• Don Juan professe la liberté de mœurs et de pensée. Libertin dans l’âme, il n’admet de règles que celles de sa raison, et il considère au plus haut point que sa liberté dépend du libre usage de ses facultés spirituelles, c’est-à-dire que sa pensée est l’outil qui donne à sa volonté les moyens de sa réalisation. Pourtant, son destin est tragique, puisqu’il paie finalement de sa vie le prix de son audace de pensée. Faute de s’être plié aux règles morales, et parce qu’il a défié l’ordre des choses et s’est finalement égaré par la pensée, il subit le sort funeste dont le menaçait la statue du commandeur.

    Être libre de penser, est-ce alors penser ce que l’on veut ? L’exemple de Don Juan montre l’ambiguïté d’une telle phrase. Sa liberté s’affirme dans le fait qu’il pense ce qu’il veut, mais son sort funeste paraît témoigner de l’illusion que constituait ce type de liberté. Se pose ici le problème de savoir si, par nature, la pensée répond à des règles, ou si au contraire elle est une forme purement indéterminée, qui pourrait alors être l’instrument totalement plastique de la volonté.

    1. À la différence des animaux, le propre de l’homme est de développer une conscience intelligente de son monde, c’est-à-dire de posséder le pouvoir de traduire et d’interpréter intellectuellement les données factuelles qui se présentent à lui dans son expérience sensible. La pensée est donc une capacité d’analyse qui préside aux comportements humains.

    Cette capacité rationnelle fournit ainsi à l’homme le pouvoir de s’orienter, c’est-à-dire le moyen de réaliser ses volontés. Être libre de penser, c’est donc être libre de penser ce que l’on veut, c’est-à-dire être en mesure de prendre conscience de la façon dont notre volonté se rapporte à un monde réel.

    Cette façon de soumettre l’ordre des choses réelles à l’ordre des raisons spirituelles n’est d’ailleurs pas simplement une manière d’interpréter le monde : c’est également une manière d’affirmer des valeurs et du sens, c’est-à-dire que la liberté de penser est une liberté de ne pas se soumettre à des règles morales préétablies.

    2.  Néanmoins, l’homme reste un être limité, qui n’a pas nécessairement une pleine intelligence et une parfaite conscience de tout. Il se trouve donc souvent contraint de reconnaître son ignorance de certaines choses, ce qui oblige plus largement à accepter que sa liberté de pensée n’est pas une liberté totale, puisqu’il ne parvient pas toujours à penser ce qu’il voudrait.

     En outre, il semble même qu’il ne peut pas toujours penser ce qu’il veut comme il le voudrait. Autrement dit, la forme de sa pensée lui impose une interprétation rationnelle des choses, qui ne convient pas nécessairement à ses souhaits. Les modalités de sa pensée le ramènent donc sans cesse de sa volonté idéale à la réalité.

     Enfin, l’homme est un être raisonnable, c’est-à-dire un être éduqué et discipliné (moralement et politiquement). Il ne parvient donc pas toujours à affirmer ce qu’il veut, parce qu’il est retenu par les valeurs de son éducation. Il n’est ainsi, semble-t-il, libre de penser qu’en fonction de règles morales et politiques préexistantes, et non en fonction de l’usage parfaitement libre de sa volonté.

    3. Ces contraintes (le nombre limité des choses qu’il peut penser, la forme rationnelle de sa pensée, et les valeurs de son éducation) ne sont cependant pas nécessairement des handicaps qui réduisent sa liberté. On peut en effet considérer qu’elles sont des manières de donner un sens à une volonté, qui ne pourrait pas être libre sans elles. Le vouloir, qui n’a par lui-même pas de limites, trouve ainsi les moyens de devenir réel, et de ne pas vivre dans l’illusion.

    L’homme qui chercherait à penser ce qu’il veut serait donc un homme qui vivrait constamment dans l’illusion que sa pensée est nécessairement pertinente, alors qu’il est justement susceptible de se tromper. Tout au contraire, la liberté véritable de la pensée viendrait de la possibilité de ne vouloir que ce qui est possible. Le vouloir s’éduquerait parce que la pensée lui donnerait les moyens de devenir réel.

