• Le candomblé au Brésil


    Le candomblé est le nom générique donné aux cultes de possession d'origine africaine qui se sont développés au Brésil avec l'arrivée de contingents importants d'esclaves africains. Issus de groupes ethniques divers, leurs croyances se sont fondues dans le candomblé, qui n'est donc pas tout à fait une survivance mais le résultat syncrétique de rites africains, principalement Yorouba et Bantou, qui se sont développés à l'ombre du catholicisme et de la magie ibérique.

    Influences indiennes, africaines et urbaines

    Dès la fin du XIXe siècle, ces manifestations religieuses ont intégré aussi des éléments du spiritisme kardéciste, courant qui connut une très grande vogue au Brésil.

    Il s'agit de religions en constante transformation, dont il serait vain de rechercher l'orthodoxie. Chaque groupe de fidèles privilégie certaines divinités et certaines pratiques. Dans ces dernières décennies, le mouvement idéologique de réafricanisation s'est efforcé d'éliminer un certain nombre d'aspects syncrétiques au nom de l'authenticité. Cette démarche volontariste, qui émane plutôt des élites intellectuelles, s'appuie sur les écrits des ethnologues.

    Il convient de préciser que l'immensité du Brésil et l'inégale distribution spatiale des esclaves noirs a influencé la nature des cultes. Dans le nord du pays, en région amazonienne, les influences indiennes sont plus fortes, comme l'indique le nom de ces cérémonies, pagelanças (pagé signifie chamane en langue tupi). À Bahia, dont la majorité de la population est noire, le candomblé est réputé pour avoir conservé, mieux qu'ailleurs, ses racines africaines. À Rio de Janeiro, on parle plutôt de macoumba, pour désigner des rites auxquels participent les classes populaires urbaines, plus ou moins métissées. Ce terme possédait autrefois des connotations négatives. Dans le sud du Brésil, le terme utilisé est celui de batuque, et les fidèles sont non seulement des Noirs et des mulâtres mais aussi des descendants d'immigrés européens et des métis d'Indiens guarani.

    Lorsqu'ils se réfèrent aux fêtes des esclaves, les documents du XVIIIe siècle utilisent un terme d'origine bantoue, calunda, qui signifie les esprits des ancêtres. Ceux-ci sont généralement justiciers et guérisseurs ; après une série de mutations, ils ont acquis la force caractéristique des entités spirituelles. Dès l'époque coloniale, les descriptions mettent l'accent sur les percussions des tambours sacrés et sur la communication directe des fidèles avec les esprits, qui parlent par la bouche du possédé. En fait, chaque groupe se différencie par les rythmes, les danses, l'importance accordée à une divinité au détriment d'une autre, la nature des offrandes et l'organisation du terreiro, à la fois communauté de fidèles et maison cérémonielle. Le candomblé est divisé en « nations » dont les plus connues sont Nagô (Yorouba), Ketu, Nagô-vodun, Jeje, Angola, Congo et Caboclo, cette dernière étant placée sous le signe du métissage. Dans ce contexte, « nation » se réfère à une tradition spécifique plutôt qu'à une origine ethnique.

    Dieux, déesses et esprits

    Comme le vaudou haïtien, le candomblé a ses officiants, les pères ou les mères de saint – pai-do-santo, mae-do-santo – ses initiés, les « fils-du-saint » et ses lieux cérémoniels. La transe et la divination jouent un rôle important. Le panthéon du candomblé est difficile à établir en dehors des divinités les plus puissantes, car le nombre des esprits est considérable et varie selon les régions et les terreiros. Ces esprits sont appelés orixas. Ils sont souvent doublés d'un saint chrétien et sont associés à des couleurs, à des gestes, à des comportements précis, bref, à des qualités. Au cours des rituels, attirés par les tambours, ils s'incorporent ou « descendent » sur l'initié de leur choix. À chaque humain correspond un orixa, que l'initié découvre et avec lequel il entretient une double relation de protection et d'obligation. En dehors de ces manifestations spectaculaires et collectives, les orixas mènent une existence discrète dans les bois, les pierres, les sources ou autres espaces naturels. Le père des orixas est Oxalá, comparé souvent à Jésus. Oxalá est associé aussi à certaines parties du corps humain, comme le cœur et le système nerveux. Shangó est le dieu du tonnerre et de la justice. Il peut rendre fou ses « fils ». Il porte une couronne pour marquer sa condition de roi. Sa danse est très agitée. Yemanja est la déesse yoruba de la mer. Elle gouverne la tête, plus précisément le cerveau et le raisonnement. Sa couleur est le bleu clair et sa danse imite les vagues. Ogoun, dieu de la guerre, est en rapport avec le fer, les chemins et les voyages. On peut l'identifier à un soldat romain, avec sa cuirasse et son casque. Il est toujours habillé en bleu.

