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La forêt dans les contes
La forêt est l’un des décors naturels les plus utilisés dans les histoires pour enfants. En effet, celle-ci a toujours été un cadre privilégié pour les créateurs, un lieu magique où pouvaient se dérouler les plus belles histoires, les plus beaux contes.En effet, si les contes populaires de la tradition orale sont très difficiles à dater et s’ils ont été un peu remaniés au fil du temps, il y reste un élément perpétuel, la présence de la forêt, à tel point qu’il est rare de voir des contes sans traversée de forêt.
D’abord une affaire orale, le conte est aussi universel. Il n’est pas de civilisation qui ne le connaisse. Loin d’être une création gratuite, le conte merveilleux était un élément de la vie sociale. Dit à l’occasion de rituels collectifs, il fut le passeur de l’enseignement de la vie humaine.
De son coté, la forêt est l’incarnation de la nature à l’état sauvage, elle est souvent l’espace de l’épreuve et de l’aventure d’un individu confronté aux forces nocturnes de la nature. Elle représente l’enjeu d’une épreuve funeste ou initiatique selon les cas. En effet, la forêt est le lieu de rencontres magiques avec des animaux dangereux ou des êtres mystérieux qui engagent une épreuve physique avec l’homme, épreuve d’où celui-ci sortira vainqueur et initié ou perdant et mortifié. Elle peut être aussi le lieu de rencontre avec soi-même, avec sa propre peur à dépasser les évènements.
Dans tous les cas, la forêt est un terrain éprouvant, un lieu de transition vers un autre état. Nous allons donc tenter de percer les secrets de la traversée de la forêt en nous basant sur une réflexion ethnologique et symbolique et en partant de ce constat : le passage dans la forêt des contes se révèlerait être un rite d’initiation pour les héros et héroïnes qui leur permettrait d’accéder à l’âge adulte. Tout au long de cette étude nous verrons comment la forêt devient un lieu stratégique. D’abord spirituelle, elle se rendra indispensable à la création de l’être humain pour enfin provoquer une véritable métamorphose.
I. Une découverte spirituelle
On comprend généralement par initiation un ensemble de rites et d’enseignements oraux qui poursuit la modification radicale du statut social du sujet à initier. Ainsi, la forêt, comme un labyrinthe, est le symbole de toute quête initiatique. Il faut accepter de s’y perdre, d’y revenir sur ses pas, en avançant sans relâche vers un centre invisible, l’oreille et l’oeil à l’affût des conseils et signaux rencontrés au coin des sentiers.
En tant que dépositaire des us et coutumes de la société par son symbolisme de la mémoire collective, la forêt devient donc un lieu privilégié d’initiation.
Dans les contes de Grimm, par exemple, les forêts sont importantes dans l’ensemble du recueil. Elles sont hors de limites du monde familier, il s’agit d’un monde à l’intérieur du monde, il se veut asocial, sans règle et même asexué. Les personnages s’y perdent, y rencontrent des créatures extraordinaires, subissent des sortilèges et y affrontent leur destin.
I.1 A la découverte de soi-même
Le seuil de la forêt représente une frontière que l’on ne franchit pas impunément et qui interdit tout retour en arrière. En franchissant ce seuil, l’homme se retrouve à l’orée de son destin.
En effet, il s’agit là d’un passage matériel. C’est un territoire à part et quiconque passe de l’un à l’autre se trouve matériellement et spirituellement dans une situation spéciale : il flotte entre deux mondes. Plus précisément, il est en « attente ». En effet, les rites d’initiation comportent en général trois étapes : séparation, attente, intégration. C’est aussi le genre de schéma que l’on rencontre dans un grand nombre de contes.
L’initiation débute souvent par une rupture : séparation d’avec la mère et du groupe social, mais celle-ci se fait parfois de manière assez brutale. De même, l’arrivée dans la forêt du héros n’est en général pas voulue. La forêt a toujours été vue comme néfaste. Assimilée à la nuit, elle menace la vie de l’être socialisé. Et pourtant, elle est toute en nuances. Elle brouille les oppositions évoquant la parenté entre les ténèbres et la lumière, le corps et l’âme...
Nous voyons les principes d’identité et de concordance s’évanouir en forêt. Le profane devient sacré, le hors-la-loi devient défenseur de la justice, la ligne droite devient cercle... Quelle que soit la loi (politique, religieuse, psychologique) ou même la logique, la forêt la déstabilise... D’où l’attente (ou marge), où le héros se trouve en période de transition, il a perdu son identité pour une autre qu’il n’a pas encore acquise. Il régresse presque. Tout ce qu’il a appris dans le monde « civilisé » ne lui sert plus. Il se retrouve face à lui-même, il doit s’adapter, changer.
Mais les héros et héroïnes des contes ne sont pas seuls dans leur quête. En effet, des personnages-clés sont souvent sur leur passage. Le bûcheron ou la vieille femme en sont les principaux représentants. Ils sont là pour guider le voyageur et annoncer les prochaines étapes de leur périple. Ces esprits représentent l’étape de transition entre la nature brute qui n’est pas socialisée (la forêt) et l’individu « initiable ».
Ces rencontres avec les personnages des bois préparent les héros aux épreuves qui les attendent. Ils les préparent aussi à leur future intégration à la société.
I.2 Un dédale d’épreuves
Dans les initiations de puberté, pour avoir le droit d’être admis parmi les adultes, l’adolescent doit affronter une série d’épreuves. C’est grâce à ces rites et aux révélations qu’ils comportent que l’individu sera reconnu comme un membre responsable de la société.
A la fin de ces épreuves, le néophyte jouit d’une tout autre existence qu’avant l’initiation : il est devenu un autre.
Dans les contes, les épreuves peuvent prendre différentes formes, mais la plus fréquente reste la rencontre avec des bêtes sauvages et/ou des êtres fantastiques. On peut reconnaître l’ogre du Petit Poucet, mais aussi les nains de Blanche Neige, les elfes, les lutins, les fées. Tous ne sont pas dangereux.
Celui qui réussira, c’est celui qui saura faire alliance avec elles ou qui saura les détruire, car il s’agit au cours de cette traversée d’acquérir leurs facultés et leurs pouvoirs. Ainsi, le Petit poucet parviendra à emprunter les bottes de sept lieux de l’ogre pour pouvoir prévenir la cour. Non seulement elles lui permettent de s’en sortir, mais grâce aux bottes il devient le messager exclusif et préféré de la cour.
Le but du voyage n’est donc pas, on le voit, la forêt elle-même, mais son au-delà, on ne fait que la traverser. Une chose se profile toujours à la sortie de la forêt : la liberté, la liberté de devenir ce que l’on a envie d’être, liberté d’une vie en correspondance avec ses envies et ses capacités.
II. La cosmogonie de l’être
Le moment central de toute initiation est représenté par la cérémonie qui symbolise la mort du néophyte et son retour parmi les vivants. « C’était un silence affreux : l’image de la mort s’y présentait partout [dans la forêt], et ce n’étaient que des corps étendus d’hommes et d’animaux qui paraissaient morts » (La belle au bois dormant).
II.1 Le héros et la mort
L’initiation implique une expérience existentielle et la mort devient la condition sine qua non de toute « réviviscence » spirituelle et de ce fait, de la survie de l’âme humaine. La mort initiatique signifie à la fois la fin d’un être et le passage à un autre, elle fait donc partie intégrante du processus par lequel on devient un autre, un être transformé, « véritable ». En effet, dans beaucoup de contes, le héros doit faire face à la mort.
Dans le Petit Poucet, ses frères et lui-même échappent à la mort que l’ogre avait orchestrée, le Petit Chaperon Rouge en vient à être mangée par le loup, Blanche Neige « meurt » plusieurs fois et est sauvée à chaque fois par les nains, jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus rien pour elle après qu’elle ait goûté la pomme et la Belle au Bois Dormant se retrouve dans un sommeil symbolique, avoisinant la mort.
Toutes ces images expriment plutôt la régression à un état pré-formel. Ces images et symboles de la mort rituelle indiquent déjà qu’une nouvelle vie est en train de se préparer. La mort rituelle aboutit finalement à la victoire sur la peur de la mort réelle ; de ce fait, la mort de l’être ancien qu’était le héros est mieux perçue et la mort réelle apprivoisée.
II.2 Sa renaissance
« Alors, comme la fin de l’enchantement était venue, la princesse s’éveilla [...]. » (La belle au bois dormant). Le néophyte revient à la vie un homme nouveau, assumant un autre mode d’être. La mort initiatique signifie à la fois la fin de l’enfance, de l’ignorance et de la condition profane. Toute répétition rituelle de la cosmogonie est précédée par une régression symbolique au « chaos ». Afin de pouvoir être créée de nouveau, le vieux monde doit être anéanti.
Autrement dit, les identités antérieures des héros des contes doivent disparaître. Ainsi, les héroïnes qui se réveillent d’un long sommeil, ne sont plus des jeunes filles, mais sont prêtent à commencer leur vie de femmes. En effet, elles s’éveillent auprès d’un prince qu’elles épousent « sur le champ ». Nous avons déjà expliqué en quoi la forêt pouvait être le symbole de la Mère Nature. En tant que telle, elle peut aussi être considérée comme l’initiatrice de la jeune fille à sa vie de femme, par le biais des épreuves qu’elle fait passer au héros.
Le rapport est complexe : en effet, le sang que verse le héros lors des épreuves fomentées par la forêt est à mettre en relation avec les premières menstrues de la jeune fille ; il fait ainsi grandir sa promise, et la prépare inconsciemment à sa future vie de femme (qu’il partagera évidemment).
C’est pourquoi une grande partie des contes se terminent par la formule consacrée "Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants", la jeune fille étant effectivement capable de concevoir à travers les blessures de son amant.
III. Une métamorphose
La forêt semble le passage obligé pour tous les « initiés » garçons ou filles. Mais ils n’ont pas la même façon de l’approcher. L’homme la traverse, s’y perd parfois, mais son but est d’en sortir le plus rapidement possible. La femme, le plus souvent, s’y réfugie, de gré ou de force. De plus, les rites d’initiation qui s’ensuivent sont eux aussi différents. Ils sont notamment moins élaborés et souvent individuels pour les jeunes filles.
III.1 Tu seras chevalier, mon fils
Les jeunes héros qui se retrouvent dans la forêt n’y arrivent pas de leur plein gré, ils subissent, en général, la volonté de quelqu’un d’autre. Ainsi, le Petit Poucet se retrouve-t-il abandonné dans la forêt avec ses frères, et les douze frères, du conte du même nom, sont obligés de se réfugier dans la forêt car leur père menace de les tuer si la reine met au monde une fille. Ils y resteront dix ans.
De ce fait, l’épopée des héros masculins des contes ressemble à une préparation pour une quête future. Tel Lancelot du Lac, qui a été enlevé dans sa petite enfance par la fée Viviane, Dame du lac. Elle l’élève dans la forêt de Brocéliande, fait de lui un parfait chevalier puis le mène au roi Arthur pour qu’il l’adoube. Les héros des contes doivent acquérir certaines qualités et une certaine force pour pouvoir sortir de la forêt et espérer un meilleur statut.
Il s’agit pour le garçon d’acquérir des forces et des pouvoirs auprès des habitants de la forêt, hommes et bêtes, qui lui permettront d’affronter la mort et de la vaincre quand il passe de l’autre coté.
III.2 Accepter son destin de femme
Si les jeunes femmes se retrouvent au fin fond de la forêt, c’est que souvent elle est sur leur chemin ou alors c’est parce qu’on les a chassées (Blanche Neige fut chassée de chez elle par sa belle-mère).
Dans la plupart des cas, la jeune femme des contes est rejetée dans sa jeunesse et repoussée dans la forêt où elle apprendra tant bien que mal à maîtriser son destin de femme.
La jeune fille a conscience de son rejet de la société. En dehors du rôle d’épouse qu’on veut lui faire jouer, elle n’a aucune place. Ce monde n’est pas fait pour elle. Le séjour dans la forêt est le maillon d’un ensemble : la transmission d’un authentique savoir féminin. La jeune femme, une fois repartie (car elle repartira), saura exactement comment se conduire seule.
L’initiation lui permet à la fois une intégration sociale harmonieuse et une réalisation personnelle. Mais beaucoup de contes dissocient les deux. Il faut choisir entre mariage et liberté. Il semble que son séjour dans la forêt rende la femme plus docile ou du moins, la réconcilie avec son « état » de femme.
Ainsi, les héroïnes retrouveront la société qu’elles ont fui et en même temps un autre statut beaucoup plus valorisant. La forêt joue ici un rôle de mère et assume également un rôle éducateur et pédagogique auprès de la jeune fille perdue.
Conclusion
Dans la forêt des contes, l’ordre des choses en tant que tel n’est pas encore établi, l’ordre humain et encore à naître, reste à trouver. Les enfants grandissent généralement au cours de leur aventure en forêt. C’est le passage dans la forêt qui va révéler aux êtres les grands traits de leur destin. La forêt, à l’origine représentation du chaos, devient bénéfique pour ceux qui parviennent à la dompter et destructrice pour ceux qui échouent, quoi qu’il en soit, c’est le prélude d’un monde nouveau.
Ainsi le pouvoir des contes se résume souvent dans cette façon mystérieuse dont il nous propose une conduite pour affronter la réalité sociale.
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