• Histoire de l'alphabet runique

    (Pierre runique)

    Employé par des peuples germaniques entre le IIe et le XIVe siècle de notre ère, l’écriture runique a été employée pour un grand nombre d’inscriptions retrouvées sur des poinçons, des anneaux, des fers de lances mais aussi et surtout sur pierre. Il s’agit en général de textes très courts. L’une des inscriptions les plus longues, celle de la pierre d’Eggjum en Norvège, ne compte que 200 signes. La plupart des textes a avoir été conservés ont été rédigés sur des stèles funéraires pour honorer un disparu.

    Le terme "rune" semble indiquer qu’au départ l’écriture runique a dû être l’apanage d’une élite. On peut en effet le rapprocher du vieil islandais runar (secret), du vieux saxon runa (chuchotement) mais aussi de l’irlandais run et du gallois rhin (secret, mystère). On peut aussi songer à la complexité de la poésie scaldique dont l’objet explicite était d’en réserver la compréhension à quelques initiés.

    Les lettres de l’alphabet runique (ou fuþark d’après ses 6 premières lettres) sont généralement constituées d’un trait vertical (et donc orthogonal à la direction générale de l’écriture) auquel on ajoutait un ou plusieurs traits obliques (non parallèles par conséquent à la direction horizontale de l’écriture). Tout ceci suggère qu’au départ les runes ont été réalisées par gravure sur bois : l’absence de traits horizontaux pouvant correspondre à un souci de ne pas fendre le support d’écriture en inscrivant des traits parallèles aux fibres de la planche. Sans doute il ne subsiste pas d’inscriptions runiques sur bois mais des sources en attestent l’existence. Saxo-Grammaticus rapporte l’usage du bois comme support pour la correspondance. Au VIe siècle, Venantius Fortunatus évoque des textes peints sur bois mais qui pourraient avoir été gravés avant d’avoir été peints. Le fait que la quasi-totalité des inscriptions à avoir résisté à l’action du temps et du climat soient sur pierre ne doit pas nous surprendre : le bois est en effet un matériau bien plus périssable que la pierre.

    Dans sa version la plus ancienne qui soit connue et qui demeure quasi inchangée du IIe au IXe siècle de notre ère, l’alphabet runique ou fuþark (du nom de ses 6 premières lettres), possède 24 lettres réparties en trois groupes (aettir) de 8. Chacune de ces lettres est associée à un nom dont la prononciation fixe la valeur phonétique de la rune. f se note ainsi fehu, bétail. Ce nom n’est pas un simple moyen mnémotechnique car si jamais sa prononciation varie, la valeur phonétique de la rune associée change avec lui. C’est ainsi qu’on a constaté d’assez fortes variations dans le temps comme dans l’espace pour les valeurs phonétiques des runes.

    Contrairement à beaucoup d’autres alphabets descendant des modèles gréco-phénicien, le fuþark utilise un ordre des lettres qui lui est particulier. Précisons cependant que, dans le domaine anglo-saxon, les abécédaires fuþark sont en concurrence avec les alphabets hrabaniques qui contiennent les mêmes lettres mais dans l’ordre latin. Ces cas particuliers mis à part, l’ordre spécifique des lettres du fuþark se maintient jusqu’à l’abandon de l’écriture runique. Il en va de même pour les trois parties du fuþark (les aettir) qui étaient en place dès le VIe siècle (fuþark de Vadstena en Suède) et sans doute bien avant.

    L’origine du fuþark demeure mystérieuse. La tradition germanique qui désigne en Odin l’inventeur des runes ne nous éclaire guère.

    On a voulu rapprocher les runes alphabétiques des runes divinatoires employées par les germains à l’époque romaine. Dans sa Germanie, Tacite rapporte que l’utilisation par les germains de bâtonnets pour la divination. Sur ces bâtonnets on gravait certains signes symbolisant des idées générales. Ces signes et ces idées se regroupaient par catégories. Tout ceci fait penser à certaines des caractéristiques du fuþark : il aurait d’abord utilisé le bois pour support, chaque signe est associé à un mot correspondant à une idée et les signes sont regroupés en trois aettir. Il est donc possible que le fuþark soit le résultat d’une évolution à partir des runes divinatoires.

