• Le symbolisme et la cosmogonie malgache

    Dans la société traditionnelle malgache, on retrouve un sens de la famille, basée principalement sur la pérennité du groupe, le respect des aînés et un lien organique avec les ancêtres. Les malgaches ne considèrent pas que les ancêtres soient tout à fait hors du monde des vivants. Ils y sont intégrés et constituent avec le monde visible une société où chaque objet a une signification propre dans un contexte donné, et chaque forme a son sens. L’analyse des représentations spatiales ou temporelles, des figures géométriques, des couleurs et des nombres donne autant d’éléments qui s’insèrent dans un symbolisme que l’on retrouve même au niveau linguistique reflétant ainsi les croyances populaires des malgaches et les relations que ces derniers entretiennent avec le monde invisible.

    Chaque élément trouve sa place dans la cosmogonie malgache. L’air (rivotra, dans les hauts plateaux, tsioky chez les sakalava et tsiko en pays antakarana) peut être, selon son intensité, rafraîchissant ou source d’anéantissement. Pour les malgaches, L’aina (souffle), ou fahinana en pays sakalava, exprime la vie qui quitte - à la mort - le vatana (corps) pour monter dans les Airs afin de rejoindre le monde invisible. Les instruments à vent sont par ailleurs très utilisés dans plusieurs régions de Madagascar pour appeler les ancêtres. Le Feu (afo, motro) dont la fonction principale est d’éclairer et de chauffer sert également à purifier et faire fuir les mauvais esprits. Il est donc présent dans les hauteurs par l’intermédiaire du Soleil et des éclairs et dans les profondeurs où on dit qu’il est le ventre de la Terre. La terre est perçue quant à elle comme une mère qui a la capacité de donner la vie et de nourrir ce qu’elle a enfanté. Dans la mythologie sakalava, elle a la forme d’une femme dont les montagnes (bongo) constituent les seins (nono ) et la glaise le ventre (kibo) qui reçoit des semences par la pluie et le vent. L’eau a une double connotation positive et négative. Opposée au feu et rapprochée de l’air, elle est considérée à la fois comme régénératrice et destructrice. Le « tendrombohitra » (montagne) et l’ « hazo » (arbre) sont deux éléments à forte connotation symbolique qui permettent de relier la terre et le ciel.

    Le Cosmos est donc divisible en deux grandes parties, le monde supérieur/le Haut où règnent l’air et l’eau et le monde inférieur/le Bas où se trouvent la Terre et le Feu. Le terme « Ny tany aman-danitra » (ciel et terre) représente l’univers qui englobe celui des vivants et des morts, le monde de la divinité et celui des humains. Dans la conception traditionnelle malgache, la partie Nord correspond à la partie haute et est, par définition, considérée comme supérieure à la partie basse qui est assimilée au coin Sud. Cette dichotomie - haut/bas - se perpétue encore dans les villages qui se composent généralement de quelques maisons disposées selon une hiérarchie bien ordonnée et codifiée. Les hauteurs, lieux des ancêtres et devenant par la suite celui des souverains témoignent encore l’importance voire l’influence des habitants de ces lieux qui, placés plus haut topographiquement, occupent également une place importante dans la stratification sociale malgache. Un ensemble de représentations s’est organisé autour des pôles de cette dichotomie attirant vers eux des valeurs à la fois cognitives et sociales.

    L’espace habité est également porteur de significations et de symboles qui vont déterminer les comportements et les rapports sociaux. L’aménagement intérieur de l’habitat reflète, parfaitement, ce besoin d’ordonner le monde visible, selon un schéma cosmologique bien précis, en conformité avec le lahatra, regardé comme représentatif de l’ordre normal des choses. Les malgaches créent leur propre cosmos à l’intérieur de leur case, dans laquelle chaque être, chaque chose a sa place assignée qu’il convient de respecter. Ainsi, les outils sont entreposés au nord où on accueille également les hôtes, les nattes sont disposées à l’est, les portes et les fenêtres sont situées à l’ouest et le sud reste le lieu des humbles. Un proverbe malgache dit d’ailleurs à ce propos : « Si les volailles se placent dans l’angle qui leur est assigné, ce n’est point par sottise, mais par soumission instinctive à l’ordre ». Selon la cosmologie Sakalava, le monde est par ailleurs comparable à un homme dont la tête - demeure de dieu et des ancêtres - est à l’Est, les membres inférieurs à l’Ouest, les membres supérieurs au Nord, le ventre au Sud et le sexe au centre. Le Nord-Est est considéré comme un espace respectable, sacré tandis que le Sud-Ouest est considéré comme répulsif car lié à l’impur, aux profanes et aux forces maléfiques.

    A ce symbolisme spatial vient s’ajouter également un symbolisme temporel. La lune, selon ses positions successives, se voit assignée une direction cardinale associée à une désignation spécifique. Les quatre angles sont occupés par les quatre destins mères des périodes zodiacales. Ainsi, Alahamady (Bélier) qui est le premier mois lunaire est situé dans le coin Nord-Est, coin de la vénération des ancêtres où sont conservés les talismans de la maison. Et en tournant à droite, on retrouve au Nord-Ouest, l’adijady (Capricorne), au Sud-Ouest l’adimizana (Balance) et au Sud-Est l’asorontany (Cancer). Les lueurs apportées par le soleil sont également utilisées pour exprimer le temps de vie. En effet, il faut vivre pour voir la lumière et lorsque l’on meurt on « ferme les yeux à la lumière ». Enfin, les pierres sont l’expression d’une pérennité qui défie le temps. Chez les Betsileo, le vatolahy est une pierre érigée pour fonder un village.

    La dominance de l’influence Arabe dans l’astrologie malgache amène à penser que la semaine malgache commence par un zoma (vendredi). Ainsi, le zoma - de l’arabe Djouma - correspond à la planète Vénus et est assimilé généralement à un jour noir, destiné aux enterrements. Chez les vakinankaratra, c’est un jour rouge, d’effusion qui se confond au jour des pleurs. Sabotsy (samedi) - dérivé de l’arabe as-sabt - qui correspond au destin de la planète Saturne est plutôt favorable aux rites de purifications car il constitue le jour des regrets. Alahady (dimanche) - dérivé de l’arabe « Al-ahad » -va de pair avec la planète Soleil qui, par analogie, est un jour puissant et faste. Alatsinainy (lundi) - de l’arabe Al-ithnain - correspondant à la planète lune est considéré comme un jour rouge, propice aux souvenirs des morts, aux inhumations et aussi aux rites de purification. Talata (mardi) -de l’arabe Thalatha - correspond à la planète mars qui symbolise le recommencement. Considéré comme un jour sans fond (talata gorobaka), ce qui est commencé ce jour là est censé se poursuivre et se perpétuer. , Ainsi, c’est un jour propice pour entreprendre des travaux faciles mais à éviter pour les enterrements. .Alarobia (mercredi) - de l’arabe - Al-arbia - est associé à la planète Mercure. Contrairement au mardi, c’est un jour où on suppose que ce qui est fait ce jour là ne revient pas. Ainsi, il est souhaitable de ne pas partir en voyage un mercredi. Alakamisy (jeudi) - de l’arabe al-h-amis - est donc le dernier jour de la semaine. C’est un jour où ne peut souhaiter finir une chose. Il correspond à la planète Jupiter et passe pour un jour faste avec une connotation de possession. Chez les Vakinankaratra, c’est un jour pénible voué à la servitude.

    Les malgaches affectionnent un certain ésotérisme quant à l’utilisation des termes de couleur. Ainsi, le rouge symbolise la puissance et la vitalité. C’est, par définition, la couleur de la royauté malgache. La couleur bleue est quant à elle liée au sacré sinon au caractère divin, transcendantal. Ne dit-on pas d’un d’homme illustre qu’il est un olo-manga (personne bleue) tout comme le hazomanga (bois bleu) qui sert à désigner les arbres sacrificiels. Le vert, couleur de la nature, est doué d’un pouvoir de régénération, car il capte l’énergie solaire et la transforme en énergie vitale. Il est le symbole de la régénération spirituelle. Le blanc, est par contre une couleur dont le sens est ambivalent. D’un côté, il symbolise la pureté et la lumière et de l’autre, il comporte une part de négativité voire de vide. Le jaune est associé à l’ouest qui est une direction considérée comme néfaste.

    Les formes géométriques semblent également avoir des significations bien précises. Ainsi, le cercle représente tout ce qui se réfère au soleil et à la lune. En malgache, le terme masoandro amam-bolana représente le cosmos. L’étoile, source de lumière et repère dans l’espace, est symbole de stabilité, de quelque chose qui a une bonne assise. Les expressions « afo telo zoro » et « toko telo no mahamasa-mahandro », signifient par ailleurs que dans une habitation traditionnelle malgache, la cuisson ne peut être assurée que si le foyer est constitué de trois pierres disposées en forme de triangle. Néanmoins, en pays Sakalava, le triangle est le signe attribué aux esclaves, les Jingo et les Sambarivo, gardiens des mahabo. Le terme mahitsy (droit) sert plus à traduire, quant à elle, la droiture d’une personne dont la qualité personnelle se démarque par sa simplicité.

    Très proche de la nature, les malgaches accordent une grande importance aux plantes suivant une conception où il existe un lien entre l’homme et l’espèce végétale. Pour définir les différentes parties du corps humain, les malgaches utilisent une terminologie utilisant anciennement des parties d’un végétal. Ainsi, la pommette d’un visage est appelée laingo-tava dont la racine laingo signifie bourgeon. La paume de la main est représentée par le felatanana qui vient de felana (pétales). On retrouve très souvent les mêmes dénominations pour signifier certaines parties du corps humain et de l’arbre. Le terme « hoditra » signifie à la fois la peau et l’écorce du bois. Le tronc de l’arbre comme le tronc du corps humain se dit « vatana ». le pied de l’arbre est assimilé au postérieur et ainsi de suite...D’ailleurs, un dicton Betsimisaraka dit que ’ Ny ôlombelön o karaha ravin-kakazo ; tsy maty fa miverina ifotony. Les êtres humains sont comme les feuillages , ils ne meurent pas, ils retournent aux sources.

    D’une manière générale, les chiffres pairs sont de bon augure. Si le deux est indubitablement le signe de l’alliance (mariage) et de la fraternité (fihavanana, fatidra), la santé, la richesse et la plénitude sont généralement représentées par le chiffre 6 ou son multiple 12. Le nombre trois signale par contre un danger et une conjuration s’impose. Selon les pratiques traditionnelles malgaches, la répartition des biens d’un ménage qui est amené à se séparer se fait selon la règle du « kitay telo-an dalana » où les 2/3 reviennent au mari et le tiers qui reste à l’épouse. Le mot « tsiambaratelo » signifie qu’un secret n’est pas à dévoiler à une tierce personne. Le huit a un sens ambivalent. Il évoque l’ennemi (fahavalo) mais aussi l’idée de plénitude, d’universalité cosmique et humaine des générations. Les huits os des Ancêtres (taolam-balo) représentent les ancêtres eux-même et on emploie le terme volontiers lafy valon’ny tany, les huit côtés de la Terre pour englober la totalité du monde et de l’univers. Le chiffre sept, nombre des jours de semaine, représente le cycle liturgique de la circoncision chez les Antambahoaka, et dans les rites funéraires de séparation où avant de quitter définitivement les siens pour rejoindre les ancêtres, le défunt doit tourner sept fois autour de sa propre maison. Le chiffre neuf représente l’âme/esprit d’un ancêtre. Enfin, le zéro, représenté par le mot atody (oeuf) - symbole fœtal par excellence - symbolise les idées latentes ou potentielles, non encore manifestées mais qui existent de façon virtuelle, n’attendant qu’une intervention divine pour sortir du néant et surgir dans la création.

    La rencontre fortuite avec un animal peut constituer, selon les cas, un présage heureux ou malheureux. Pour les malgaches, on doit rebrousser chemin si un serpent se trouve en travers de la route car il présage un malheur imminent. Chez les Merina et les Betsileo, le faniany incarne les Ancêtres. Le rapace, réputé hermaphrodite, a été le symbole de la royauté au 19ème siècle. L’abeille, dont le miel sert à faire de l’hydromel ou liqueur d’immortalité, est l’objet, d’une très grande attention. Un hitsikitsika (crécerelle) qui évolue devant un groupe de passants est signe de joie. Un voromahery (epervier royal) qui vole devant soi en droite ligne est perçu comme un signe favorable. Un vorondreo (gros passereau) qui hulule signifie qu’on deviendra fou d’amour. Un kitanotano (bécassine) est réputé annoncer la présence d’un ennemi tandis que le vorondolo (hibou, chouette) présage un malheur.

    L’homme est le seul à bénéficier d’une « seconde naissance symbolique » par le biais du hasoavana (circoncision). Il s’agit d’un rituel qui correspond à une naissance sociale, rituel typiquement masculin, qui s’opère durant la saison froide. Chez les Antambahoaka, la cérémonie du sambatra, une cérémonie de circoncision collective exceptionnelle, a lieu tous les 7 ans. Le tatouage du corps humain, encore pratiqué dans certaines ethnies de l’ouest et du Sud-Est malgaches, est aussi considéré comme un moyen d’expression permettant de donner à l’entourage un sens à l’affiliation à un groupe donné. Selon Decary, « une partie des tatouages malgaches représente des figures du sikidy, art divinatoire hérité des Arabes elle-même héritière de la magie juive. »

    On retrouve également au niveau linguistique des termes relatifs à la structure intérieure de l’homme et qui témoignent que la conception malgache laisse entrevoir clairement une distinction entre l’action et l’intention. Le « fo » (cœur) traduit à la fois le siège des sentiments et le lieu de réflexion et des décisions. Ainsi, les messages reçus de l’extérieur sont conservés dans le cœur qui va se charger d’apporter les réponses à priori réfléchies même s’il peut être emporté par des sentiments violents tels que la colère ou la haine. Le terme kibo (ventre) semble être quant à lui un réceptacle de sentiments plutôt négatifs. Un homme qui se laisse entraîner par le « kibo » risque de mal agir. Les maso (yeux), le vava (bouche) et les sofina (oreilles), sont alors perçus comme des canaux de communication qui permettent de recevoir les messages et d’envoyer les réponses dictées par le « fo » ou le « kibo ». Dans la conception malgache, l’expression « Ny fanahy no olona » traduit en partie le fait que l’homme se caractérise par sa manière de se comporter par rapport aux autres.

    Enfin, les amulettes et les talismans - aux compositions variées (poils ou plumes d’animaux, terre sacrée, dents de crocodiles, morceaux de tissus, etc...) - sont autant d’objets que certains malgaches utilisent comme parures (autour du cou, à la taille ou sur les vêtements) ou suspendent dans les maisons pour entrer en contact avec les ancêtres mais surtout pour se prémunir des mauvais sorts ou de maléfices. Dans la culture malgache, ces ody sont liés aux fady (tabous) innombrables et dont la transgression entraîne invariablement un malheur. Ces tabous restent très suivis aujourd’hui par les Malgaches. Dans la capitale par exemple, il est interdit de montrer les collines sacrées de l’Imerina du doigt. Pour les désigner, il faut replier son index.


  • Commentaires

    1
    Jeudi 8 Mars 2012 à 14:47
    Excellent article. Serait-il possible d'avoir les références bibliographiques ?
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