• Dans les sociétés traditionnelles, l’éducation était conférée par la voie de l’initiation, dont la forme se transmettait de génération en génération. L’initiation intervenait aux époques importantes de la vie de l’individu, celles auxquelles se produisent les changements d’états, par mutations.

    Dans les sociétés modernes, tandis que les facultés conscientes ont été progressivement maîtrisées, le fossé s’est élargi entre la part consciente et l’autre part, dite inconsciente de l’être, au point que chaque individu dans la société moderne est un fragment d’homme qui n’a plus accès à toutes les régions de sa personne. L’homme moderne a intérêt à retourner à des valeurs traditionnelles d’ordre spirituel. Dans cette optique la connaissance vécues es voies initiatiques revêt une grande importance.

    L’initiation contribue à la spiritualisation en faisant prendre conscience, par expérience vécue, de la réalité de l’être.

    L’initiation est essentiellement un « passage ». L’initié « passe » d’un état à un autre état; il meurt à une vie pour renaître à une autre, selon une nouvelle naissance qui n”est pas réitération de la naissance naturelle de l’individu, mais réitération de l’émergence dans le conscient, qui est naissance selon l’esprit.

    L’initiation est un acte de création. L’initié est conduit à découvrir les potentialités qu’il porte en lui et à les actualiser en les amenant au niveau de la conscience. L’acte créateur consiste à mettre en forme ce qui était informulé.

    L’initiation place sur le chemin, celui qui cherche, parce qu’il pressent. L’initié doit découvrir par ses propres moyens, car seul il peut pénétrer dans son âme; nul ne peut l’y accompagner : tel est le sens du « secret » initiatique.
    Par l’initiation rituelle, l’ « initiable » est placé sur le chemin et devient l’ « initié ».

    Toutefois le terme « initié » répond à deux acceptions. Selon la première, l’initié est celui qui a été « créé, consacré et reçu » au cours d’un cérémonial rituel d’initiation. Selon la seconde acception; l’initié est celui qui a réussi à « passer » réellement d’un état à un autre, qui s’est transformé et qui vit des expériences nouvelles qu’il ressent personnellement.

    Le cérémonial rituel initiatique est donc un moyen tandis que l’expérience de l’éveil et de la transformation de l’être est le but. Il s’écoule un temps, court ou long selon les individus, entre le « passage » rituel et le « passage » réel. Quoi qu’il en soit, on ne peut jamais enseigner que le passage rituel.

    Rites et rituels

    Il s’agit d’aborder le rite initiatique en tant qu ’un enseignement de vie, dont l’aspect formel s’appuie sur des concepts symboliques.

    Les rites initiatiques imitent, répètent, réactualisent, recréent.

    Les rites imitent des modèles mythiques, exemplaires. Ils répètent symboliquement les actes de la création et, de ce fait, ils recréent. Ils réactualisent un moment mythique. Part le rituel, ils racontent les aventures des héros mythiques et réitèrent leurs actes.

    Il est important de noter que les rites traditionnels ne sont pas des commémorations d’évènements historiques. Le rituel ne consacre pas une fête anniversaire. Cela signifie que l’acte primordial est accompli dans le temps présent de l’initié.

    Le rite initiatique convie à réaliser un état nouveau et suggère un mode de vie qui conduit au perfectionnement de soi. Il est donc fondé sur le concept de la perfectibilité de l’être humain; à cet effet il véhicule des connaissances et des pratiques appropriées.

    L’état nouveau proposé par le rite initiatique est caractérisé, en particulier, par le fait que les oppositions au sein de la conscience sont réduites et même abolies. Tels éléments qui s’opposaient l’un à l’autre en s’excluant apparaissent comme complémentaires, formant les parties d’un tout. L’état nouveau place l’initié sur un autre plan au niveau duquel il transcende les contraires et résoud les ambivalences. Ces résultats peuvent être acquis tant par des groupes humains pris dans leur ensemble que par des individus isolés. Dans un cas comme dans l’autre, ces résultats contribuent à la création de l’harmonie et à l’établissement d’un équilibre durable.