    Du point de vue de la graphie, en tout cas, une parenté avec les alphabets de la famille gréco-phénicienne est évidente. La question qui se pose est de savoir quelle est l’écriture qui a servi de modèle aux germains. Plusieurs hypothèses ont été défendues sans qu’aucun argument n’ait permis de les départager de manière décisive.

    Certaines des lettres (u, f, h et r) pourraient provenir de l’alphabet latin. Avec l’extension de sa domination, Rome a imposé son alphabet à toute la partie occidentale de son Empire qui, à ses frontières, était en contact avec des tribus germaniques. L’hypothèse latine n’est donc pas à rejeter.

    Ce n’est cependant pas la seule possibilité. La découverte à Negau d’un casque du IIe siècle avant notre ère et contenant une inscription en graffiti nord-étrusques mentionnant un nom propre germanique prouve l’existence de lien entre le monde tyrrhénien et celui des germains. L’un des alphabets nord-étrusque pourrait donc également avoir servi de modèle au fuþark.

    Une autre hypothèse a été envisagée : les lettres du fuþark proviendraient des Goths qui les auraient empruntées aux colonies grecques du bord de la mer noire qui employaient un alphabet grec oriental. Le g noté X proviendrait dans ce cas du Khi de l’alphabet grec oriental et non de la lettre de même graphie employé en alphabet grec occidental. L’existence de liens entre les Goths et les colonies helléniques du Pont Euxin est en tout cas attestée car au IIIe siècle de notre ère ce sont des Goths qui vont piller Olbia et d’autres cités helléniques de la région.

    On le voit, la question de l’origine des runes est encore bien loin d’être élucidée. On est mieux renseigné, en revanche, sur l’évolution du fuþark.

    Dès le IIIe siècle on trouve des inscriptions runiques, d’une part dans le monde Goth (pointe de lance de Kovel) et d’autre part en Scandinavie (inscription de Torsbjerg). A partir du VIe siècle on commence également à connaître des inscriptions en Germanie continentale (fibule de Freilauberheim) et en Angleterre (couteau de la Tamise).

    Vers 800, les runes cessent d’être utilisées en Europe continentale mais on continue à y avoir recours en Scandinavie et en Angleterre.

    Au IXe siècle, le fuþark évolue en Angleterre par l’ajout de nouveaux caractères. Le fuþark passe de 24 à 28 puis 33 lettres. On introduit de nouveaux sons tels que A, OE, EA, IO, Q et ST.

    A la même époque, le fuþark connaît une évolution en Scandinavie en passant de 24 à 16 lettres. Cette diminution du nombre de signes a été rendue possible en confondant les occlusives sourdes et sonores. T et D sont désormais notés par une même rune ainsi que P et B ou K et G. Au niveau des voyelles une même rune sert désormais à noter 4 sons : u, o, y et ö. On note l’existence de deux versions de ce nouveau fuþark : la version suédo-norvégienne et la version danoise moins anguleuse. Au Xe siècle le fuþark scandinave est de nouveau réformé afin d’éviter les confusions introduites par l’abandon de plusieurs runes au siècle précédent : on met alors en place un alphabet à 27 caractères capable de noter tous les sons des langues scandinaves. Les nouvelles runes sont créées à partir des anciennes auxquelles on ajoute des points : ce sont les runes pointés. En général les inscriptions réalisées dans cette écriture sont gravées entre deux lignes parallèles formant un ruban parfois terminé d’un côté par une tête et de l’autre par une queue de serpent.

    Au cours des siècles suivants ces alphabets sont peu à peu évincés par l’écriture latine. Les derniers textes runiques connus sont des manuscrits rédigés entre le XIIe et le XIVe siècle.


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