• La mort au mexique précolombien

    Les voyageurs au Mexique, personnages illustres ou touristes lambda, ont souvent été frappés par la constante présence de la mort qui habite l’art populaire, les arts plastiques, la littérature et la poésie, mais aussi la vie quotidienne. Les images de mort dans leur symbolique la plus courante (crânes, squelettes…) sont reprises dans les innombrables petits objets produits avec une inventivité constante par l’artisanat mexicain. Des morts, petits personnages en papier mâché, sont occupés à toutes sortes d’activités revenant habituellement aux vivants, comme ces mineurs au travail avec leurs pics et leurs wagonnets. Un orchestre de mariachis-squelettes (en papier mâché et fil de fer) donne la sérénade; un démon-squelette poursuit un livreur de journaux-squelette, les deux circulant en vélo...

    Un mort devient un être surnaturel doté du pouvoir d'intercéder pour les membres de sa famille, ou d'agir contre eux s’ils estiment ne pas être convenablement honorés. Dans tous les villages, on raconte des histoires de gens n’ayant pas pu honorer suffisamment leurs morts et punis par eux. Les Indiens mexicains ne prient pas pour les morts, mais c'est à eux qu'ils adressent leurs prières («no rezan por las almas, sino que las rezan a ellas»).

    On connaît bien aujourd'hui les croyances des peuples préhispaniques de l’Amérique centrale, le panthéon des dieux aztèques et leur cosmogonie, les rites cruels des sacrifices humains qui ont tant impressionné les chroniqueurs de la conquête. Les nombreux sites archéologiques au Mexique et les découvertes qui continuent d’y être faites témoignent des images terrifiantes qui y étaient fréquentes. Henri Stierlin évoque chez les Aztèques une obsession, une «exaltation de la mort dans ce qu’elle a de plus macabre et de plus brutal», une «horreur sacrée»  que l’art est chargé de communiquer, dans un univers d’épouvante et dont les exemples sont innombrables.

    Ainsi, dans le chapitre consacré à la céramique de Cholula, Stierlin constate de nombreux motifs associés à la mort (têtes de mort, squelettes, tibias…), relevant une « constante qui connaîtra une formidable hypertrophie dans l’art aztèque. Il y a comme une fascination de la mort dans le monde précolombien». Parmi les illustrations de son livre figure par exemple le Coatlepantli (Mur des Serpents) de Tula dont la frise  montre un serpent à plumes dévorant Quetzalcoatl dont le crâne décharné a déjà l’apparence d’une tête de mort. Des images de Murcielago, le dieu chauve–souris, seigneur des morts. Un crâne humain recouvert d'une mosaïque de turquoises , découvert dans la tombe n°7 de Monte Alban. Des sculptures représentant un prêtre revêtu de la peau d’une victime immolée par cardiectomie, le visage du défunt habillant celui de son exécuteur . De même, une statuette de Xochipilli  – le dieu des fleurs, de l'amour et de la danse – dont le visage est recouvert de la peau d'un homme écorché.

    Stierlin reprend par ailleurs la thèse de John F. Scott présentant les danzantes de Monte Alban comme des victimes sacrificielles. Une page entière de son livre  est consacrée au jeu de pelote comme il était joué par les Aztèques, avec une boule de latex. Les bas-reliefs du Tajin (Pyramide des Niches et Edifice 5) évoquant ce jeu montrent la mise à mort de l’un des protagonistes: mais lequel? Il est possible que ce soit le vainqueur, dans la perspective d'un jeu sacré, lui donnant accès à l'univers des dieux.

    La hantise de la mort chez les Aztèques et leur attente d’une catastrophe eschatologique ont assurément joué un grand rôle dans le succès de la conquête espagnole. «La mort est présente derrière toute chose, rappelle JMG Le Clézio  Dans l’art du Mexique, elle est présente continuellement, grimaçante comme sur le tzompantli, le mur des crânes des suppliciés, grotesque comme dans les effigies de la fête des morts ou dans les gravures de Tablada, ou bien extatique comme l’entrée des guerriers tués au combat dans la Maison du Soleil.»

    Aujourd'hui cette conviction s’exprime sur le mode symbolique. «Chaque squelette de sucre mangé le jour des Morts témoigne que le soleil, pour survivre, doit être nourri du sang des victimes humaines» .

    Dans un article paru en 2002 dans Artes de México , le chercheur Dominique Dufétel analyse comment les célébrations de l'époque actuelle s'inspirent des diverses manières de célébrer les défunts dans le Mexique préhispanique. Il existait alors deux cérémonies principales : la «petite fête des morts», Tlaxochimaco (ou Miccailhuitontli) au 9e mois de l’année aztèque ; et la «grande fête des morts», Xócotl Uetzi (ou Miccailhuitontli) au 10e mois de l’année aztèque.

    La première fête connue par les Aztèques comme Tlaxochimaco, «la naissance des fleurs», est célébrée avec des couronnes et des guirlandes de boutons de fleurs et associée aux enfants morts, dont la mort prématurée est considérée non comme un malheur, mais comme un sacrifice divin. La seconde fête, Xócotl Uetzi, reste à l’origine du rite des Otomis connu sous le nom de "voladores". Quatre danseurs (viejos) montent au sommet d'un mât (à l’origine un arbre) où un cinquième danseur représente un aigle ou autre oiseau de proie, puis ils redescendent en tournoyant au bout des cordes vers le monde souterrain des morts. Le rite englobe au moins trois axes symboliques, le mât pour la fécondité, l'aigle (venant du soleil) comme principe de vie, les danseurs comme principe de mort.

    Dans la conception aztèque du monde, l'existence après la mort dépend de la manière dont on est mort. Ainsi pendant la fête de Tepeihuitl, on célèbre ceux qui sont morts noyés ou frappés par la foudre (destinés au paradis de Tlaloc) et pendant le mois de Quecholli, c'est la célébration des morts à la guerre. Dans de nombreux mythes amérindiens, les ancêtres morts sont transformés en héros puis en dieux. Au 16e siècle, les fêtes du mois de Quecholli ont coïncidé avec la Toussaint catholique, ce qui a favorisé leur assimilation ultérieure.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :