La médecine des anciens Égyptiens est celle pour laquelle nous possédons les documents authentiques les plus anciens. Elle jouit dans l'Antiquité d'une incontestable renommée, dont on trouve déjà des traces dans Homère; on sait que Cyrus et Darius, fils d'Hystaspe, appelèrent à leur cour des médecins de l'Égypte. L'Antiquité classique ne nous a pas laissés dans l'ignorance absolue relativement à cette vieille science et à ceux qui la pratiquaient; Hérodote, Strabon, Diodore de Sicile en font mention; Théophraste, Galien, Dioscoride citent des formules provenant des écoles égyptiennes, et Pline lui-même a dû, remarquait Maspero, nous transmettre en latin plus d'une recette qui, à travers le grec, peut bien remonter à quelque papyrus. Néanmoins, il reste fort douteux que les Grecs eux-mêmes, qui n'entrèrent guère en relations suivies avec l'Égypte qu'à partir de Psammétique Ier (vers 650 av. J.-C., L'Égypte à la Basse Époque), c.-à-d. au déclin de sa période brillante, aient jamais bien connu la culture égyptienne. La même réserve devra peut-être s'étendre à Galien, dont on a souvent cité le passage où il déclare n'avoir vu, dans les traités médicaux de l'Égypte, qu'un amas de sottises. L'interprétation de ce passage a été mise en doute; Galien, d'ailleurs, n'a pas pu connaître les livres hermétiques; il ne savait pas la langue, et les livres n'avaient pas été traduits. Déjà beaucoup mieux favorisés aujourd'hui, nous pouvons puiser nos renseignements aux sources mêmes, c.-à-d. dans les écrits originaux, les égyptologues ayant à leur disposition un certain nombre de papyrus médicaux qu'ils ont traduits ou analysés.
Littérature médicale de L'Égypte ancienne
Nous savons par Clément d'Alexandrie, un des auteurs qui ont pénétré le plus avant dans les institutions et l'esprit de l'Égypte, que les livres hermétiques composaient une sorte d'encyclopédie officielle et religieuse en 42 livres, dont les six derniers comprenaient la science médicale et étaient enseignés dans les écoles. Ils portaient les titres suivants : De la constitution du corps humain; Des maladies; Des organes; Des médicaments; Des maladies des yeux; Des maladies des femmes. Cette collection n'existe plus; il reste douteux même que des fragments soient englobés dans les papyrus aujourd'hui découverts. Les deux principaux papyrus médicaux sont :
1° le grand Papyrus de Berlin, qui a été l'objet de travaux importants et multiples;
2° le Papyrus Ebers, l'un des deux plus grands que l'on connaisse; il contient 108 pages. Ebers lui-même l'a étudié avec une compétence remarquable, et en a traduit et commenté une partie; le Dr Joachim en a donné une traduction complète, savamment annotée. Le Papyrus Ebers, formé lui-même par la réunion de plusieurs petits traités, dont quelques-uns plus anciens, aurait été, d'après des calculs reposant sur des bases sérieuses, composé et écrit vers 1550 av. J.-C.
Quelle place faut-il donner, dans la littérature officielle, à ces traités et à ceux du même genre, c'est ce qu'il est difficile de dire. Ebers était convaincu que son papyrus était le quatrième des six livres hermétiques, celui des médicaments; ce n'est, en effet, en majeure partie, qu'un recueil de recettes. Néanmoins son opinion n'a pas été acceptée par la plupart des égyptologues. II n'est pas inutile de faire remarquer que les traités comme le Papyrus Ebers peuvent être des compilations antérieures à la rédaction des canons hermétiques médicaux. A tous leurs livres, d'ailleurs, les Égyptiens attribuaient une origine divine ou au moins princière. Thot, dont les Grecs ont fait leur Hermès trismégiste, qui peut partager avec le dieu guérisseur Imhotep ou Imhotpou, le titre d'Asclépios égyptien, fut le révélateur des sciences, y compris la médecine. On lui attribuait la composition du plus ancien livre qui fut incorporé dans la collection hermétique. Il était considéré aussi comme le dépositaire des secrets de l'art magique.
Les anciens pharaons eux-mêmes passaient pour s'être adonnés à l'étude de la médecine. Téti, fils de Ménès, était regardé comme l'auteur d'un traité d'anatomie, d'après Manéthon et Elien, et Tosorthos, successeur de Néchérophès (IIIe dynastie), comme celui d'un manuel de médecine (Ancien Empire). La découverte des livres était souvent entourée de circonstances étranges, sinon miraculeuses; l'un fut trouvé sous les pieds du dieu Anubis, dans un temple de Létopolis (Sechem), un autre apparut tout à coup, une nuit, illuminé par le clair de la lune, aux yeux d'un prêtre, dans le temple d'Isis à Coptos, etc. Tous les papyrus se rapportent presque exclusivement à la thérapeutique et à la pharmacie; on rencontre bien quelques fragments ayant trait au diagnostic ou à la description symptomatique, mais aucune trace d'une doctrine quelconque, ni fantaisiste, ni scientifique.
La profession médicale
Les médecins, en grande partie, tout au moins, appartenaient à la classe des prêtres (La Religion égyptienne), comme les astronomes, les hommes de loi, etc. Les élèves étaient admis dans les écoles, annexées aux temples, dont les plus célèbres furent celles de Memphis, Thèbes, Saïs et Chennu, et où, sous une discipline qui, d'après certains documents, paraît avoir été assez sévère, ils recevaient en outre d'une éducation générale, les enseignements professionnels spéciaux. Les livres de la collection hermétique étaient la base de l'instruction théorique. On amenait dans les temples les malades pour y recevoir des soins; il résultait de là, presque forcément, un enseignement clinique que la pratique chirurgicale, que l'on sait avoir été assez étendue, rendait tout à fait nécessaire. Les praticiens égyptiens, au nombre desquels il faut compter les pastophores, dont la situation sociale ne paraît pas être encore bien définie, se répartissaient en plusieurs catégories basées surtout sur les modes de traitement qui avaient leur préférence. Ces catégories sont clairement indiquées dans un passage du Papyrus Ebers (p. XVIX); il y avait le médecin proprement dit, sorti des écoles sacerdotales, puis le prêtre de la déesse Sekbet ou Sokhit, que Maspero qualifie de rebouteur, et enfin l'exorciste qui agissait à l'aide des paroles magiques, des charmes et des amulettes. Cette classification rappelle d'une façon vraiment curieuse les trois procédés de traitement des malades attribués à Asclépios par Pindare (IIIePyth.). En dehors du médecin ordinaire qui soignait les maladies en général, il y avait, là ou l'importance des centres de population le permettait, des spécialistes moins nombreux pourtant que ne le prétend Hérodote.
Les médecins égyptiens jouissaient de certains privilèges, comme l'exemption d'une partie des charges publiques. Souvent ils recevaient des présents au lieu d'honoraires; ces dons étaient parfois apportés dans les temples où l'on déposait aussi des ex-voto, comme la reproduction, en métal, des membres guéris. Parmi ces médecins, un certain nombre, probablement ceux qui n'étaient pas liés au service des temples, étaient de véritables fonctionnaires payés sur les deniers publics. Diodore nous apprend que, dans le cours d'un voyage, comme dans les expéditions militaires, on pouvait, pour ce motif, les consulter gratuitement. mais, la nécessité pour le praticien de ne pas s'écarter des indications fournies par les traités sacrés, sous les peines les plus sévères, au cas où le malade venait à mourir, ne pouvait pas contribuer à élever bien haut l'honneur professionnel.