    Le rite initiatique contribue également à réduire le fossé qui sépare l’état conscient de l’état inconscient et conduit à « réunifier l’individu avec la terre maternelle ». Il conduit à la solution de conflits internes, à la réconciliation avec soi même; il exerce de ce fait un pouvoir de régénération.

    Enfin une caractéristique fréquente des rites est qu’ils sont violents; ils contiennent des images d’épreuves, de combats, de mort, de vengeance. Cela peut paraître contradictoire avec le but à atteindre qui est la spiritualisation. Cette violence est nécessaire pour déclencher les processus psychologiques.

    Le rite initiatique qui fait appel à un support mythique, ne peut jamais être interprété à la lettre. Le but du rite initiatique est de conduire à l’interprétation correcte par la voie symbolique.

    Le lieu sacré

    Le lieu où va s’accomplir l’initiation peut être la forêt, la brousse ou un local clos. Le choix du lieu fixe le « centre ».

    Le terme « centre » ne peut pas être compris dans le sens d’un point géométrique. Le centre symbolique est déterminé par transposition analogique en passant sur un autre plan que celui de la géométrie.

    Sur le plan initiatique, le centre est « centre du monde » tant du microcosme que du macrocosme. Il est « centre du monde » tant pour l »individu que pour le groupe auquel il est associé ou pour le cosmos.

    Le temps sacré

    L’acte mythique se produit hors du temps historique contrairement à notre existence quotidienne qui est un écoulement continu et irréversible, dans le temps de l’histoire. Tout acte situé dans le temps mythique est réitérable.

    Lorsqu’il se produit, il a le même sens que s’il se produisait pour la première fois. C’est en quelque sorte le même acte, d’où l’expression de temps cyclique par opposition au temps profane qui est irréversible.

    Lorsque par un rituel initiatique, on raconte un mythe ou on joue le rôle d’un héros mythique, on réactualise un temps sacré. On dit alors que les personnages tant initiants qu’initiés « sortent du temps » ou encore que le rituel les « projette hors du temps ».

    Le rituel initiatique abolit le temps profane et ouvre la voie au « temps sacré », également dénommé « le Grand Temps ».

    Ce passage d’un monde à l’autre est une opération difficile. C’est d’ailleurs le but de l’instruction initiatique d’aider le candidat à réussir ce passage.

    L’initiation aide l’initié à concevoir le retour dans le monde autre afin de se « délivrer » des illusions, de se « libérer » des contradictions de sa nature, d’abolir le temps en le transcendant. Le voie initiatique suivie pour atteindre ce but est le « voie royale » et la pratique des techniques qui y conduisent, l’ « Art Royal ».

    La rupture de niveaux est accompagnée de signes d’alerte dans les récits mythiques et dans les rituels initiatiques. Des expressions telles que « Au commencement » ou « en ce temps là » (chez les Celtes « il était une fois et il n’était pas ») sont des signes d’alerte qui avertissent qu’il convient de changer le sens du langage, de passer du langage profane avec sa logique propre au langage symbolique avec ses lois et ses règles.

    L’initiation rituelle cherche à modifier la totalité de la personne du candidat. En con séquence le rituel initiatique agit non seulement sur les facultés mentales et affectives mais aussi sur la partie physique de l’être, en particulier sur le corps. A cet effet l’initié est convié à adopter certaines postures du corps, des membres et des doigts, à s’exprimer physiquement par des « signes » ainsi qu’à « marcher » ou à « danser » d’une façon particulière dans l’enceinte sacrée.

    Mots et gestes

    Le candidat qui se présente à l’initiation reçoit communication de mots sacrés et de mots de passe, « mots sacrés » parce qu’il les reçoit dans une enceinte sacrée et « mots de passe » parce que l’initiation et un passage et que le mot communiqué agit comme une clef.

    Nommer, c’est créer. L’univers n’a de sens que dans la mesure où l’homme le conçoit. Or, dès qu’il le conçoit, il le nomme. Avant cet acte de «nommer, tout est « informulé », « néant », « chaos », « abîmes ».

