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La vie de Bouddha : entre histoire et mythe
Jusqu’au milieu de ce siècle le Bouddha était considéré par certains auteurs comme un mythe solaire et non comme un personnage ayant réellement existé. Aujourd’hui son existence historique n’est plus mise en doute, nombre de documents épigraphiques et de découvertes archéologiques l’attestent.De nos jours le Bouddha est encore souvent classé parmi les “grandes figures des mythologies” ! Ceci exemplifie la difficulté à catégoriser le bouddhisme, tout au moins dans sa version originelle.
Il apparaît que les mythes, tout comme les symboles, ne sont pas atemporels, leur lecture étant liée à une civilisation, une époque et un peuple. Que signifie par exemple la mythologie hindou pour un occidental et même pour un indien contemporain ? Dans notre optique, qui est celle du pratiquant, la question est de rechercher en permanence l’utilité pragmatique de ce qui est présenté dans le bouddhisme, à la lumière des principes et préceptes de base et en se fondant sur une herméneutique bien comprise. Le bouddhisme originel n’encourage aucune spéculation ou superstition et est dépourvu de tout langage mystique ambigu ; néanmoins, pour être signifiant au sein d’une contexte socioculturel bien spécifique (l’Inde du VIe siècle avant notre ère) il lui a été nécessaire d’inclure des légendes et symboles prévalant dans ce contexte. Mais ces emprunts ne sont que des “moyens habiles” (upâya) permettant de présenter l’Enseignement en des formes et des termes accessibles. L’idiosyncrasie de l’Enseignement du Bouddha étant constamment de donner à chacun la nourriture qui lui convient et au moment approprié.
Les légendes entourant la vie du Bouddha, telle qu’elle est présentée dans les textes canoniques et postcanoniques du bouddhisme, masquent la réalité d’un personnage sur lequel nous connaissons en fait fort peu de choses. Ces légendes se sont tout particulièrement greffées sur les trois principaux évènements de sa vie – sa naissance, son Éveil et sa mort (“extinction”) – évènements commémorés par tous les bouddhistes du monde à la pleine lune de mai. Existe-t-il un sens caché à ces légendes ? Répondre par l’affirmative serait aller à l’encontre d’une caractéristique fondamentale de l’Enseignement du Bouddha (que nous distinguons ici sciemment du “bouddhisme”, construction tardive) : l’absence de tout signifié occulte à découvrir au-delà de ce qui est exposé clairement par le Bouddha. Il est fort probable que, répondant à une habitude de l’époque consistant à utiliser les expression poétiques et figurées, la relation de la vie du Bouddha dans un langage poétique, la présence d’ornementations, d’exagérations, ont permis la préservation de ces récits jusqu’à nos jours.
La production des premières images anthropomorphiques du Bouddha et les premières tentatives d’un récit quasi historique de sa vie semblent contemporaines, et les succès de cet art sont perceptibles pendant le règne de l’empereur Kaniska (IIe siècle de notre ère) de l’empire Kusana. Il n’est pas facile d’expliquer la naissance de cette volonté de posséder une image manifestée du Bouddha ainsi qu’une biographie complète alors que pendant cinq siècles et plus, le besoin ne s’en était pas fait sentir. La dévotion envers un idéal transcendant s’est peu à peu mué en une dévotion plus personnelle, exprimée dans l’art et dans la littérature.
Il est néanmoins regrettable que tous ces emprunts opacifient le message originel et la tentation est forte d’étudier le bouddhisme (et les autres courants religieux) comme une pièce de musée, privée de vie derrière une vitrine, d’un point de vue purement extérieur (scientifique diraient certains !). Cette attitude transforme trop souvent l’Enseignement du Bouddha en une construction mythologique complexe sans intérêt pour la réalité existentielle de l’homme actuel.
Selon le calendrier bouddhique, utilisé encore dans de très nombreux pays et notamment au Laos, la naissance de Bouddha remonte à très exactement 543 ans avant JC. Les historiens sont unanimes quant à l’effective existence d’un homme, Gautama (aussi appelé Siddhârta, ou Sakyamuni), qui aurait dédié sa vie à la recherche d’une transcendance, reniant les esprits et les Dieux.
En son temps, cet homme alla à l’encontre même des principes de destin ou de jugement divin. Il voulait remettre le corps et l’esprit de l’homme entre ses propres mains, à une période où non seulement il existait une très forte ascendance des castes sur la vie des hommes, mais où il pouvait lui-même, de part sa naissance, bénéficier de tous les avantages que lui donnait droit son sang.
Siddhârta est né à Kapilavastu (ou a Lumbini, comme on le pense maintenant, au nord de l’actuelle Bénarès (ville située au nord de l’Inde, sur le versant indien de l’Himalaya), dans le royaume de Maghada où régnait alors le Brahmanisme ou Hindouisme.
De fabuleuses légendes entourent la naissance de l’enfant, qui reçut le nom de Siddhârta, ou "celui qui a réalisé son but". Né dans une famille de Raja du clan des Sakya, il jouit d’une enfance particulièrement sereine, paisible, sans histoire, promis au destin de prendre la suite de son père. Entouré, choyé surprotégé autant par sa mère (Maya) que par son père (Suddhodana), Siddhârta n’est pourtant pas heureux ; et en grandissant, il sentira jusqu’à l’angoisse de la fragilité des choses, l’amertume de tout ce qui meurt.