    Exu, messager entre les hommes et les dieux

    Parmi toutes les entités, dont nous n'avons cité que les plus connues, Exu occupe une place de choix. Cet être phallique et perturbateur est présent également dans les Caraïbes et au sud des États-Unis. Il est originaire du Nigeria et du Dahomey, où il prend aussi le nom de Legba. Exu préside à la divination par les coquillages – cauris ou buzios – et remplit le rôle de messager entre les hommes et les dieux, dont il est l'aîné. Au Brésil, il est accompagné par sa femme, la sensuelle Pomba Gira. Maître du destin, il « ouvre ou ferme les chemins » de la vie. C'est pourquoi chacun doit s'en attirer la bienveillance. L'Église catholique identifia Exu au diable. D'une certaine façon, sa capacité de dédoublement et la multiplicité de ses incarnations ont quelque chose de diabolique. En effet, dans tous les terreiros il en existe au moins deux. L'un se situe près du seuil de la maison à l'intérieur d'un assiento, c'est-à-dire d'une demeure qui prend généralement la forme d'un monticule en argile orné de cauris. Autour du monticule, arrosé d'huile de palme, on place des chandelles allumées. Le second, appelé « compère Exu », est enterré à l'entrée de la maison principale ou bien reste tapi derrière la porte. Avant de pénétrer dans l'espace sacré, il faut le saluer. D'une part donc, Exu est esprit-vodun, mais, d'autre part, il est serviteur ou esclave d'un orixa. Il travaille alors pour un dieu car celui-ci ne peut pas connaître les besoins des hommes sans sa médiation.

    L'initiation ou « fabrique du saint »

    L'initiation débouche sur la révélation du destin personnel de l'adepte et dans la constitution de son Exu gardien. En fait, la « fabrique » du saint, la feituria do santo, est un rite qui comporte plusieurs étapes destinées à séparer le novice de sa communauté d'origine pour l'introduire dans celle des initiés. La durée de ce processus peut varier mais elle ne doit pas être inférieure à deux semaines. Tout d'abord, l'initié entre en réclusion. Aux interdits de contact et de vue il faut ajouter la prohibition absolue d'avoir des relations sexuelles, de consommer des boissons alcoolisées, de fumer et de manger du porc et des fruits de mer. Le novice est vêtu de blanc et occupe son temps à méditer et à confectionner les colliers rituels qu'il mettra le jour de la cérémonie finale. Des rites de purification le « nettoient » de tout fluide mauvais. Un moment intense est celui de l'imposition du obi, qui est une des « préparations » de la tête de l'initié. Il s'agit dune sorte de noix que le prêtre coupe et donne à manger à l'initié mais aussi pose sur la têtes et les articulations. Ultérieurement, l'initié est entièrement tonsuré. Enfin, les différentes épreuves aboutissent à la « sortie du saint » grande fête où tous les adeptes et le voisinage sont conviés. Au cours de cette cérémonie, l'initié sera vraiment possédé par son orixa.

    Les Egoun, dangereux esprits des morts

    Les Egoun sont les esprits des morts. Ces entités ont beaucoup de pouvoir, qui se manifeste surtout dans leur capacité à nuire aux vivants, à leur infliger des maladies diverses. L'une d'elles, la plus courante, est l'encosto, lorsque l'esprit possède en permanence la personne. Ces cas sont toujours dangereux et, pour les surmonter, il faut procéder à un « nettoyage » et à d'autres rites afin d'expulser l'esprit incorporé. Si cela ne réussit pas, le possédé peut en mourir. Les egoun peuvent aussi contaminer les humains en leur envoyant de mauvaises ondes. On redoute particulièrement les lieux de passage et de circulation intense, comme les bars, les taxis, les transports publics, propices à ces contacts. Enfin, l'egoun peut apparaître dans un rêve ou bien se glisser dans l'oreille de la victime, dans un murmure.

    L'umbanda, une modalité métissée du candomblé

    Dans les années 1930, le candomblé, considéré comme un culte arriéré, souffrit des persécutions. À la même époque, une modalité « blanchie », l'umbanda, se développa, d'abord à Rio de Janeiro, puis se diffusa dans tout le pays. Cet amalgame de spiritisme et de candomblé désafricanisé est devenu une religion nationale, symbole du mythe du creuset racial et culturel. Du spiritisme, l'umbanda récupérait la croyance en la réincarnation ainsi que la communication directe avec les « guides » ou esprits qui s'incarnent dans les médiums. Mais, à l'instar du candomblé, il est difficile de parler d'orthodoxie et de systématiser les différentes « lignes » qui fragmentent cette religion. Les esprits qui travaillent dans l'umbanda sont divisés en quatre groupes : les caboclos ou esprits des Indiens, les pretos velhos ou « vieux noirs », esprits des esclaves, les Exus et les enfants. Par la présence incontournable d'Exu, l'umbanda se situe dans la continuité du candomblé dont elle incarne la modalité la plus métissée. Si elle accepte les règles de la classe dominante, elle peut aussi, sous sa forme quimbanda, les défier et les contrer. Nous retrouvons-là toute l'ambiguïté de ces cultes de possession.


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