    Il en va de même du « mot sacré » qui est plus que le mot dont on cherche des significations explicites.


    votre commentaire
  •  

     

    L'intraitable

    En dépit du discours sur la mort qui abonde depuis l'apparition de l'écriture, l'image reste le mode d'expression le plus dense et le plus direct de l'homme devant le mystère du passage, car la mort a quelque chose d'indicible. Si elle est une évidence de fait, la mort reste toujours un scandale éveillant chez ceux qui en sont les témoins curiosité et horreur mais aussi incompréhension. Comment alors représenter, « signifier » ce qui par nature échappe au sens ? Le caractère déconcertant et même vertigineux de la mort tient à cette contradiction : c'est d'une part un phénomène accidentel qui a des dimensions métaphysiques, infinies ou mieux, pas de dimension du tout, d'autre part un événement familier, naturel. Puisque la mort est à la fois une abstraction et une réalité empirique, l'analyse de son traitement artistique doit prendre en compte différents types d'image : il s'agit tantôt de véritables morts, d'individus singuliers et donc d'art ou de fonction funéraire ; tantôt d'images de morts plus ou moins imaginés qui sont à considérer en tant que motifs picturaux (l'image est alors pure représentation et non acte) ; enfin, il est aussi question de figures de la mort, plus ou moins allégorisée.

    Au-delà de la représentation : l'art funéraire

    Les représentations de la mort ou plutôt de morts trouvent leur origine dans l'art funéraire. Les tombeaux et cimetières de l'Antiquité sont marqués de peintures, de sculptures et d'inscriptions. Pour perpétuer les traits des Pharaons, les Egyptiens développèrent la pratique des masques mortuaires placés sur les sarcophages. On peut en voir une variante plus moderne dans les Portraits du Fayoum exécutés par des artistes grecs et romains du Ier au IVè siècle de notre ère ; ils représentaient le mort au cours des funérailles. Mais si l'art funéraire a pour but de préserver la mémoire du mort, de "l'immortaliser", il doit aussi parfois accompagner le mort dans l'au-delà et donc être essentiellement éphémère, à l'image des représentations en papier brûlées avec le défunt.

    Danse macabre

    A partir du onzième siècle, en Europe, pour les tombeaux de personnes importantes, on représente la forme corporelle du mort, révélant moins la ressemblance physique que l'idée du personnage. Ce sont les gisants. Derrière les apparences, ces personnages ne sont en fait ni morts, ni vivants, mais, bienheureux, ils reposent . La mort n'apparaît donc pas de manière choquante. Progressivement les sculptures sont de moins en moins idéalisées et de plus en plus individualisées. Dans la sculpture des tombeaux du quatorzième siècle apparaissent les transis, des cadavres en voie de déliquescence, qui mettent l'accent sur la réalité matérielle de la mort. Il ne s'agit plus de représenter une image du vivant, encore moins un état idéal du défunt, mais bien de montrer ce qu'est un mort. Du XIIIè au XVè siècle, on assiste ainsi à une invasion du thème macabre dans les représentations de la mort : on passe d'une mort acceptée , au sein d'un parcours chrétien attendu, à une mort redoutée, qui n'est plus que le couperet qui nous sépare à jamais de ce monde. Les triomphes de la mort figurent la mort comme une faucheuse qui écrase les vivants sans qu'ils s'en doutent. La plupart des historiens interprètent une iconographie aussi radicale comme une manifestation de la peur des pestes.

    Le silence

    Si l'art funéraire rassemble des représentations hétéroclites de morts, il comprend aussi des monuments uniquement commémoratifs : stèles, cénotaphes (étymologiquement, tombeaux vides). La mort est en effet un sujet tout autant iconoclaste qu'iconophile. Il en est de même dans les autres arts : la mort d'une personne a donné lieu à bien des oeuvres de douleur et de deuil (épitaphes, consolation, déploration, "tombeau", chant de mort, marche funèbre...) mais elle requiert aussi une certaine retenue et peut bloquer l'inspiration artistique ; ainsi Mallarmé a-t-il essayé en vain d'écrire un tombeau sur la mort de son petit garçon ; s'il a écrit "Demain dès l'aube ...", Victor Hugo, dans Les Contemplations, figure la mort de sa fille par une page blanche ; et ce n'est qu'au dernier vers du Dormeur du val que Rimbaud, avec une froide indifférence, dévoile au lecteur que le sommeil en apparence tranquille du soldat est le sommeil d'un mort.