Il se marie à 17 ans, avec sa très jeune et très jolie cousine Yashodara, fille du prince d’un pays voisin. C’est à cette époque que le futur Bouddha découvre les 4 plaies majeures de l’homme (au cours de 4 promenades qu’il aurait faites autour du palais) : la maladie, la vieillesse, la mort et la pauvreté. L’idée maîtresse du bouddhisme "trouver une voie pour sortir de la souffrance humaine" va s’imposer à lui, et ne le quittera plus.
Siddhârta a 29 ans, et sa femme vient de lui donner un fils, Rahula. Cette naissance lui apporte-t-elle la confirmation qu’une nouvelle "chaîne" le lie à cette existence tissée de souffrances et de mort avec laquelle il souhaite rompre ? Tout est-il que la décision du grand départ s’impose à lui, qui l’amènera à parcourir durant 7 années la vallée du Gange, rencontrant divers maîtres, se formant à la pratique du Samadhi (la méditation).
Sa réputation de sagesse et son rigoureux ascétisme lui attachèrent alors 5 disciples qui le suivirent comme un maître. Ainsi, celui qu’on commençait à appeler Sakyamuni, autrement dit "le moine silencieux des Sakya", allait par les chemins, écoutant beaucoup, meurtrissant son corps par d’inhumaines privations, dormant sur des épines, jeûnant jusqu’aux limites extrêmes, s’essayant à toutes les tortures de soi pour n’être qu’un esprit à la recherche d’une totale concentration délivrée des contingences humaines.
C’est alors, rompu par ce régime forcé, exténué, à bout de force, qu’il prend soudain conscience que là n’est pas le chemin de la délivrance. Pas plus que la vie luxueuse qu’il a menée en son palais, la vie d’errance et la terrible ascèse n’est pas satisfaisante. Ainsi sera la première des révélations, la fameuse "voie du milieu".
Siddhârta reconnaît que les privations excessives ne mènent nulle part et prend conscience qu’il doit satisfaire aux besoins élémentaires. Il recommence donc à se nourrir frugalement... perdant instantanément l’aura qu’il avait auprès de ses disciples, qui l’abandonnent sur le champ. Siddhârta est maintenant seul, désespéré... on place la tentation du Bouddha (par le démon Māra, qui envoya ses filles séduire Bouddha) à ce moment-là, sous l’arbre Bodhi, tentation qu’il vaincra. L’éveil peut se produire, donnant lieu à 7 jours d’extase selon la tradition ; Sakyamuni découvre alors les 4 vérités.
Il part alors pour Varanasi (Bénarès), où il retrouve les 5 disciples qui l’avaient quitté, à qui il va prononcer son premier sermon appelé "La Mise en mouvement de la Roue de la Loi". Il leur donnera l’ordination : la première communauté, la Sangha, des moines bouddhistes est formée. Dès lors, celui qu’on doit désormais nommé "le Bouddha suprême" n’aura de cesse de parcourir l’Asie, simplement vêtu de la robe jaune, le crâne rasé, mendiant son bol de riz, couchant à la belle étoile ou sous les hangars de potiers à la saison des pluies...
Le Bouddha sera bientôt suivi de nombreux adeptes, riches et pauvres, simples paysans, parias et rois. Au sein de sa communauté règne la plus stricte égalité, la seule hiérarchie reconnue étant celle de l’ancienneté ; à l’intérieur de la communauté, il n’existera plus de caste. C’est une véritable révolution que propose Sakyamuni... Il sera même créé des monastères de femmes, chose tout à fait inconcevable à cette époque là.
Au cours des 40 années de voyage qui le mèneront des contreforts de l’Himalaya aux rives du Gange, Bouddha croisera de nombreux religieux de sectes hostiles, mais il est dit qu’il demeura égal pour tous, ses amis comme ses ennemis, car d’ennemis il n’en a point... Il rencontrera son traître en la personne de son cousin Devatta qui rêve de le supplanter à la tête de la communauté et qui tentera à de nombreuses reprises de l’assassiner. Il doit aussi supporter la presque disparition des siens. Le clan des Sakya est anéanti parce que le fils de Bimbisara, qui a fait assassiner son père pour régner à sa place, veut assouvir une vengeance personnelle et dans ce but fait massacrer toute la famille sans épargner ni femmes ni enfants.
L’heure de la mort approche. Pour la dernière fois il se met en route. Les étapes sont courtes car le Maître est fatigué. Il est entouré de nombreux disciples, dont le fidèle Ananda. Il franchit le Gange, là où s’élèvera plus tard la ville de Pataliputra (actuellement Patna), poursuivra jusqu’à Vanugrama où il frôle la mort, terrassé par une terrible crise de dysenterie, pour enfin s’arrêter sur la route de Kusinagara.
Il est épuisé. Il s’allonge sur le côté droit, la tête en direction du nord et le visage tourné vers l’ouest. C’est là qu’il prononcera ses dernières paroles : à un prêtre d’une autre secte insistant pour le voir, il donnera l’ordination ; et ce, malgré l’institution rigoureuse des 4 mois de noviciat que Bouddha a pourtant exigée (exemple même du devoir d’interprétation de la règle, considérer l’esprit et non la lettre, miser sur les qualités des hommes...) ; à Ananda, il rappellera encore que seule la Règle est le maître de toute chose. Puis il rentrera en médiation et passa de l’extase à la délivrance.
Il s’éteindra à l’âge de 80 ans, aux alentours de 480 avant notre ère. L’événement aurait eut lieu à la pleine lune du mois de Kârttika (novembre) selon la tradition sanscrite, ou celle du mois de Vaisâkha (avril-mai) comme la naissance et l’Eveil si l’on en croit les textes traditionnels pâli. Son corps fut brûlé selon la coutume, et des honneurs royaux lui furent rendus.
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