• La religion, les mythes et le fantastique


    "Mythes et cosmogonies, livres sacrés, vies et miracles des saints, même si le surnaturel en constitue à la fois le milieu et le ressort, ne peuvent passer pour littérature fantastique : ils sont ou ont été des objets de croyance et à leur contenu correspondent prières, clergé, cérémonies, expiations, etc." (Extrait de CAILLOIS Roger, "Fantastique", in Encyclopaedia Universalis, p. 284). Roger Caillois semble soutenir que les miracles, mythologies, religions n'appartiennent pas au genre fantastique. Alors comment expliquer la présence de livres sacrés (le Necronomicon chez Lovecraft); de mythologies (Malpertuis de Jean Ray); de cultes obscurs (culte de Cthulhu chez Lovecraft); d'objets liés aux croyances dans nombreux récits fantastiques ?

    L'explication de la présence d'objets "religieux" dans le genre fantastique nous présente en même temps la différence essentielle entre croyance et fantastique.

    Dans leur article sur le rapport entre croyance et fantastique, François Raymond et Daniel Compère soulignent le fait que la littérature fantastique emprunte nombre de ses sujets aux croyances religieuses, mais à la différence de celles-ci, ils ne sont que prétexte à faire surgir le fantastique. La religion a quelque chose de mystérieux, de "magique", d'inconnu…d'où un domaine à exploiter pour les récits fantastiques. Il ne s'agit aucunement d'amener à faire croire en quelque chose. Au contraire, plus il y aura du doute, plus l'œuvre sera fantastique !

    "Le fantastique commence lorsque, dans un récit, le personnage central est mis en présence d'un objet de croyance pour les autres, et que son scepticisme est ébranlé par une manifestation irrécusable" (RAYMOND F. et COMPERE D., "Fantastique et croyance" in Les maîtres du fantastique en littérature, Paris, Bordas, coll. "Les Compacts", n°36, 1994, p12) On le voit, le fantastique n'est pas la croyance mais le doute surgit dans l'esprit incrédule du personnage central. Il faut donc admettre que si le fantastique parle de croyances, il se limite à en parler, ne cherche surtout pas à convaincre de quelque vérité divine ni à instaurer quelque culte. Les croyances ne sont que matières à construire le fantastique.

    Certains prétendent que le fantastique s'inscrirait dans un rapport de contiguïté avec le genre merveilleux. Il serait une "suite" du merveilleux avec certes, du changement mais surtout d'énormes ressemblances. Ces ressemblances font qu'aujourd'hui, il n'est pas rare de voir citer parmi les êtres fantastiques les nains, fées, sorcières, lutins et autres elfes. Erreur ! Le fantastique, s'il peut puiser (comme dans les religions et croyances) ci et là quelques éléments appartenant au genre merveilleux, s'en distingue largement par au moins deux choses:

    - Le fantastique a pour cadre le monde réel. Et même absolument réel. On entend par cela que planter un décor qui n'a rien d'étrange permet un effet encore plus saisissant. Alors que dans le Merveilleux, rien n'est réel. Le cadre où se déroule l'histoire est autre, irréel. Même le temps est ailleurs (Il était une fois…) alors que le fantastique aime à situer ses histoires à une époque contemporaine (Aujourd'hui, là, maintenant…).

    - La deuxième et énorme différence entre les deux genres se situe au niveau du déroulement final des récits. Fin heureuse pour le Merveilleux, la princesse épousant son prince charmant, le dragon terrassé par le preux chevalier, la sorcière battue par les fées (L'effet "Walt Disney" : "…et ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants").

    Alors que la fin d'un récit fantastique est bien souvent épouvantable. Epouvantable pour le héros qui soit meurt soit devient fou. Epouvantable pour le monde, transformé par ce qui est arrivé. C'est le même monde mais il y a ce petit quelque chose de changé, en plus. Epouvantable pour le lecteur car il ne sait plus, doute, reste sur une impression de malaise.

    On voit donc deux différences majeures qui marquent une séparation nette entre les deux genres. Séparation qui tend pourtant à se restreindre dans les nouveaux genres appelés Fantasy (Le Seigneur des Anneaux de JRR Tolkien par exemple), qui présentent fréquemment des mondes inspirés de contes et légendes merveilleux, mondes peuplés d'elfes, de lutins mais également de monstres sanguinaires. Sortes d'épopées sans situation spatiale ou temporelle précises ou encore situées dans un monde futur.


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