    Conclusion

    Que devient-on lorsqu'on meurt ? Une question qu'un jour ou l'autre on se pose. Lorsqu'on est jeune, on se croît immortel, on pense que la mort, ne concerne que les autres. Et puis un jour, un événement vient perturber cette vision peut-être utopique de la vie : un de nos proches meurt et en cet instant de deuil, porté par le sentiment d'injustice et de refus, notre esprit nous harasse avec cette question : qu'est-ce qu'il y a, après la mort ? D'ailleurs, de manière générale, plus cet événement survient tôt, et, plus la personne décédée est proche, plus l'esprit est tourmenté. Il peut devenir impossible de faire son deuil. Chez certaines personnes, cette question devient même obsessionnelle. Suivant les courants de pensées, suivant les religions, et suivant les personnes, le devenir de l'être après la mort est différent. Mais globalement, tous s'accordent à dire que la mort n'est pas une finalité, mais une étape. Même les plus agnostiques et athées d'entre nous se surprennent à dire lorsque nous parlons de notre prochaine mort à un proche, que nous serons toujours auprès de lui.

    D'où vient cette certitude qu'après la mort vient la vie (ou une forme de vie) ? Peut être parce que nous ne n'arrivons pas à nous faire à l'idée que tous les efforts que nous pouvons rassembler pour construire quelque chose tout au long de notre vie, un jour, viennent à disparaître aussi brutalement. Les différentes religions parlent de la survie de l'âme après la mort, certains croient en la résurrection, à la réincarnation, d'autres plus terre-à-terre parlent de forme de conscience qui subsiste, dans le coeur de chacun, ou bien dans les édifices que chacun a pu construire. Que croire alors ? L'important n'est pas de se focaliser sur une doctrine et d'en faire un fait établi. Personne n'est jamais revenu de la mort, toutes les explications sont donc possibles. Le mieux, c'est de se laisser porter par ses convictions et d'en faire une force pour traverser les différentes épreuves qui nous attendent. La mort ne doit pas être un obstacle à notre vie. Le seul conseil que je pourrais vous donner va de soi, mais est pourtant d'une profondeur incommensurable: vivez, tout simplement !


    votre commentaire

  • La prière s'accomplit en parole et en action. Il y a plusieurs aspects de la prière :

    - La prière comme action de grâce, hommage rendu à la divinité ;

    - La prière comme acte magique ;

    - La prière comme outil spirituel (mantra, Japa).

    Le premier de ces aspects suppose la Foi, réelle ou simulée. A l'exception du second cas où la prière est un acte social et prend son sens dans une collectivité, elle est la marque d'une croyance religieuse. Prier, c'est rendre hommage au Divin. Sous son aspect mystique, c'est la Bhakti des indiens ou la voie cardiaque occidentale. C'est l'Amour désintéressé qui amène l'individu à s'oublier, à se fondre dans le divin. En s'adressant aux Dieux, en leur rendant hommage, l'Orant s'oublie, mais aussi se désigne lui même et par là, il permet le passage en retour de l'énergie divine. Il n'y a pas dans ce premier cas de volonté opérative, elle n'engendre pas d'effets sur le monde. Elle est un élan du coeur et, comme telle, est susceptible de mobiliser les énergies de l'individu, si elle n'est pas vécue "du bout des lèvres". La prière peut aussi être entendue comme une tentative de séduction de la divinité, comparable au sacrifice, fonction unificatrice ou hiérogamique. " Le souffle qui sort de la bouche de l'homme lors de la prière est comme un sacrifice, une odeur apaisante et il est le diadème du Saint béni soit-Il, qu'il soit béni et exalté et ce souffle chemine et nourrit les puissances du Cosmos ".

    Sous son second aspect, la prière devient un acte magique ou théurgique. Opérative, elle entend provoquer une action du divin sur le Monde. Le type d'action envisagé ici est une action amplificatrice : " l'accroissement de l'épanchement ontologique provoqué par la prière dans le monde de l'émanation ". En rendant un culte à son Dieu, l'homme travaille pour lui, augmente sa puissance, le nourrit d'un surcroît d'être. Il y a identification de la volonté de l'homme avec la volonté divine et la première tire sa puissance de la seconde.

    La prière sous son aspect magique agit par analogie. Les mots, les noms de pouvoir sont censés être efficaces parce que symboliquement rattachés à un événement mythique ou à un attribut du Divin. L'occultisme du dix-neuvième siècle y voit une volition définie, étayée sur un emblème qui la confirme. La correspondance symbolique constitue la clef de voûte de la magie cérémonielle. C'est la Volonté (la pensée dirigée) de l'homme, unie à la source de toute volonté (Binah), qui rend la prière efficace. De même, la récitation de versets sacrés, l'évocation de noms divins s'accompagnent de gestes ou d'attitudes corporelles précises.

    " Proférer un Nom c'est créer ou appeler un être. Dans le Nom est contenue la doctrine verbale ou spirituelle de l'être même. Le Verbe de chacun est une imprécation ou une prière habituelle "

    Il n'est d'ailleurs pas nécessaire que le sens de la prière soit connu de celui qui l'utilise. La formule magique est parfois d'autant plus opérante que les mots ou gestes utilisés sont étranges. En raison de son objectif pratique, matérialiste, cette forme de prière n'implique pas nécessairement un souci spirituel, tout au plus s'agit-il d'une intercession auprès des forces spirituelles dont l'officiant peut tirer bénéfice. Elle se contente de la Foi, de la superstition ou dans le meilleur des cas d'une connaissance approfondie des symboles. L'oraison magique entend créer les circonstances favorables à la manifestation des forces d'un autre plan. Elle suppose la croyance en l'efficacité du Verbe en tant que principe créateur. Autrement dit, en nommant les choses, l'Homme les crée ; en nommant les Dieux, l'Homme crée un lien qui les unit à lui.

    Sous son troisième aspect, la prière est technique spirituelle. Il s'agit en priant de provoquer en soi une modification de ses états de conscience. Plusieurs techniques sont possibles basées sur des postulats différents :

    - La répétition qui engendre la cessation des fluctuations du mental, par un assoupissement de la pensée (Mantra ou Japa).

    - La vocalisation ou le chant qui engendrent des effets de transe soit à cause de la nature même du son, soit par le rythme, soit encore par les effets mécaniques (respiration, mouvements, vibrations, harmoniques) liés à la prière.

    La prière est alors un outil spirituel qui n'implique pas nécessairement un acte de foi. Il est fort possible d'obtenir des effets en utilisant certaines de ces techniques, même sans adhérer à leur culture religieuse de base. Ainsi la répétition de sons de voyelles, l'usage des mantras orientaux, la récitation de sons psalmodiés ou chantés (litanies, chant grégorien, sons soufis) peuvent être utilisés avec profit par un occidental. L'efficacité de ces techniques est liée soit à l'effet "hypnotique" de la répétition, soit aux effets induits par la nature vibratoire des sons émis, auxquels peuvent être liées des attitudes corporelles; des préparations et des exercices. Cela implique dans le premier cas une ascèse de forme particulière qui consiste à répéter un grand nombre de fois une formule particulière, dans une situation type. En occupant l'espace mental, cette répétition induit un phénomène de mise en phase, de transe, mis à profit pour accéder à des états modifiés de conscience. Certains groupements, sur le modèle oriental, utilisent cette technique avec plus ou moins de bonheur en complément d'autres techniques de "conditionnement " pour amener leurs adeptes dans un état proche de l'hypnose : absence de volonté propre, limitation de la raison critique. Dans le second cas, on suppose que chaque son est une vibration de nature particulière aux effets propres. L'efficacité réside alors dans la qualité vibratoire du son émis. On trouve des notions similaires dans le mantra, dans la prononciation de noms divins, dans le chant sacré. La maîtrise de ces techniques suppose une transmission initiatique, un apprentissage. Cela pourrait également être rapproché de ce que les yogis appellent le Pranayama (ou maîtrise du souffle et de prana) dans la mesure où le souffle est l'énergie animatrice de la vibration sonore.

