• La rouelle celtique


    La plupart des Gaulois d'aujourd'hui ont déjà aperçu, dans une vitrine de musée, dans les livres d'histoire ou d'archéologie, quelques uns de ces innombrables petits objets, le plus souvent en bronze, parfois en fer ou même en or, qui sont semblables à des croix cerclées dont la branche verticale aurait été raccourcie.Cela se comprend aisément : la rouelle est le symbole sacré le plus répandu et le plus fondamental de l'Europe pré-chrétienne. Sa signification est pourtant aujourd'hui le plus souvent ignorée. Essayons de comprendre.

    La rouelle est un symbole antérieur même à l'époque celtique de la Gaule et du reste de l'Europe : les sites de l'âge du bronze (2000 - 800 av. J.-C.) en livrent déjà une quantité notable. C'est pourtant à la fin de la période celtique puis à l'époque romaine que la présence des rouelles s'intensifie partout en Gaule. Elles son découvertes le plus souvent en contexte sacré, dans des sanctuaires ou des sépultures, parfois dans des lieux plus anodins. Leur forme circulaire renvoie au soleil et effectivement, de nombreux indices montrent qu'il s'agit sans aucun doute d'un symbole solaire : la rouelle est souvent associée à d'autres symboles du même type dont la signification est claire, comme ce triskel, cette feuille de chêne et ce bouclier miniature, découverts dans une tombe de Bohême

    Symbole solaire, la rouelle renvoie aussi à la conception que nos ancêtres avaient de l'espace. En effet, pour les anciens Celtes, l'univers s'organise autour d'un axe central, un arbre mythique qui soutient le firmament et joue le rôle de l'essieu autour duquel tourne la roue céleste, entraînant avec lui les astres. L'arbre est bien entendu l'équivalent de l'Yggdrasil des anciens Germains. A une autre échelle, dans le territoire de chaque peuple, un lieu central était matérialisé par une borne de bois ou de pierre, dont un magnifique exemplaire fut découvert à Kermaria, dans le Finistère (dessin ci-contre).

    Chacune de ses quatre faces porte un symbole spécifique et l'on reconnaît sur l'une d'entre elles la svastika, symbole solaire équivalent du triskel ou de la rouelle. Ce type de bornes symbolisait l'ordre du monde, tournant autour de son axe et organisé en quatre espaces, délimités sans doute par les points cardinaux ; elles se trouvaient, comme on l'a dit, au centre de chaque territoire, qui prenait ainsi le nom de mediolanum, "zone centrale" en langue gauloise, et dont notre toponymie actuelle conserve de nombreuses traces, ainsi Meulan, Meillan, Meilhan, Meylan, Melun, Mâlain, Miolans, Milan en Italie, etc.

    La rouelle est donc le symbole qui résume très bien cette conception du monde, ordonné autour d'un axe, en rotation permanente et organisé en quatre grands espaces.On comprend bien également pourquoi les Celtes offraient souvent des rouelles aux divinités en les suspendant à des arbres : certains arbres sacrés étaient réputés abriter des dieux et participer de l'ordre du cosmos ; offrir une rouelle, c'est participer au maintien de cet ordre et s'assurer en retour la bienveillance de la divinité.On a souvent commenté cette très célèbre réplique de ses mercenaires celtes à Alexandre le Grand, en 335 av. J.-C. "ils répondirent qu'ils n'avaient peur de personne, qu'ils craignaient seulement la chute du ciel sur leurs têtes".

    Plus qu'une bravade bien gauloise, cette affirmation exprime la conception celtique du monde, que l'on craint de voir retomber dans le chaos. Et l'on sait effectivement, grâce au géographe grec Strabon (début du Ier siècle) que les druides enseignaient que les âmes survivraient et se réincarneraient, jusqu'à ce que l'ordre du monde soit bouleversé par la submersion du feu et de l'eau. Le chaos, une notion bien perceptible aux Grecs comme aux autres peuples de tradition indo-européenne.

    A l'époque gallo-romaine, la rouelle connaît un succès constant, elle est alors souvent associée à Taranis-Jupiter : elle symbolise alors la foudre du dieu céleste. Le symbole est resté extrêmement vivace, il est très fréquemment représenté sur les objets votifs, tel cet autel découvert à Nîmes (photo ci-contre), et apparaît régulièrement comme l'attribut que le dieu tient sans sa main.

    En somme, la rouelle est comme un condensé de théogonie celtique. On comprend mieux pourquoi la croix chrétienne, curieux symbole si l'on y songe bien et surtout, parfaitement ignoré des chrétiens des trois premiers siècles, eut un tel succès et prit l'importance que l'on sait dans la nouvelle religion, quand elle devint européenne.

    Ainsi, nos campagnes, ainsi que nos édifices religieux, offrent encore abondamment à la vue cet antique symbole sacré, dont la valeur patrimoniale et spirituelle paraît inestimable. De sorte que porter une rouelle autour du cou, en accrocher une sur le mur de sa maison, c'est devenir l'héritier d'une tradition dont les origines se confondent avec notre histoire, en particulier lorsqu'on descend de ces Gaulois qui, au tournant de notre ère, en firent le symbole même de leur identité et le signe patent de leur attachement à l'ordre du monde et de leur vif désir de s'opposer au chaos.


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