• Les arbres fétiches


    L’époque de l’occupation romaine de nos contrées paraît sonner le glas des pratiques religieuses qui y prévalaient. Malgré leur grande tolérance à l’égard des religions des pays conquis, les Romains importaient en germe les ferments d’une grande religion monothéiste, donc moins libérale, le christianisme.

    Il est généralement admis que les pratiques religieuses antérieures à l’occupation romaine étaient issues d’un polythéisme centré sur laforêt, sur l’arbre. Comment s’en étonner quand on se souvient que la forêt charbonnière primitive régnait en maîtresse incontournable sur toute la ceinture boréale européenne. Et qu’en l’absence d’outils de défrichage suffisamment performants, il fallait bien s’accomoder de l’ombre omniprésente de ce monde perçu très tôt comme étranger à l’humanité.

    Dans ce contexte, il est évident que les traditions religieuses allaient faire grande place à l’arbre. Les forêts sont peuplées de nains, de trolls, de lutins, d’elfes, tout un monde vivant d’intercesseurs entre les mondes souterrains et les cieux : ils sont les descendants des habitants d’Yggdrasil, l’arbre cosmologique des peuples scandinaves.

    Les Elfes sont particulièrement inféodées aux grands arbres et singulièrement, dans nos contrées , les chênes. Certaines peuvent vivre indépendamment de leur hôte végétal (les Dryades), certaines mourront avec leur hôte, si celui-ci devait être abattu (les Hamadryades). Les rapports complexes entretenus entre les peuplades humaines des clairières chèrement arrachées à l’emprise de la forêt , et les arbres , et l’arbre tutélaire, de justice, ou séjour des morts, sont gérés par des prêtres particuliers : les druides. Ceux-ci orchestrent les us et coutumes qui permettent la cohabitation.

    D’ autres géants, reconnus intercesseurs entre le monde d’en bas et celui des dieux, recevront, en tant qu’arbres de justice, les jugements, les sacrifices consacrés à la forêt nourricière. Bien sûr, la forêt ne fut pas l’unique temple des rites celtiques. Dans d’autres contrées, ce furent des menhirs (Stonehenge, Karnac, et bien d’autres) mais aussi de très nombreux sites de formations naturelles exploités à des fins religieuses.

    La christianisation se faisant, les porteurs de la bonne parole dans nos contrées sauvages eurent à cœur d’effacer les rites anciens. De nombreuses traditions orales traduisent des difficultés rencontrées parfois lorsqu’un arbre sacré fut détruit ou mutilé. L’histoire de nombreux saints martyrs l’atteste à suffisance, celle de Saint Martin, notamment.

    L’assimilation douce " par captation " fut certainement plus productive. Au fur et à mesure du défrichement des terres, il fut aisé pour les autorités religieuses d’associer les arbres sacrés aux nouveaux rites religieux du christianisme. Une chapelle érigée auprès d’un arbre sacré, symbole des anciens rites toujours vivaces, mêlait dans l’esprit du petit peuple les caractéristiques des deux religions en présence. C’est ainsi que tel arbre de la fertilité ou de la guérison était associé à la personnalité de tel ou telle saint(e) "spécialisée" de la nouvelle religion.

    La lente appropriation des arbres (et autres lieux) sacrés par la religion catholique ne fut pas exclusivement faite dans ce sens. Bien des arbres remarquables actuels de nos contrées, objets ou pas de cultes et de croyances populaires diffuses, furent sauvés de la destruction par "appropriation éclésiastique " : le chêne millénaire de Liernu, en Belgique, et certains des dragonniers les plus remarquables de l’île de Ténériffe furent sauvés de la destruction par leur proximité d’une chapelle, d’un cimetière, parfois d’implantation antérieure.

    Les arbres à clous ou à chiffons représentent aujourd’hui une des dernières résurgences de rites antiques progressivement captés par d’autres symboles de la religion catholique. Ils sont aussi remarquables par les missions et rôles curieux que leur ont assigné les hommes.

    Le principe du transfert

    L’existence des arbres à clous ou à loques se base sur une croyance ancienne (druidique ?) : un mal pouvait, sous certaines conditions et rites, être transféré à un autre être vivant. (voire même à un mort). L’être récepteur devait être solide et durable : le transfert fonctionne pour une durée égale à celle de la vie de ce-dernier. On peut supposer aussi qu’il était nécessaire que le récepteur soit aussi peu mobile que possible, pour ne pas venir rendre au pélerin souffrant son cadeau empoisonné. Enfin, certains comportements devaient être respectés : le silence ou des prières psalmodiées, un temps (la nuit), une gestuelle (s’approcher et s’éloigner à reculons, faire le tour de l’arbre, etc...).

    En Belgique, ce sont des arbres longévifs (chênes le plus souvent, mais également tilleuls, marronniers, voire pins), situés le plus souvent un peu à l’écart des agglomérations, qui furent choisis pour cette fonction si particulière. Dans d’autres régions de France notamment (Finistère, Bretagne, Picardie), ce sont le plus souvent des statues de bois de Saints qui reçurent l’insigne honneur d’abriter les peines des pélerins.

    Le transfert lui-même s’effectuait par enfoncement progressif d’un clou (ou épingle pour les socles de statues) ayant touché la partie malade (dent ou furoncle, le plus souvent) : le mal quittait alors aussi progressivement le corps du malade pour occuper celui du récepteur. En d’autres temps et lieux, ce fut la simple action de nouer un chiffon emblématique du mal à la branche d’un buisson quelconque.

    Chez nous également coexiste la coutume d’exhiber, au clou salvateur, loques et objets divers, ayant touché la plaie ou ayant appartenus au malade (dans le cas d’affections plus complexes que le simple mal de dents ou furoncle ?)

    Deux arbres à clous remarquables

    La Belgique est riche encore de quelques arbres à clous remarquables, particulièrement en provinces de Hainaut et de Liège.

     Le chêne à clous d’Herchies Le chêne est situé entre Herchies et Erbaut, Une petite chapelle dédiée à St Antoine jouxte l’arbre L’arbre, recouvert d’oripeaux qui déclinent l’évolution des mœurs vestimentaires, est paré des ex-votos les plus surprenants : petits sacs de plastique contenant mots et textiles douteux, pantalons passés, essuie-mains, mais également chaîne, poupée de plastique et paire de lorgnons...

     Le Robinier de l’Erconpuch Sur l’autoroute Mons-Tournai, prendre la sortie 27. Dans un bois, un vieux robinier mourant, étroitement associé à la Vierge de l’Erconpuch, vénérée dans la chapelle voisine et "spécialisée" dans la guérison des maladies infantiles. Quoiqu’inféodé à la Vierge, l’arbre accueille aussi des suppliques de guérison de femmes faites, comme en attestent certains vêtements (soutien-gorges) ou plâtres de jambes adultes.


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