    La prière est donc une technique spirituelle qui s'adresse aux Dieux dans le sens le plus large. Que l'on s'adresse à un Dieu extérieur ou à la divinité en Soi, la prière sera acte d'imploration, de demande, d'exigence, de reconnaissance et de grâce, théurgie ou technique de méditation. L'oeuvre diffère en fonction des objectifs culturels ou individuels, mais l'outil reste le même. Seul le résultat sera différent.


    votre commentaire

  • On sait que beaucoup de peuples ont, à un certain stade de leur histoire, pratiqué le sacrifice humain, qui consiste à faire mourir une ou plusieurs personnes pour en retirer un bénéfice.

    C'est César qui nous explique que les Gaulois brûlaient rituellement un certain nombre d'hommes au solstice d'été. Les Phéniciens (y compris les Carthaginois) sacrifiaient surtout leurs enfants mâles, brûlés vifs pour satisfaire le Dieu Baal et obtenir ses faveurs. Les Hébreux, y compris leurs rois, ont très souvent suivi leurs voisins phéniciens, donc adoré de la même atroce façon Baal, mais aussi sacrifié leurs enfants pour se concilier Yahwé. Et ce, malgré les interdictions et les imprécations répétées de leurs prophètes : "C'est l'amour que je veux, non le sacrifice ; la connaissance de Dieu, non les holocaustes" (Osée, VI, 6). De même, bien que Zoroastre ait aboli les sacrifices humains, et alors que les Perses Achéménides avaient adopté sa religion, la reine Amestris, épouse de Xerxès, a fait enterrer vivants 12 hommes pour se concilier le monde souterrain. Avant leur conversion au Christianisme sous Vladimir le grand (dixième siècle de notre ère), les Russes sacrifiaient régulièrement au dieu Péroun des personnes tirées au sort parmi la population. Les anciens  Egyptiens sacrifiaient chaque jour, d'après l'historien Manéthon, trois hommes, jusqu'à ce que le Pharaon Amasis (569-539) les fît remplacer par trois statues de cire. En Inde, le sacrifice humain a pris de multiples formes, la plus connue étant l'immolation, en principe volontaire, des veuves sur le bûcher funéraire de leurs maris (et cette coutume semble aujourd'hui renaître, si l'on ose dire, de ses cendres). Enfin, à partir de 1995, l'organisation dite "le Temple solaire" a sacrifié plusieurs dizaines de personnes en Suisse, en France et au Canada. Etc.


    Les champions incontestés des sacrifices humains ont été les Aztèques, avant la conquête espagnole. Les estimations du nombre de sacrifiés tournent autour de cinquante mille par an. Lors de certains jours de fête, on tuait jusqu'à vingt mille hommes. Les conquistadores espagnols ont pu dénombrer cent-trente-six mille têtes coupées en un seul endroit. Et ces chiffres ne prennent pas en compte les morts au combat, car c'était la guerre qui fournissait le gros des sacrifiés. Quand les guerres extérieures ne suffisaient pas, on organisait parfois des guerres civiles sans autre enjeu que le sang à verser sur les pyramides.

    En ce temps-là, les dieux venaient de créer le monde. Mais, ce monde, plongé dans le chaos et les ténèbres, n'était pas satisfaisant. Les dieux se réunirent alors, et réfléchirent à la façon d'éclairer le monde. Ils décidèrent que deux d'entre eux devaient en être chargés, et pour cela se jeter d'eux-mêmes dans un brasier. Qui serait volontaire ? "Moi, dit Tecuciztecatl, je me jetterai dans le feu pour éclairer le monde..." Mais il en fallait un autre, et personne ne se décidait. Alors, on désigna d'office Nanauatzin, un dieu petit, difforme et couvert de pustules, qui depuis le début écoutait timidement les autres, sans jamais oser prendre la parole. Or, il se réjouit de cette mission et l'accepta avec empressement.

