• Que nous apprend la mort ?

    La mort oblige l’homme à concevoir sa fin dans l’existence, tant sur un plan physique que moral, ce qui implique donc non seulement la conception rationnelle des causes qui peuvent conduire un organisme à ne plus pouvoir vivre, mais en outre l’appréhension morale des raisons pour lesquelles la vie consciente cesse (pourquoi mourir ?) et de l’état de négation ultime du soi (comment se représenter le fait de ne plus pouvoir être ?). En ce sens, il semble que la mort physique abolit tout discours, qu’il n’est pas possible d’en parler parce que la vivre signifie ne plus être. La mort ne pourrait donc rien nous apprendre puisque nous ne pourrions la vivre. Toutefois, tant au plan de ses causes physiques qu’au plan de ses raisons morales, la mort reste concevable. Elle est la représentation négative de la fin de la vie, c’est-à-dire la représentation de ce qui peut détruire l’équilibre physiologique, et de la fin de tout ce qui fait la valeur d’une existence. En ce sens, la mort semble nous apprendre ce qu’est véritablement la vie, et indirectement qu’il faut vivre et profiter de ce que l’on vit tant qu’il est possible de le vivre. Il y a donc une forme de contradiction entre l’impossibilité de concevoir positivement la mort et la force morale d’une pensée de la mort qui donne tout son sens à ce qui est vécu.

    De prime abord, la mort ne peut nous apprendre que la destruction physique, c’est-à-dire nous apprendre rationnellement que l’équilibre d’une créature corporelle est fragile et peut être détruit par des causes multiples.

    Mais elle nous apprend également notre fragilité morale, puisque le fait de ne plus pouvoir être enseigne la vanité de toute existence qui ne peut compter durer véritablement et ne peut construire de vrais projets d’existence.

    Toutefois, ces apprentissages restent négatifs, c’est-à-dire qu’ils sont le fruit d’hypothèses qui ne se fondent sur aucune connaissance effective. On ne peut donc dire que la mort nous apprend directement et réellement quelque chose, puisque ce n’est que la pensée de la possibilité de la mort qui induit indirectement une réflexion sur la vie.

    Néanmoins, comme la mort n’est vécue que comme une possibilité et non comme une certitude, il apparaît que cette possibilité met en lumière de façon particulière notre condition d’êtres vivants. En effet, en songeant à la mort, nous découvrons la fragilité de ce que l’on fait avant de ne plus pouvoir rien faire.

    Dès lors, si la mort nous apprend au plus haut point que nous sommes vivants et que notre vie a un prix inestimable, c’est parce qu’elle nous apprend à la fois la prudence et l’urgence de la vie.

    Par conséquent, la perspective de la mort nous engage à profiter du jour présent, et à ne pas fonder l’ensemble de notre existence sur des espoirs dont nous ne sommes pas sûrs : la mort nous apprend à être en paix avec le temps.

    En outre, cette possibilité de concevoir la mort nous permet de dépasser une forme d’égoïsme animal. Il serait faux en ce sens de comprendre la pensée de la mort comme un enseignement hédoniste pur, qui replie l’individu sur lui-même.

    En effet, en se comprenant comme futur mort, notamment par la vision de ceux qui meurent autour de lui, l’homme prend conscience de son appartenance à une humanité qui meurt ponctuelle, mais se renouvelle sans cesse dans la figure des autres.

    L’homme parvient ainsi à renoncer à soi-même, et à ne jamais mourir que dans une enveloppe charnelle qui est toujours déjà dépassée par une existence universelle de l’humanité dans laquelle l’individu existera toujours puisqu’il participe à son évolution.


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