    IIIc. Cette liberté n’est toutefois pas seulement une liberté de se conformer à l’ordre du monde, dans la mesure où la pensée est le moyen du perfectionnement de soi. En apprenant à penser, l’homme apprend donc à maîtriser son monde, et se rend ainsi capable de vouloir mieux et plus de choses.


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  • Tout homme, en tant qu’homme, paraît se définir au moyen de deux caractéristiques principales : le corps et l’esprit. En effet, d’une part, un homme est, comme toute chose qui existe, un composé de matière doté d’une unité physiologique (il est un organisme vivant). Mais d’autre part, l’homme se distingue des autres choses par le fait qu’il possède une capacité de raisonnement, par le fait qu’il réfléchit et a conscience rationnellement de ce qu’il fait. À cet égard, il semble que cette conscience toute particulière qu’il a de son existence au moyen de sa raison le conduit à dépasser le caractère immédiat de cette existence. En effet, le propre de l’homme est de pouvoir se souvenir des expériences qu’il a vécu (au moyen de la mémoire) et d’être capable de se projeter dans ses expériences futures. La raison est donc un moyen pour l’homme d’avoir un rapport très particulier à son existence puisqu’il la comprend et ne la subit pas aussi directement que s’il ne possédait pas cette capacité d’analyse rationnelle.

    Or, toute la difficulté  tient à ce qu’induit cette analyse. En effet, en se comprenant dans un milieu de vie, l’homme semble posséder le moyen d’être libre et de disposer de son existence. Plus exactement, lorsque l’homme analyse les modalités de son existence, il tente de comprendre le pourquoi des évènements qui lui arrivent et il saisit comment son action résulte de causes qui le poussent et le déterminent. Il peut donc vouloir agir pour orienter ces causes déterminantes dans un sens plutôt que dans un autre. Bref, il résulte de sa capacité d’analyse une forme de sentiment de liberté selon lequel il croit pouvoir faire ce qu’il veut. Tout le problème devient donc de savoir ce qu’il peut face aux causes qui le poussent à agir. Nous ne pourrons dire que l’homme est libre que si nous évaluons sa capacité à s’affranchir des déterminations qui pèsent sur lui, c’est-à-dire si nous parvenons à savoir dans quelle mesure il peut devenir lui-même la cause de son action, indépendamment de causes qui lui échappent. La liberté résulte donc d’une forme de paradoxe rationnel selon lequel l’homme sait à la fois qu’il dépend d’un ordre des choses qu’il ne choisit pas et pense qu’il a la capacité de dominer en partie ou totalement cet ordre pour l’orienter à sa guise.

    1.Nous pouvons d’abord dire que l’homme se sent libre car il comprend ce qui lui arrive, c’est-à-dire qu’il possède une capacité de raisonnement qui lui permet de prendre la mesure des causes qui pèsent sur lui pour savoir comment agir sur elles. Cette intelligence lui permet donc de faire des choix dans son action, de déterminer son corps au moyen de son esprit pour agir librement . En ce sens, la liberté se réalise dans le fait qu’il existe conformément à ce que son esprit a prévu et à ce que son corps vit et expérimente .

    2.Toutefois, le sentiment de liberté qu’il a n’est peut-être qu’une illusion de la raison. En effet, si nous considérons le fait que l’ordre des choses s’impose au corps de l’homme, il semble que le choix qu’il fait ne se fait qu’en fonction de conditions qu’il n’est pas lui-même capable de changer . En outre, le choix qu’il fait lui-même paraît déterminé par ce qu’il a été et par ce qu’il a appris puisque la raison ne lui permet que d’assumer volontairement ce qui s’impose extérieurement. Ainsi, la liberté ne serait qu’une illusion provoquée par l’absence de connaissance précise des facteurs déterminants, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de liberté véritable mais seulement une marge d’ignorance de ce qui nous a poussé à faire des choix.

    3. Il semble néanmoins possible de comprendre la liberté autrement que comme une pure capacité de choix indépendamment de toute cause déterminante. En effet, si nous réalisons qu’aucun choix n’est absolu mais se fait toujours en fonction de causes que l’homme subit, nous en venons à redéfinir la liberté comme la compréhension des causes agissant sur l’homme. Cela veut donc dire que la liberté n’est pas une propriété corporelle mais spirituelle selon laquelle l’homme est capable de justifier ce qu’il fait, c’est-à-dire ce qu’on lui impute comme choix . Dès lors, nous pouvons dire que l’homme est libre parce qu’il est le seul être qui ne résume pas son existence à un présent immédiat mais se pense comme responsable de son action et des conséquences de cette action .


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  • Dans Matrix 1, Néo, le héros, est séquestré pas la police politique de l’univers virtuel, « la Matrice ». Il demande à pouvoir téléphoner, conformément à ses droits, mais constate juste après l’avoir dit qu’il ne peut plus ouvrir la bouche : son visage a été modifié par l’agent qui lui répond qu’il ne sert à rien de téléphoner lorsque l’on n’est pas en mesure de parler. La scène pourrait être triviale, mais elle interroge la notion même de liberté en ce qu’elle a de plus fondamental : classiquement définie comme pouvoir de faire ce que l’on souhaite, à quoi rime une liberté qui se trouve sans cesse bornée par notre pouvoir fini, par les limites de notre corps et les faiblesses de notre esprit ?

    À cet égard, l’expression « perdre sa liberté » révèle toute son ambiguïté. En effet, cette expression ne semble avoir un sens que si elle correspond à une réalité. Pas de liberté sans pouvoir pourrions-nous dire. Toutefois, nous constatons également que toute nos actions peuvent se penser sur le mode du déterminisme, dans la mesure où nous pouvons les expliquer à partir de causes qui pèsent sur notre volonté, et non simplement à partir de nos raisons libres d’agir. En ce sens, nous avons bien un sentiment de liberté, mais ce sentiment ne correspond à aucun pouvoir réel. Perdre sa liberté reviendrait alors à perdre non un pouvoir mais une idée. L’expression aurait-elle alors encore un sens, ou ne serait-elle qu’une façon de parler dépourvue de signification profonde ?

    1. Comme semble le dire Hobbes, la liberté semble dépendre de la capacité à modifier l’ordre des choses selon ses désirs,  ce qui semble induire le fait que perdre sa liberté, c’est perdre sa capacité à exprimer des désirs et à pouvoir les réaliser, c’est-à-dire se voir entravé dans le mouvement de son corps et dans sa capacité de pensée.

    2. Néanmoins, une telle liberté comme indépendance de soi (corps et esprit) vis-à-vis de l’ordre causal du monde relève peut-être d’une illusion, puisque nous pouvons constater que la liberté que nous croyons posséder ainsi n’est que le fruit de notre ignorance des causes qui nous poussent à agir, comme le montre Leibniz dans la perspective de la Monadologie. Dès lors, peut-être faut-il redéfinir la liberté comme la capacité à comprendre ce qui nous détermine, c’est-à-dire qu’être libre signifierait pouvoir comprendre ce qui nous pousse à agir pour ne plus le subir passivement. Nous devons alors reconnaître que perdre sa liberté, c’est perdre son discernement, c’est-à-dire ne pas pouvoir être autonome au sens de Rousseau.

    3. Toutefois, une telle compréhension de la liberté semble faire de nous non les maîtres de nos actes, mais les spectateurs de ce qui nous arrive,ce qui semble contredire les sentiment que nous avons de notre liberté profonde comme capacité à être cause de nous-mêmes, c’est-à-dire à changer l’ordre des choses et à agir volontairement sans être déterminés, ce que montre bien Sartre dans la capacité que nous avons de refuser l’imposition d’une cause extérieure à nous-mêmes. Dès lors, avec Sartre, nous devons plutôt penser que la perte de la liberté correspond à une perte de l’humanité, dans la mesure où l’homme perd ainsi ce qui le distingue d’une chose inanimée : il perd la capacité à penser les fins de son action.


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  • La liberté est ce sentiment d’indépendance que ressent l’homme vis-à-vis des conditions qui pourraient le déterminer à agir. Toutefois, ce sentiment semble éminemment fragile. En tant qu’il se fonde sur une capacité de choix rationnel, il apparaît que ce sentiment a tendance à décroître à mesure que progresse l’intelligence : dans la compréhension que l’homme développe de ses propres actions, il découvre en effet de plus en plus de conditions qui le déterminent dans ses choix. Bref, plus nous apprenons à choisir, plus nous découvrons que nous sommes déterminés dans nos choix. Apprendre à être libre reviendrait-il à apprendre que nous ne sommes pas libres ? Le paradoxe de ce sujet semble donc tenir à l’opposition entre apprentissage et conditions de la liberté. Ne peut-on pourtant prétendre que le progrès de la connaissance est à l’inverse la condition d’une libération, au sens où l’homme parviendrait de mieux en mieux à maîtriser son monde et à dominer ce qui le détermine ? L’apprentissage de la liberté ne se ferait-il pas justement par l’apprentissage de la force de ce qui nous détermine, afin de mieux en penser les limites et les moyens d’y échapper ?

    1. La liberté humaine est la capacité à réaliser des choses voulues sans que l’ordre du monde ne s’oppose à cette réalisation Cette liberté dépend donc de la capacité à trouver matériellement les moyens de dominer les obstacles qui risquent de s’opposer à la volonté, ce qui suppose de la part de l’homme de posséder une représentation intelligente du monde. L’apprentissage est donc la condition de la liberté, puisqu’il s’agit ainsi d’affirmer une volonté réaliste, fondée sur une analyse et un choix rationnels. Il semble ainsi que nous pouvons apprendre à être libre à la condition d’apprendre à choisir, c’est-à-dire d’apprendre à mieux comprendre comment réaliser ces choix.

    2. Mais cet apprentissage de la liberté est souvent paradoxal. Apprendre les conditions de réalisation de sa propre volonté revient bien souvent à apprendre également les conditions de son aliénation, tant le rapport de l’homme au monde paraît le conditionner dans le moindre de ses actes. En outre, il n’est pas évident que l’apprentissage puisse toujours être des plus utiles, puisque cela suppose que ce qu’a appris un homme lui serve dans un futur dont il n’est absolument pas sûr qu’il se reproduise à l’identique de ce qu’il a déjà vécu. Enfin, un apprentissage désigne nécessairement, dans le cas de l’homme, un processus d’intellectualisation du vécu, ce qui revient bien souvent à croire que le monde répond à des lois abstraites alors qu’il est toujours éprouvé sur le mode de l’expérience et résiste sans cesse à une rationalisation qui tendrait à universaliser les règles du comportement.

    3. Dès lors, peut-être faut-il renoncer à un idéal d’apprentissage de la liberté qui conduit l’homme à se croire doté d’un pouvoir qu’il ne retrouve jamais dans les faits. La liberté ne requiert en ce sens pas une connaissance de ce qu’il faut faire de toute éternité, tant les conditions d’un raisonnement sur la pratique ne parviendront jamais à poser a priori les finalités souhaitables des actes. Se libérer signifie bien plutôt se déprendre d’une illusion de toute puissance d’un moi qui voudrait dépasser les conditions du déterminisme, pour réaliser que la raison ne fait que constater l’emprise des causes extérieures sur l’homme. Dès lors, si la liberté ne s’apprend pas en ce qu’aucun apprentissage ne dote l’homme d’une capacité à s’affranchir rationnellement de ce qui pèse sur lui (liberté négative), il faut bien plutôt défendre l’idée d’un apprentissage négatif de la liberté, qui consisterait à constater toujours plus que l’homme est déterminé dans ses actes et ne trouve sa liberté qu’en apprenant pourquoi et comment il est toujours déjà déterminé (liberté positive)


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  • Je te veux riche de mots que tu ne sais pas encore
    Je te veux riche de temps à perdre, occupée à flâner
    Je te veux inventeur, cherchant la magie du commencement
    Je te veux genèse de la vie… genèse de l'amour
     Et au premier jour construire la mouvance infinie
    Et au deuxième jour danser au tempo de la vie
    Pour faire du troisième l'aube du quatrième
    Qui durera d'un rire jusqu'au sixième...
     Je te veux libre de t'enchainer, prisonnier volontaire
    Je te veux main sur le cœur, mais pas genoux à terre
    Je te veux fort de savoir une larme versée
    Et faible de ne pas savoir de peu te contenter,
     Je te veux unique, dieu déchut du ciel
    Et simple mortel dans mon lit petit Dieu
    Je te veux naufrager de l'éternel amour
    Je te veux rêveur les yeux levé vers nous deux....
     Et le septième jour, le septième jour mon amour
    Enfin se reposer, oh oui se reposer des luttes et des cris
    Donner naissance au jour, de tendresses et d'ivresses
    Accoucher ce bonheur trop longtemps en paresse !

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