    On prépara le rite pendant quatre jours. Un énorme brasier fut alors allumé. Le moment fatidique arriva. "Tecuciztecatl, ordonnèrent les autres, jette-toi dans le feu !" Le volontaire s'avança, mais la chaleur infernale le fit reculer une première fois, puis une deuxième fois... après sa quatrième tentative, toujours vaine, les autres estimèrent qu'il ne serait pas convenable d'essayer davantage, et le malheureux regagna honteusement sa place. "Nanauatzin, jette-toi dans le feu !" Nanauatzin prit son élan, ferma les yeux, et d'un bond gagna le milieu du feu où ses chairs se mirent aussitôt à grésiller. Ce que voyant, Tecuciztecatl trouva enfin le courage qui lui manquait, et réussit à faire de même. Son hésitation précédente lui valut de n'être que la lune, tandis que Nanauatzin devenait Tonatiuh, le soleil.

    Le nouvel astre du jour se leva quelques heures plus tard, mais il ne pouvait encore avancer dans le ciel comme il devait. Il lui fallait l'"eau précieuse", l'énergie sacrificielle. Les autres dieux ne se dérobèrent pas à leur devoir. L'un après l'autre, ils allèrent s'offrir au couteau de pierre de Quetzalcoatl, qui leur ouvrit à tous la poitrine pour en extraire le coeur. Et après les dieux, il fallut que les hommes, nouvellement créés, dévouent certains d'entre eux pour faire marcher le soleil... Le mythe initial n'est que le premier élément. Il faut un ensemble de promesses et de menaces à la hauteur des actes exigés et consentis. La menace était claire : si le soleil ne recevait pas sa part de coeurs humains jaillis des poitrines défoncées à vif, il cesserait d'éclairer le monde. Qui oserait proposer un moratoire, au risque d'éteindre le soleil ? Quant à la promesse, c'était tout simplement celle du paradis pour les sacrifiés. Car leurs files d'attentes s'étendaient parfois sur des kilomètres, 
    et tout mouvement de révolte ou de panique aurait gravement perturbé la cérémonie. C'était d'autant plus convainquant que l'au-delà des non-sacrifiés, si vertueux qu'ils aient été, n'avait rien de très excitant.

    Quand à l'événement réel qui a pu être à l'origine du mythe, on ne peut plus que l'imaginer (!),

    L'idée de sacrifier un homme pour en tirer avantage n'est pas en soi autogène. Un sacrifice, au sens le plus large, est le fait de renoncer à quelque chose de précieux pour obtenir autre chose que l'on estime encore plus précieux. Donc même le sacrifice de la vie peut être considéré comme rationnel, pourvu qu'il y ait une contre-partie.


    votre commentaire

  • La transe chamanique serait-elle à l’origine de certaines grandes découvertes de l’humanité ? L’idée paraissait proprement inconcevable du point de vue scientifique, il y a une génération de cela. Et pourtant, elle est devenue en quelques années un enjeu d’importance remettant en question notre paradigme moderne hyper-rationaliste : l’art, l’agriculture, l’écriture, la production du bronze ou d’objets aussi complexes qu’une sarbacane sont-ils apparus à l’esprit humain lors d’une extase de nature spirituelle ou par absorption de plantes psychotropes ?



    Tous les paléontologues sont aujourd’hui d’accord pour dire que l’hominisation a commencé en Afrique il y a cinq millions d’années. Or tout se bouscule dans les derniers 50.000 ans, soit à peine durant un centième de ce processus. A ce moment précis, l’homme prend conscience de certaines limites de son existence. Pour dompter la mort, il va développer quantité de rituels visant à accompagner les défunts dans l’autre monde et ainsi tenter de s’approprier l’éternité. De ce phénomène exceptionnel dans l’histoire de la vie sur Terre, naissent de manière concomitante l’art et la religiosité, d’inspiration chamanique fort probablement.
    Certains auteurs se sont penchés récemment sur cette question avec un regard novateur. Parce qu’ils avaient osé s’immerger dans le monde des esprits dont parlent volontiers les chamans, ils en étaient sortis transformés. Pour eux, suite à des expériences personnelles et subjectives, il devenait urgent de reconsidérer la transe chamanique, cette sorte d’état second que l’on nomme aussi état modifié de conscience, comme un élément central dans le développement humain. Ce serait dans cet état de conscience si particulier, lorsque l’homme se lie avec le monde invisible au-delà de ses cinq sens quotidiens, qu’il recevrait des messages de « l’univers bouillonnant » à l’origine d’inventions décisives pour l’humanité. Cette hypothèse selon laquelle toute grande innovation est issue d’une transe ou d’une extase permettant de recevoir une information-clé en provenance de l’extérieur, a de quoi choquer notre conception occidentale du monde. Elle est pourtant partagée par tous les peuples chamaniques et s’est maintenue bien vivante jusqu’à nos jours…