La science médicale égyptienne
L'anatomie humaine était à peu près inconnue des médecins égyptiens. Contrairement à ce qu'ont gratuitement supposé divers auteurs modernes, la pratique des embaumements (La Religion égyptienne), laquelle d'ailleurs ne fut en usage que pour les gens de la classe élevée et ne remonte pas ,jusqu'aux premières époques, ne fut pas un moyen très sérieux d'instruction. D'abord, il est à noter que les embaumeurs, quoique dise Wilkinson, ne faisaient pas partie du corps sacerdotal; ces techniciens étaient, en raison du respect qu'on avait pour les cadavres, l'objet du mépris public; ensuite, les opérations qu'ils pratiquaient ne pouvaient guère leur apprendre que la forme extérieure et les rapports superficiels des organes viscéraux dont ils faisaient l'extraction. Mais il n'est, malgré tout, guère admissible que les maître des écoles médicales aient systématiquement négligé ces occasions de s'instruire. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner qu'on ait relevé dans les textes médicaux les noms des diverses régions et des parties extérieures des membres et du tronc, ni qu'il y soit question de l'intestin, de la vessie, du foie, des reins, etc., organes qui se voyaient et que l'on touchait lors de chaque embaumement.
Les Égyptiens savaient vaguement que le coeur est le point de départ d'un grand nombre de vaisseaux qui se distribuent dans le corps entier, pour y porter le sang, l'air vital et l'humidité nécessaires. Mais la répartition qu'ils en indiquent est de pure fantaisie. Le même mot met, au pluriel metu, sur lequel on a beaucoup discuté, servait indifféremment pour désigner les veines, les artères, les canaux de toutes sortes, ainsi que les nerfs et les tendons. Un autre, mot dont la signification a aussi été très difficile à élucider, ro-ab, semble désigner à la fois le coeur et l'estomac. Mais Lüring avait probablement raison de penser que le distinction était dans l'idée depuis longtemps, lorsqu'elle manquait encore dans l'expression. La physiologie des Égyptiens était complètement nulle. Tout ce qu'on sait, c'est qu'ils ramenaient la composition du corps aux combinaisons de quatre éléments, et qu'ils regardaient la vie comme entretenue par un souffle que des canaux transportaient partout, en même temps que l'humidité et le sang.
Les Égyptiens, qui, comme beaucoup d'autres peuples orientaux, croyaient que l'humain, à l'abri des violences ou des attaques des démons et de la colère des dieux, pourrait vivre à peu près indéfiniment, s'étaient fait des maladies une idée assez étrange. Ils croyaient qu'elles avaient toutes pour origine l'introduction dans le corps d'un esprit mauvais, agissant spontanément ou sous l'impulsion d'une force magique intentionnellement mise en jeu. Les symptômes étaient les manifestations de sa présence, et l'indice des troubles causés par elle. La thérapeutique avait donc à exercer une double action, l'exorcisme de l'agent d'abord, puis la réparation des désordres qui étaient son oeuvre; c'est en vue de ce dernier but que Thot (Hermès) avait révélé aux humains les vertus des plantes et de toutes les substances médicamenteuses. On s'explique aisément, d'après cela, qu'en Égypte, comme dans toute société archaïque, le traitement par les incantations ait toujours passé pour supérieur à tout autre. On admettait aussi que l'esprit pouvait sortir spontanément; c'est pour cela sans doute que l'on rencontre quelquefois le conseil de s'abstenir de toute médication, le cas étant admis où le malade devait sûrement guérir sans aide.
Les maladies
Les papyrus renferment beaucoup de descriptions sommaires de maladies; mais l'identification de ces maladies est hérissée de difficultés; néanmoins on a reconnu avec presque certitude un certain nombre d'entre elles, surtout celles qui sont les plus communes dans le pays, comme l'anémie primitive ou consécutive à la présence des parasites intestinaux; le paludisme; certaines maladies abdominales, aiguës ou chroniques. On a compris assez facilement ce qui a rapport aux oxyures vermiculaires et au ténia, contre lequel on employait déjà (1500 ans av. J.-C., début du Nouvel Empire), l'écorce de racine de grenadier. Dans certains passages du Papyrus Ebers, on a cru reconnaître la dysenterie, l'atonie intestinale, la diarrhée, les hémorroïdes, certaines tumeurs, la polyurie, l'incontinence urinaire, etc.
Le Papyrus Ebers contient un petit traité spécial sur les maladies des yeux, qui a été traduit par Ebers et savamment commenté par Hirschfeld; il présente une grande importance historique, mais nous ne pouvons ici entrer dans des détails à son sujet. Il y est question du traitement de la conjonctivite catarrhale, de la kératite, des hémorragies du globe, des ecchymoses péri-oculaires. On à voulu voir dans un court passage où l'on parle de guérir la cécité derrière la pupille, dans le fond de l'oeil, une allusion à l'opération de la cataracte; mais cette maladie ne pouvait pas être comprise il y a 3500 ans. Il n'y est question d'aucune autre opération sur les yeux, que celle de l'arrachement des cils dans le trichiasis. Toutes les maladies des yeux sont traitées par des collyres, des pommades, des remèdes divers, lesquels ont pour base, la plupart du temps, des substances minérales; néanmoins des plantes et des produits animaux entrent aussi souvent dans leur composition. Parmi les formules de collyres, il en est une donnée d'après un oculiste de Byblos; cela prouve que les Égyptiens de ce temps reculé ne craignaient pas de recourir aux connaissances des Phéniciens et laisse supposer que l'exclusivisme des médecins sacerdotaux n'était pas absolu.
On sait par ailleurs que les Égyptiens pharaoniques pratiquaient des opérations; on possède toute une série d'instruments; on sait que les médecins de l'ancienne Égypte appliquaient des pansements, qu'ils ouvraient les tumeurs, qu'ils opéraient la circoncision et la castration. Ils réduisaient les fractures et savaient les contenir régulièrement; le fait a été constaté sur des momies ; mais il est fort, douteux, malgré l'assertion de Larrey, qui a pu mal interpréter ce qu'il a vu, que les médecins de la vieille Égypte aient pratiqué des amputations de membres. Le Papyrus Ebers traite aussi, dans un chapitre spécial, des maladies des femmes : troubles menstruels, prolapsus, écoulements, accidents des accouchements, etc., et des moyens de les combattre, dont plusieurs ont traversé les âges.
Thérapeutique, hygiène, diététique
Le premier chapitre on Papyrus Ebers est une allocution adressée au malade, en général, pour lui indiquer les formules sacramentelles qu'il devait prononcer en même temps qu'il absorbait les médicaments; d'autres formules conjuratoires se rencontrent encore, dont la puissance était réputée plus forte que celle des remèdes. Néanmoins la matière médicale était d'une grande richesse; plus de 700 substances, empruntées aux trois règnes, sont indiquées dans les courts traités que nous possédons; le médecin égyptien les employait presque toujours associées en assez grand nombre, dans une même recette. L'identification de ces substances est un problème difficile.
L'hygiène et la diététique préoccupaient déjà sérieusement les médecins de la vieille Égypte. La sobriété et la propreté étaient formellement prescrites par les lois; on considérait l'ivrognerie comme un vice déshonorant. Les règlements fixaient jusqu'à la nature des étoffes employées pour les vêtements ceux de lin étaient surtout en usage; on ne permettait pas de se présenter dans les temples avec des habits de laine. Par mesure hygiénique, les Égyptiens faisaient usage périodiquement de purgations et même de vomitifs. Ils se baignaient souvent, et connaissaient les avantages des bains de mer; ils pratiquaient une sorte de massage. Les peintures égyptiennes montrent l'inexactitude de l'assertion d'Hérodote, relative aux exercices de gymnastique, qui étaient fort en honneur. L'emploi des fards était extrêmement répandu chez les Égyptiens; ils faisaient partie de la thérapeutique oculaire.
La médecine égyptienne exerça nécessairement quelque influence sur la science grecque. Elle enrichit abondamment la matière médicale. On pourrait dresser une longue liste des substances et des formules dont l'emploi a été transféré d'un pays dans l'autre. En somme, la médecine égyptienne, telle que nous la connaissons , tout en restant, au point de vue doctrinal, dépourvue d'un vrai caractère scientifique, si elle ne justifie pas l'admiration exagérée que quelques-uns lui ont accordée sans raison, présente un grand intérêt historique. La vieille science égyptienne survécut encore longtemps comme médecine populaire, quand le pays eut perdu son indépendance, mais son histoire scientifique fut absorbée par celle de la science grecque à l'édifice de laquelle elle apporta quelques éléments secondaires.