à son sujet.

    Viens ensuite la légende de la cité d’Is/Ys , datant du Vème siècle. Ce mythe breton évoque une cité païenne construite par les korrigans et dirigée par un roi bon mais qui aurait eu avec une fée guerrière – le pauvre - une fille aux mœurs dissolues. La princesse Dahut prendrait un amant chaque nuit qu’elle ferait décapiter, ou étrangler, ou encore qui serait tué par un sort, j’ai trouvé plusieurs versions. C’est alors qu’un saint arrive et réussit à convertir le roi au christianisme, alors que sa fille reste attachée aux anciens cultes. Le roi conserve par ailleurs les clés des écluses de la cité sur sa poitrine, et le jour où la princesse tombe amoureuse d’un mystérieux prince, elle lui vole. Le prince, en fait, était le diable, et il ouvre les écluses, ce qui englouti la cité. Le roi réussi à s’en sortir avec le saint , en enfourchant son cheval, mais il du pour cela empêcher sa fille de s’accrocher à la crinière de ce dernier. La légende ne s’arrête pas sur cette note, elle raconte aussi que l’on peux encore entendre les cloches de la cité, et qu’un jour la ville émergera et retrouvera sa splendeur au détriment de Paris (« la nouvelle Is ») : « Quand sera noyé Paris/ renaîtra la ville d’Is ».
    Il semble que localement, une même légende se retrouve un peu partout. Au Mont Saint Michel, c’est la forêt de Scissy qui aurait été engloutie ; Le village flamand de Wenduine a été englouti aussi, et ses orgues joue encore le Dies Irae. En Meditérannée, une ville engloutie au large de St Raphaël vivrait encore sous les eaux, et ses cloches ainsi que ses canons retentiraient parfois. Il y a également des canons qui retentiraient au large de la Ciotat.

    Plus proche de nous, au XIXe siècle, ce mythe retrouva une seconde jeunesse, avec l’arrivée de nouvelle théories, comme celle du continent englouti de Mu ou la Lémurie. Ce continent aurait existé entre l’Afrique et Madagascar, mais les théoriciens ont vraiment copié Platon, avec leur propre idéologie (douteuse en plus), donc il faut y voir une résurgence de l’Atlantide. J’ai aussi trouvé la cas d’un monastère devenu impie et paillard qui aurait été englouti en une nuit (celle de noël) sous un petit lac (Amélie Bosquet « la Normandie romanesque et merveilleuse »). Et là aussi, les cloches sonnent le soir de chaque noël.

    Un peu plus à l’est, on trouve un mythe tout aussi intéressant. En Russie, en 1875, dans la région d’Outre-Volga, se trouve une ville-invisible, engloutie par la lac Clair. Cette ville est présente « pour ceux qui savent voir » . Mel’nikov-Pecerskij raconte : « Elle est intacte mais invisible. Elle s’est dérobée à la vue, miraculeusement, quand Baty, le tsar impie, vint y porter la guerre (…).Le tsar des Tatars était venu jusqu’aux murs de la grande Kitèje, dans le dessein d’incendier ses maisons, de massacrer les hommes ou de les emmener en captivité, de prendre les femmes et les filles pour concubines. Mais Dieu ne permit pas à l’infidèle d’outrager ainsi sa sainte cité. Dix jours et dix nuits, les soldats de Baty cherchèrent la ville et ne purent la découvrir parce qu’ils étaient aveugles. Et depuis ce temps, la ville est cachée à nos yeux. Elle ne se révélera qu’au jour du jugements dernier. (…)Et l’on entend la nuit le son sourd et plaintif des cloches de Kitèje. » M. Francis Conte a mis en ligne un cours où il décrit les rituels encore pratiqués autour de ce lac, et c’est très intrigant de voir cette ferveur ! Cette ville rappelle également un autre site sacré invisible, l’île d’Avalon.

    Après vous avoir assommé avec cette liste non exhaustive des évocations des cités englouties, je vous propose une petite réflexion sur son évolution et sur ce qu’il nous montre des civilisations, de leurs croyances.

    Tout d’abord voyons ce qu’elles ont en commun, ou ce qui les différencie.
    L’engloutissement par les flots n’est en aucun cas un acte gratuit. Le Dieu qui agit a ses raisons. Soit il ne peux pas dormir (et là, on le comprend), soit il est irrité parce que les hommes, vraiment, sont trop nombreux, trop impurs, et en plus ils le défient ou alors ils sont trop purs et il faut les protéger des impurs. Le Dieu fait son tri, et sauve ou non ceux qu’il a décidé de sauver. On a soit un héros et souvent sa femme, pour pouvoir repeupler la terre, soit un peuple « pur », soit encore et bien personne, comme pour l’Atlantide, parce qu’ils étaient tous pareil. Mais n’oublions pas que si elle a été engloutie, c’est pour sauver Athènes, la pacifique, la rurale contre les guerriers belliqueux de l’île. Donc il y a toujours une notion de sauver ce qui est pur contre ce qui est impur et qui sera puni.
    La différence de croyance se voit entre avant et après l’ancrage de la pensée chrétienne, et surtout pour le mythe d’Ys. On voit que Dieu sauve les deux chrétiens, au détriment de l’ancienne tradition, donc l’ancienne religion, qui est engloutie tout entière. Au passage, d’ailleurs, on la diabolise par la figure de Dahut.
    Ce mythe est alors une figure de la morale, de ce qui doit prévaloir dans une civilisation si elle ne veux pas aller à la destruction.

    Il y a juste quelque chose qui m’a frappée, c’est le fait que Platon surtout évoque une Atlantide avec un niveau de culture incroyable, la maîtrise d’un métal inconnu, etc… Et en même temps ce châtiment qui la frappe à cause de sa nature belliqueuse. Dans les autres mythes, soit la cité entière est impure et donc on la châtie pour cela, soit elle est pure et on la cache. Je pense que cela est du au message politique que Platon essaie de faire passer dans son récit. Mais si vous avez des idées !

    Ce qui est également commun aux cités englouties, c’est le fait qu’elle semble toute vivre encore et perdurer par delà l’engloutissement. Les cloches, ou les canons, la promesse d’un retour, etc. sont présent partout et dans toutes les versions. Dans les premières versions du déluge, c’est le nouveau départ qui remplace la promesse du nouveau départ, mais on a bien la même finalité !

    Enfin, je voulais mettre un mot sur l’incroyable modernité de ce mythe. Il y a beaucoup de livres, de films et de recherches sur le sujet, un nombre croissant de gens qui s’y intéressent, et ça prouve que ces légendes ne sont pas prêtes à tomber dans l’oubli. Comment expliquer cela ? La mémoire collective ? Le goût de l’inexpliqué, de l’aventure ? Dans l’article sur l’Atlantide de Wikipédia, ils ont fait une liste sur l’exploitation de cette légende dans les arts, et elle est très longue. Les archéologues qui l’ont cherchés sont innombrables. J’en ai moi même rencontré un qui voulait partir en expédition de nos jours. Les continents et pays qui situent l’île dans leurs eaux sont pléiade. La découverte d’une vraie cité engloutie, Khambhat, passionne autant que si elle avait été légendaire.


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