    Gordon Wasson dans Road of Eleusis (1978) fut le premier à suggérer que les champignons psychotropes ont peut-être joué un rôle déterminant dans l’apparition d’une conscience spirituelle et religieuse. Mais c’est surtout Terrence Mc Kenna dans La nourriture des Dieux (1992) qui en déduira une théorie osée : l’hominisation, c'est-à-dire l’augmentation du volume cérébral et l’acquisition du langage, n’a pu se faire que par l’incorporation répétée de composés psychotropes dans l’alimentation de certains singes. Son objectif est clair, il cherche à revaloriser la transe lorsqu’il écrit notamment : « L’espèce humaine ne perçoit pas l’extase comme un simple plaisir, mais comme une sensation incroyablement intense et complexe, chevillée à notre nature intime et à notre réalité, à nos langages et aux représentations que nous avons de nous-mêmes ».

    Jeremy Narby dans Le Serpent cosmique (1995) reprend en partie ces idées, même si son cheval de bataille est plutôt centré sur l’étude des processus de cognition des chamans amazoniens : les visions réitératives de serpents enlacés pourraient être des informations génétiques décodées intuitivement dans les chamans. Bien que son hypothèse n’ait pas convaincu le monde scientifique, il aura grandement marqué les esprits en valorisant, lui-aussi, le rôle déterminant de la transe dans l’acquisition des savoirs. Voilà qu’enfin on ne cherchait plus à expliquer l’accumulation des connaissances selon l’unique modèle cartésien occidental, mais qu’on se permettait d’envisager d’autres formes de rationalisation ou d’organisation du savoir développées depuis la nuit des temps par d’autres cultures. L’entreprise de déconstruction pouvait continuer…

    David Lewis-Williams et Jean Clottes avec Les chamans de la préhistoire (1996) ont eux aussi bousculé l’establishment. S’inspirant des peintures bushmen dont la continuité dépasse les 10.000 ans jusqu’à nos jours, ils ont avancé que l’art pariétal (de – 35.000  à – 15.000 ans) ne pouvait résulter que de la transe chamanique. Bien au delà de l’aspect esthétique, nos ancêtres cherchaient à communiquer avec les mondes souterrains en figeant leurs visions sur la fine membrane qui les en séparait. Plus surprenant encore, la représentation en deux dimensions n’est pas du tout spontanée chez l’homme, mais une opération mentale hautement complexe et acquise culturellement. L’art et bon nombre des autres techniques de la vie courante se seraient donc développés durant la préhistoire pendant près de 20.000 ans avec un étonnant dynamisme grâce à la pratique assidue de la transe.

    Enfin, l’apparition de l’agriculture est un autre sujet très controversé, car la Mésopotamie n’est plus aujourd’hui considérée comme son seul foyer d’origine. Comment expliquer dans ces conditions l’émergence de l’agriculture en même temps à différents endroits de la planète ? Les chamans nous proposent une autre lecture, loin de la mécanique contrainte d’un hypothétique changement climatique. Pour eux, les plantes sont des « personnes douées de conscience », elles parlent aux hommes lorsqu’ils sont en état de transe et ceux-ci les écoutent…

    Dans notre société actuelle rongée par les drogues chimiques et obnubilée par la chasse aux dérives sectaires, ce genre de remise en question de l’histoire n’est pas la bienvenue. Car la transe a mauvaise presse tout particulièrement en France. Quelqu’un qui a des visions – et des hallucinations ! –  se gardera d’en parler de peur qu’on ne le prenne pour un… malade. C’est oublier que cet état neurophysiologique si méconnu a été de tous temps et en tous lieux attesté, utilisé, voire encouragé, de sorte que les mystiques et les visionnaires faisaient l’objet de considération et de respect…


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique